Timbres émis suite à la destruction du Moskva - navire amiral de la flotte russe en mer Noire.

La guerre entre la Russie et l’Ukraine : une expérience vécue

Dossier : ExpressionsMagazine N°785 Mai 2023
Par Ignace HAERTLÉ (X00)

Ignace Haert­lé (X00), un poly­tech­ni­cien entre­pre­neur en Ukraine et dans plu­sieurs pays limi­trophes, a vécu au pre­mier plan les évé­ne­ments ayant abou­ti à la guerre entre la Rus­sie et l’Ukraine. Aujourd’hui ins­tal­lé en Ita­lie, il demeure en contact per­ma­nent avec l’Ukraine où ses entre­prises ont pu reprendre leurs acti­vi­tés. Il livre ici un témoi­gnage sur la vie en Ukraine depuis 2010, la guerre du Don­bass, le déclen­che­ment du conflit et l’expérience de ter­rain qu’il en a.

L’invasion de l’Ukraine par la Rus­sie occupe depuis février 2022 une par­tie impor­tante de notre champ média­tique. S’y côtoient – et c’est un élé­ment rela­ti­ve­ment inédit – des récits concur­rents sur cet évé­ne­ment en cours. Concur­rents ? Ce mot serait même faible puisque sou­vent ces ver­sions sont incom­pa­tibles entre elles et ne peuvent exis­ter conco­mi­tam­ment ! Alors, com­ment dis­cer­ner le vrai de l’approximatif, et l’approximatif du faux ? Comme dans bien des cas, avoir de l’information issue du ter­rain per­met d’y voir un peu plus clair.

Un point de vue éclairé

J’ai vécu à Kyiv (forme ukrai­nienne de Kiev) de 2008 à 2020. Ma femme est russe et nos enfants sont nés en Ukraine. J’y ai créé en 2009 une entre­prise d’ingénierie et de construc­tion : Ertle Ltd. La dyna­mique entre­pre­neu­riale a été telle que nous avons dû ouvrir des filiales dans les pays limi­trophes : la Rus­sie, la Bié­lo­rus­sie, la Pologne. Autre­ment dit, une géo­gra­phie d’affaires de rêve aujourd’hui ! Je me dépla­çais donc beau­coup dans la zone et mon sec­teur d’activité – la construc­tion – me met­tait en rap­port régu­lier avec un spectre social très large. Depuis 2020, ma famille et moi avons démé­na­gé en Ita­lie, à Rome d’où je conti­nue à gérer mes entreprises.

Le Donbass d’avant

L’« avant » en Ukraine, c’est la période avant 2014. Ianou­ko­vitch était pré­sident, il avait été élu en 2010 – démo­cra­ti­que­ment. Il venait du Don­bass et était, ain­si que son équipe, un klep­to­crate. À l’époque, la langue ukrai­nienne côtoyait sans conflit par­ti­cu­lier la langue russe, la socié­té était par­ta­gée entre ceux qui pen­saient que l’avenir de l’Ukraine était en Europe et ceux qui consi­dé­raient que l’Ukraine appar­te­nait au monde russe – sans débats enflam­més, ni batailles ran­gées – et per­sonne ne sou­te­nait que les deux ten­dances étaient incom­pa­tibles. Ce Don­bass, dont on parle tant main­te­nant, était une région ukrai­nienne comme les autres – sans par­ti­cu­la­ri­té remar­quable – sauf aux yeux de ses propres habi­tants, comme un peu par­tout. Loin d’être oppri­mé ou délais­sé, le Don­bass domi­nait au contraire le pays, car l’écrasante majo­ri­té des diri­geants natio­naux en étaient issus.

Les manifestations populaires de novembre 2013

Tout a com­men­cé en novembre 2013. Ianou­ko­vitch a, à la sur­prise géné­rale, refu­sé de signer le trai­té d’association avec l’Union euro­péenne. Un trai­té qui était annon­cé depuis long­temps et sur lequel un cer­tain nombre d’espoirs étaient fon­dés. Une ren­contre avec Pou­tine à Mos­cou, lors de laquelle Ianou­ko­vitch s’est vu accor­der un prêt d’État de 3 mil­liards, avait eu lieu quelques jours aupa­ra­vant. Ce prêt a fort pro­ba­ble­ment été détour­né par ce der­nier. Ces deux évé­ne­ments ont par la suite été res­sen­tis comme liés. Tou­jours est-il que ce refus a for­te­ment dépi­té l’opinion publique ukrai­nienne, déjà échau­dée par les nom­breux scan­dales de cor­rup­tion. Des étu­diants sont allés mani­fes­ter et ont plan­té des tentes sur Maï­dan. Au bout de quelques jours, les ber­kuts – la police anti-émeutes – les ont délo­gés bru­ta­le­ment. Et c’est pas­sé aux infor­ma­tions… Peut-être est-ce à cet ins­tant que tout s’est joué… La vue de ces jeunes gens et jeunes filles bat­tus jusqu’au sang et en larmes a révul­sé la popu­la­tion. Le same­di sui­vant une mani­fes­ta­tion monstre a com­men­cé – plus de 500 000 per­sonnes se sont ras­sem­blées sur Khre­sh­cha­tyk pour dénon­cer le régime. Ici et là, on entend par­ler d’« ingé­rence étran­gère » et on a essayé de don­ner un carac­tère arti­fi­ciel à ces mani­fes­ta­tions, mais ce n’est pas com­pa­tible avec leur carac­tère mas­sif et spontané.

La fuite de Ianoukovitch

Ces mani­fes­ta­tions se pour­sui­vaient les week-ends, per­dant un peu leur inten­si­té, s’essoufflant même, jusqu’à la bêtise poli­tique sui­vante de Ianou­ko­vitch, qui arri­vait mal­gré lui à les relan­cer. Et puis, à par­tir de mi-février, il a déci­dé ou a été pous­sé à dur­cir la répres­sion. Je me sou­viens très bien de ces jours de paroxysme. Je suis en train de prendre l’avion pour Mos­cou, j’apprends que la route de l’aéroport a été blo­quée. Sur Maï­dan, les tirs com­mencent, des gens meurent. Une cen­taine de per­sonnes mour­ront en deux jours. Le métro est arrê­té. Ma femme m’appelle pour me dire que les ponts ont été blo­qués – Kyiv est tra­ver­sé par le Dnie­pr et il y a trois grands ponts. Ma femme est rive gauche, mes enfants rive droite, moi à Mos­cou igno­rant si les vols de retour seront ou non sus­pen­dus. On apprend qu’un régi­ment arrive de Dnie­pro­pe­trovsk vers Kyiv… Et puis quelque chose craque dans le sys­tème. Les ponts rouvrent, le métro repart, toutes les routes se débloquent. Quelqu’un, on ne sait pas trop qui, a refu­sé d’obéir, entraî­nant les autres comme des domi­nos. Ianou­ko­vitch fui­ra deux jours plus tard. Cet évé­ne­ment est par­fois qua­li­fié de « coup d’État », mais après les morts de Maï­dan, après que sa propre équipe eut refu­sé de lui obéir, res­ter au pou­voir était pour lui tota­le­ment inima­gi­nable et, vu d’Ukraine, une autre option que son départ sem­blait impensable.

Le coup d’État en Crimée

Quelques jours plus tard – et c’est assez peu connu –, des hommes armés entrent au par­le­ment de Cri­mée, forcent les dépu­tés à dépo­ser le Pre­mier ministre de Cri­mée (la Cri­mée était une répu­blique auto­nome et avait un Pre­mier ministre) et font nom­mer Ser­gueï Axio­nov. Ici, un vrai coup d’État – by the book ! Axio­nov n’était pas très connu avant février 2014, il diri­geait un par­ti ouver­te­ment pro­russe, qui avait obte­nu 4 % des voix aux élec­tions par­le­men­taires de Cri­mée d’octobre 2012. Dans la fou­lée, les Russes ont annexé la péninsule.

La rébellion de Donetsk et de Lougansk

Dans les semaines qui ont sui­vi, les trois régions orien­tales ont éga­le­ment connu des ten­sions, qui ont été rapi­de­ment matées à Khar­kiv, mais qui se sont aggra­vées jusqu’au conflit armé pour les régions de Donetsk et de Lou­gansk. « On va nous inter­dire de par­ler russe et des nazis vont venir de Kyiv nous égor­ger » – telle sem­blait être la rai­son der­rière la rébel­lion. Vu de Kyiv – où l’on par­lait majo­ri­tai­re­ment russe – et pour ceux qui avaient été dans le Don­bass aupa­ra­vant, cela parais­sait incom­pré­hen­sible et sem­blait avoir été créé ex nihi­lo. Ces régions ont som­bré dans le chaos. La socio­lo­gie fut un incroyable allié de cir­cons­tance des Russes. Les habi­tants qui pou­vaient se per­mettre de par­tir le firent – nous en rece­vions d’ailleurs sou­vent en entre­tien d’embauche à l’époque à Kyiv, plus rare­ment à Mos­cou, où nous avions aus­si une entre­prise. Tan­dis que les classes plus modestes pre­naient par­fois fait et cause pour cette rébel­lion – quand vous rece­vez un auto­ma­tique, d’un coup vous pre­nez tel­le­ment d’importance… – peu importe, après tout, que les rai­sons du conflit aient été fon­dées ou logiques !

Le mythe de la junte néonazie

Entre-temps à Kyiv, la cam­pagne pré­si­den­tielle s’est mise en place. Les jeux étaient très ouverts. Poro­chen­ko a fait alliance avec Klit­sch­ko. Ce der­nier a rem­por­té la mai­rie de Kyiv et Poro­chen­ko est deve­nu pré­sident avec une vic­toire écra­sante. Fait inté­res­sant, Pou­tine l’a féli­ci­té pour sa vic­toire. L’extrême droite, dont on enten­dait tel­le­ment par­ler dans la presse russe, a fait, pris ensemble, autour de 2 %. Je pen­sais que la presse russe arrê­te­rait de par­ler de « régime de Kiev » ou de « junte néo­na­zie » après ça, car c’est très inexact et fran­che­ment far­fe­lu, mais elle a conti­nué et le moindre tatouage runique pho­to­gra­phié à Kyiv était pré­sen­té comme un hard­fact, d’un pays qui avait glis­sé dans une sorte d’apocalypse fasciste ! 

La tentative légitime de reprendre le contrôle

Poro­chen­ko a pour­sui­vi des ten­ta­tives pour reprendre le contrôle du Don­bass – com­men­cées avant son élec­tion. Il a répon­du à la force par la force. Ici et là, on entend qu’il aurait dû faire autre­ment… Il était cepen­dant très sou­te­nu et cela appa­rais­sait comme une évi­dence de ne pas lais­ser plus de villes et vil­lages pas­ser sous contrôle des rebelles. Et effec­ti­ve­ment, sans doute, valait-il mieux res­ter « en Ukraine » que dans la DNR (répu­blique popu­laire de Donetsk) ou LNR (répu­blique popu­laire de Lou­gansk). Aus­si, la consé­quence d’une atti­tude conci­liante vis-à-vis des Russes aurait sans doute conduit à des pertes ter­ri­to­riales bien plus importantes. 

La guerre du Donbass

La guerre du Don­bass se pour­suit donc. À l’été 2014, on ne savait pas encore si elle res­te­rait conte­nue au Don­bass ou si elle allait débor­der dans toute l’Ukraine. Tout le monde avait peur d’une attaque ouverte de la Rus­sie. À Kyiv sont appa­rues des flèches rouges indi­quant la loca­li­sa­tion des abris anti­aé­riens les plus proches – il y a en avait depuis l’Union sovié­tique, ils ont été rafraî­chis pour l’occasion, mais fina­le­ment n’ont pas ser­vi… tout du moins en 2014. On navi­guait un peu à vue. Et puis l’Ukraine a com­men­cé à reprendre du ter­rain : elle a repris Slo­viansk, Kra­ma­torsk, Mariou­pol – est ren­trée dans Lou­gansk. Et puis un liner malai­sien a été abat­tu par un équi­page de DCA russe. Je cite cet évé­ne­ment car il a pu jouer un rôle dans la rup­ture de la dyna­mique russe et a pu peser dans la prise de déci­sion d’« y aller ou pas ». Cet évé­ne­ment meur­trier a énor­mé­ment trau­ma­ti­sé en Ukraine. Dans ces tristes cir­cons­tances, on a pu obser­ver les jour­na­listes russes fonc­tion­ner en mode « c’est pas nous, c’est quelqu’un d’autre » (d’ailleurs c’est fré­quem­ment leur mode de fonc­tion­ne­ment…) avec presque autant de ver­sions qu’il y avait de jour­na­listes (ver­sions toutes incom­pa­tibles entre elles…). 

L’intervention des Russes et l’Accord de Minsk

Les Russes ont envoyé des corps expé­di­tion­naires conte­nir les Ukrai­niens. Ceux-ci connurent plu­sieurs défaites qui mar­quèrent les esprits. Ils ont été repous­sés de Lou­gansk, ont été défaits à Ilo­vaïsk, puis à Debalt­seve et dans l’aéroport de Donetsk. À la fin de 2014, le front s’est à peu près sta­bi­li­sé et, en 2015, il y eu une ren­contre en Bié­lo­rus­sie qui a débou­ché sur l’Accord de Minsk. Celui-ci ain­si que son conte­nu ont été très mécon­nus en Ukraine. L’écrasante majo­ri­té du pays aurait été inca­pable d’expliquer vague­ment de quoi l’Accord par­lait. Tout le monde le pre­nait pour ce qu’il était réel­le­ment : juste un accord de ces­sez-le-feu. Les Russes aus­si d’ailleurs le voyaient de la même manière dans le fond – même si selon les cir­cons­tances ils en par­laient comme d’accord de paix non respecté. 

Une réussite démocratique

Les années sui­vantes ont été rela­ti­ve­ment pai­sibles, l’économie s’est rele­vée, sur­tout à par­tir de fin 2016. En 2019, Poro­chen­ko a per­du l’élection contre Volo­dy­myr Zelens­ky. Celui-ci était un comique très connu avant le début de sa pré­si­dence. À titre per­son­nel, d’ailleurs, je le trou­vais très rigo­lo. Élé­ment inté­res­sant : ses sketchs étaient en langue russe… Mal­gré de nom­breux défauts et pro­blèmes, l’Ukraine a eu une réus­site ; c’est une démo­cra­tie : les Ukrai­niens choi­sissent leur pré­sident ; c’est entré dans leurs mœurs et habi­tudes – et ils en sont fiers.

“L’Ukraine a eu une réussite ; c’est une démocratie.”

Le tour de chauffe russe de 2020

En 2020, c’est l’année de la Covid, comme par­tout – les Ukrai­niens ont brillé par leur peu de dis­ci­pline dans la dis­tan­cia­tion et puis aus­si dans la vac­ci­na­tion. Mais c’est aus­si une année impor­tante pour la suite. En effet c’est l’année (vers novembre) du pre­mier build-up russe à la fron­tière – envi­ron 200 000 sol­dats déployés avec tout leur maté­riel, y com­pris en Bié­lo­rus­sie. Cela a duré deux ou trois mois et puis les troupes se sont reti­rées… c’était clai­re­ment un tour de chauffe – on le com­prend aujourd’hui. Avec le recul, mon avis per­son­nel, c’est que la déci­sion d’envahir l’Ukraine a été prise cette année-là – à la suite des mani­fes­ta­tions en Bié­lo­rus­sie. Lou­ka­chen­ko est pas­sé très près d’être sor­ti de l’arène poli­tique – lui qui avait pour­tant (et qui a tou­jours) un appa­reil répres­sif per­for­mant. Ce « même en Bié­lo­rus­sie » était la pous­sée démo­cra­tique de trop. Et donc, après avoir repê­ché Lou­ka­chen­ko, Pou­tine pour­rait avoir com­men­cé à pré­pa­rer l’attaque de l’Ukraine.

L’agression russe

Fin 2021, la Rus­sie a recom­men­cé à amas­ser des troupes et des équi­pe­ments à la fron­tière, avec le résul­tat que l’on connaît main­te­nant. Jusqu’au der­nier moment, leurs inten­tions n’était pas claires. Vou­laient-ils négo­cier quelque chose, allaient-ils enva­hir seule­ment le Don­bass ? La quan­ti­té de mili­taires autour de l’Ukraine sem­blait incom­pa­tible avec une inva­sion totale… Les Amé­ri­cains et les Anglais ont fait un tra­vail remar­quable de détri­co­tage des ten­ta­tives de false-flag ope­ra­tions des Russes. Le 24 février tout s’arrêta net. Dès 5 heures du matin, des explo­sions ont reten­ti par­tout dans le pays. Tous mes chan­tiers et contrats en cours sont sus­pen­dus et mes employés fuient Kyiv vers l’ouest ou des­cendent dans les abris. Les Russes enva­hissent mas­si­ve­ment les pays. Ils avancent sur Sou­my, Tcher­ni­gov, occupent la ban­lieue nord de Kyiv. Une période ter­ri­ble­ment lourde com­mence. Ils finissent par déci­der d’évacuer le Nord le 25 mars. J’habite alors en Ita­lie – un lieu de vil­lé­gia­ture pour les Ukrai­niens. Je prends la déci­sion de reve­nir à Kyiv mi-avril – un sens basique du lea­der­ship impo­sait de venir en personne.

Scènes de guerre… 

Le voyage est long, le bus de Var­so­vie passe par des routes secon­daires en arri­vant à proxi­mi­té de Kyiv, car les routes prin­ci­pales sont par­tiel­le­ment impra­ti­cables. Je découvre une ville lugubre : bar­ri­cades, sacs de sable, éclai­rage noc­turne éteint pour ne pas gui­der les avions, couvre-feu à 21 heures, maga­sins fer­més, vitres cal­feu­trées… La tem­pête d’informations décou­sues que j’avais eues depuis un mois est mise en pers­pec­tive par les témoi­gnages de mes col­lègues. Les pre­miers jours et semaines, les Russes étaient par­tout : para­chu­tés au nord de la ville, à Vas­syl­kiv, au sud de la ville et même dans Kyiv ; des tirs reten­tis­saient par­tout – la police s’était jointe à l’armée, mais éga­le­ment les civils qui pos­sé­daient des armes. Il semble que les Russes étaient tel­le­ment per­sua­dés que les Ukrai­niens les atten­daient avec des fleurs qu’ils ont envoyé en pro­fon­deur de manière extrê­me­ment expo­sée leurs para­chu­tistes – leurs troupes d’élite – et les ont per­dus. Mes employés sont éga­le­ment trau­ma­ti­sés par les évé­ne­ments de Bout­cha, qui venait d’être libé­rée. 30 % à 40 % d’entre eux habitent dans ces ban­lieues de Kyiv que sont Bout­cha-Irpin-Hosto­mel. Tous ont leur his­toire, de vio­lence ou de pillage – y com­pris de curio­si­tés comme des cabines de douche ou des sous-vête­ments fémi­nins… Pen­dant mon séjour, le Mosk­va est cou­lé… le len­de­main un mis­sile s’abat sur l’usine où étaient fabri­qués les fameux « Nep­tune » qui l’ont atteint ; un de nos chan­tiers, situé sur la par­celle voi­sine, est souf­flé. Plus de vitres sur nos engins de chan­tier… Après quelques mois, nous avons répa­ré nos engins et repris les travaux.

Une puissance russe démythifiée

Beau­coup de mes ouvriers sont par­tis au front, cer­tains sont bles­sés, d’autres ont été tués… L’état d’esprit de la popu­la­tion est de sor­tir les Russes du ter­ri­toire – il n’y aucun com­pro­mis pos­sible. Si le sujet de la Cri­mée dans les pre­miers mois était un peu incer­tain – au regard des ambi­tions de recon­quête ukrai­niennes, aujourd’hui elle y figure. La menace que repré­sente la Rus­sie est com­plè­te­ment démy­thi­fiée ! La cam­pagne russe pour faire s’effondrer le sys­tème éner­gé­tique ukrai­nien à la suite de l’attaque du pont de Cri­mée, si elle a eu quelques effets au début, appar­tient désor­mais au pas­sé. Il n’y a pas eu de cou­pure d’électricité à Kyiv depuis un mois. Les attaques de mis­siles s’espacent et les alertes sont sou­vent igno­rées par la popu­la­tion. La capi­tale est com­plè­te­ment rouverte.

Construire l’avenir !

Aujourd’hui, le scé­na­rio de fin de conflit est incer­tain, ain­si que sa durée. Un sem­blant de nor­ma­li­té de vie est reve­nu dans la zone éloi­gnée de la ligne de front et la capa­ci­té de nui­sance de la Rus­sie y est désor­mais faible. Et il appa­raît très peu pro­bable qu’elle puisse encore avan­cer de manière sub­stan­tielle. Il est donc temps de s’intéresser à l’Ukraine comme hori­zon d’investissement. Dans la recons­truc­tion qui arrive, les consé­quences d’être arri­vé un peu tôt seront bien moins impor­tantes que les consé­quences d’être arri­vé un peu trop tard.

2 Commentaires

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Jaquard Phi­lipperépondre
11 mai 2023 à 15 h 38 min

Mer­ci de ce bref article qui résume si luci­de­ment ce qui se passe à nos portes depuis quelques années… On ne s’en est ren­du compte que tardivement..
Tu as, en plus de talents d’en­tre­pre­neurs dont je ne doute pas, celui d’être un excellent his­to­rien jour­na­liste. Ton article devrait aller au-delà de notre revue polytechnicienne.
Ta conclu­sion, pleine d’op­ti­misme est géniale.
Je t” adresse un immense mer­ci pour ce témoi­gnage et sou­haite pour toi et pour tous tes col­la­bo­ra­teurs confron­tés à cette situa­tion si par­ti­cu­lière, plein suc­cès à l” entre­prise que tu as créée.

Kapel­tirépondre
10 juin 2023 à 17 h 15 min

Un point de vue « ter­rain » certes inté­res­sant et repré­sen­ta­tif de ce que pense et a vécu une par­tie de la popu­la­tion ukrai­nienne, mais occulte (invo­lon­tai­re­ment je l’es­père) une grande par­tie de l’é­chi­quier qui se joue au niveau géos­tra­té­gique mon­dial aux dépens de la popu­la­tion. Quelques élé­ments de contexte sup­plé­men­taires, non exhaus­tif, que je laisse à la saga­ci­té du lec­teur pour conti­nuer ses propres recherches et sur­tout se faire sa propre idée dans une recherche objec­tive de vérité :
– 1991 : auto­no­mie de la Cri­mée, qui se pro­clame « répu­blique autonome »
– 1992 : la Cri­mée pro­clame son indé­pen­dance (qui devait être approu­vée par un réfé­ren­dum pré­vu le 2 août 1992) et intro­duit la pre­mière consti­tu­tion de la Cri­mée. Mais dès le len­de­main, la Cri­mée ajoute dans sa consti­tu­tion que son ter­ri­toire fait par­tie de l’U­kraine. Le 13 mai, le par­le­ment d’U­kraine annule la décla­ra­tion d’in­dé­pen­dance et ordonne au par­le­ment de Cri­mée de faire de même (sous une semaine). En juin 1992, les deux par­le­ments par­viennent enfin à un accord, et la Cri­mée béné­fi­cie d’un sta­tut de répu­blique auto­nome. La répu­blique auto­nome de Cri­mée aura une auto­no­mie admi­nis­tra­tive et ter­ri­to­riale, au sein de l’U­kraine. Elle déci­de­ra en toute indé­pen­dance sur les ques­tions sou­mises par le Conseil consti­tu­tion­nel de l’Ukraine.
– 1994 : En mai 1994, le par­le­ment de Cri­mée vote le retour à la consti­tu­tion de mai 1992. En sep­tembre 1994, le pré­sident de la Cri­mée, Mech­kov, en accord avec son par­le­ment, décide de réécrire une nou­velle consti­tu­tion. Le 5 décembre 1994, le mémo­ran­dum de Buda­pest signé entre la Rus­sie et l’U­kraine garan­tit l’in­dé­pen­dance et l’in­té­gri­té ter­ri­to­riale de l’U­kraine. Le 17 mars 1995 le par­le­ment d’U­kraine abo­lit la consti­tu­tion de 1992 et de fac­to la léga­li­té du Pré­sident de la Cri­mée. De juin à sep­tembre 1995, c’est le pré­sident d’U­kraine Leo­nid Koutch­ma qui gou­verne direc­te­ment la Cri­mée par décrets pré­si­den­tiels. En octobre 1995, le par­le­ment de Cri­mée vote une nou­velle consti­tu­tion, encore une fois contes­tée par les auto­ri­tés ukrai­niennes, jus­qu’en avril 1996, après bien des amen­de­ments. Une seconde consti­tu­tion de la Cri­mée, don­nant moins d’au­to­no­mie, est fina­le­ment rati­fiée par le par­le­ment de Cri­mée, le 21 octobre 1998.
– 1994 : Rap­pel impor­tant pour la suite : mémo­ran­dum de Buda­pest sti­pu­lant que la Rus­sie, les États-Unis et le Royaume-Uni s’en­gagent, en contre­par­tie de l’adhé­sion de l’U­kraine au Trai­té sur la non-pro­li­fé­ra­tion des armes nucléaires et de l’a­chè­ve­ment du trans­fert de son arse­nal nucléaire à la Rus­sie, à res­pec­ter l’in­dé­pen­dance et la sou­ve­rai­ne­té ukrai­nienne dans ses fron­tières actuelles, s’abs­te­nir de toute menace ou usage de la force contre l’U­kraine, s’abs­te­nir d’u­ti­li­ser la pres­sion éco­no­mique sur l’U­kraine en vue d’in­fluen­cer sa politique.
– 2004 Révo­lu­tion Orange : au second tour du scru­tin, les résul­tats offi­ciels donnent Ianou­ko­vitch élu chef de l’État, mais d’importantes contes­ta­tions contre des fraudes élec­to­rales pré­su­mées ont lieu dans les régions de l’Ouest du pays et dans la capi­tale, Kiev. Pour sor­tir de l’im­passe poli­tique, le pré­sident Koutch­ma fait orga­ni­ser un nou­veau second tour de l’élection pré­si­den­tielle. Ce nou­veau scru­tin, qui se tient le 26 décembre 2004, voit la vic­toire de Vik­tor Iouchtchenko.
– 2010 : Élec­tions pré­si­den­tielles gagné par Ianou­ko­vitch ; le résul­tat est jugé « trans­pa­rent et hon­nête » par les obser­va­teurs de l’OSCE.
– 2013 : Dis­cours de Vic­to­ria Nuland : « Depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991, les Etats-Unis ont sou­te­nu les Ukrai­niens dans le déve­lop­pe­ment d’institutions démo­cra­tiques et dans la pro­mo­tion de la socié­té civile et de la bonne gou­ver­nance, condi­tions néces­saires à la réa­li­sa­tion, par l’Ukraine, de ses aspi­ra­tions euro­péennes. Nous avons inves­ti plus de 5 mil­liards de dol­lars pour aider l’Ukraine dans ces objec­tifs qui garan­ti­ront une Ukraine sûre, pros­père et démocratique ».
– 2013 : Révo­lu­tion de l’Eu­ro­Mai­den, avec comme mot d’ordre la démis­sion du pré­sident Ianou­ko­vytch. La légi­ti­mi­té de Ianou­ko­vytch est d’au­tant plus remise en cause après la mort de 75 mani­fes­tants tués par balle le jeu­di 20 février 2014.
– 2014 (jan­vier): Conver­sa­tion télé­pho­nique inter­cep­tée et enre­gis­trée via les wiki­leaks, de Nuland avec l’am­bas­sa­deur ame­ri­cain en Ukraine : ces enre­gis­tre­ments révèlent les ingé­rences gros­sières des US dans le coup d’É­tat (« fuck the UE » : il faut accé­lé­rer le coup d’é­tat, quitte à ne pas deman­der l’a­vis des alle­mands et des fran­çais). Nuland exige qui seront les ministres du gou­ver­ne­ment de l’a­près coup d’É­tat ; ses sou­haits ont tous été res­pec­té 1 mois après le coup d’É­tat, avec 4 ministres néo­na­zis de svo­bo­da et un grand chef qui devait res­ter en dehors car sera plus utile…
– 2014 (février): troubles pro-russes anti Maï­dan et début de la guerre civile du dombass
– 2014 (mars): Annexion de la Cri­mée par la Russie
– 2014 (avril-mai): mas­sacre d’O­des­sa contre des mani­fes­ta­tions anti Mai­dan ; pour­chas­sés, des mani­fes­tants pro-russes sont brû­lés vifs dans la mai­son des syn­di­cats d’O­des­sa ; insur­rec­tion sépa­ra­tiste pro-russe armée dans le Dom­bass, inter­ven­tion de l’ar­mée Ukrai­nienne, bombardements.
– 2015 : accord de ces­sez-le-feu Minsk II, non respecté.
– 2018–2021 : rap­ports ONU et d’ONG peu sus­cep­tibles de com­plai­sance envers la Rus­sie (Human Right Watch, OFPRA, etc…) dénon­çant les agis­se­ments des bataillons para­mi­li­taires néo­na­zis Azov, Aidar, Tor­na­do (ces der­niers fina­le­ment dis­sous car fil­mer des viols et tor­tures dépas­sait tout enten­de­ment), Sec­tor Droit.
En octobre 2019, 40 membres du Congrès amé­ri­cain, à l’initiative du dépu­té démo­crate Max Rose, ont signé une lettre deman­dant au Dépar­te­ment d’État amé­ri­cain (équi­valent du minis­tère des Affaires étran­gères) de dési­gner Azov comme une orga­ni­sa­tion ter­ro­riste étran­gère, sans succès.
2022 : inten­si­fi­ca­tion des bom­bar­de­ments ukrai­niens dans le Dom­bass, témoi­gnages et docu­men­taires dénon­çant le bom­bar­de­ment de popu­la­tions civiles soup­çon­nés de pro­pa­gande pro-russe, inva­sion de la Russie.

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