La guerre, mon père
L’armistice de 1940 trouve Jean Gatard1 (X 1928) officier d’artillerie coloniale au Maroc, récemment muté au Service de renseignements de l’état-major de Casablanca.
Ses contacts le conduisent à rentrer en Métropole en 1941, d’abord à Clermont-Ferrand, puis à Limoges. Il s’y perfectionne dans la technique du renseignement, au sein de l’organisation secrète dite “ Travaux ruraux ”, créée dès l’armistice.
Il est en contact avec le mouvement Combat, fait partie du réseau Marco-Polo et de l’ORA. Trahi, sans doute par deux agents doubles, il est arrêté à Limoges le 26 mai 1943 par la Gestapo. Une semaine après son incarcération à Limoges, il tente de s’évader, après avoir étranglé à moitié une sentinelle. Dans sa chute du haut d’un mur de 7 mètres, il se blesse aux deux chevilles et est repris. Pendant le début de son séjour à la prison de Limoges, il réussit à correspondre clandestinement avec sa femme. Elle prendra connaissance plus tard de son agenda, qu’il continue à tenir.
Le 23 juillet 1943, la Wehrmacht le “ kidnappe ” à la Gestapo et le transfère au fort Montluc, à Lyon. Le 27 juillet s’ouvre son procès devant une cour martiale, procès portant uniquement sur sa tentative d’évasion. Il est défendu par un avocat allemand commis d’office qui aura le courage de dire de lui que “ selon la conception française, c’était un héros recherchant sa liberté ”. Mais le décret Nacht und Nebel ne laissait aux juges que l’alternative de le tuer ou de le remettre à la Gestapo. Il fut donc condamné à mort et fusillé le 6 août 1943.
L’aînée de ses filles, Marie, née en 1932, est donc une enfant à l’époque de la vie clandestine de son père et de la fin tragique de celui-ci. On ne lui dit pas tout, mais elle comprend beaucoup de choses.
Devenue journaliste et écrivain, elle écrira, trente-cinq ans plus tard, ce livre dont la première édition date de 1978. Elle y mêle, avec un rare talent, les faits (qu’elle a pu apprendre par la suite) à ses sentiments et réflexions de petite fille, y compris pour la période qui suivit la mort de son père, jusqu’à la libération de Paris, où sa famille était revenue, et à des scènes d’épuration auxquelles elle a assisté.
Le travail de deuil a été long, très long. Elle raconte comme elle fut révulsée – jusqu’au fou rire – par une dame “ bien ” qui lui disait : “ C’était avant l’accident de ton pauvre cher papa. ” Écrit dans un style d’une grande justesse, plein de douleur pudique et d’amertume, ce livre émouvant est d’un vrai écrivain.
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1. Il était le fils de l’amiral Gaston Gatard (X 1891).