La guerre, mon père

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°572 Février 2002Par : Marie GatardRédacteur : Gérard BRUNSCHWIG (43)

L’armistice de 1940 trouve Jean Gatard1 (X 1928) offi­cier d’artillerie colo­niale au Maroc, récem­ment muté au Ser­vice de ren­sei­gne­ments de l’état-major de Casablanca.

Ses contacts le conduisent à ren­trer en Métro­pole en 1941, d’abord à Cler­mont-Fer­rand, puis à Limoges. Il s’y per­fec­tionne dans la tech­nique du ren­sei­gne­ment, au sein de l’organisation secrète dite “ Tra­vaux ruraux ”, créée dès l’armistice.

Il est en contact avec le mou­ve­ment Com­bat, fait par­tie du réseau Mar­co-Polo et de l’ORA. Tra­hi, sans doute par deux agents doubles, il est arrê­té à Limoges le 26 mai 1943 par la Ges­ta­po. Une semaine après son incar­cé­ra­tion à Limoges, il tente de s’évader, après avoir étran­glé à moi­tié une sen­ti­nelle. Dans sa chute du haut d’un mur de 7 mètres, il se blesse aux deux che­villes et est repris. Pen­dant le début de son séjour à la pri­son de Limoges, il réus­sit à cor­res­pondre clan­des­ti­ne­ment avec sa femme. Elle pren­dra connais­sance plus tard de son agen­da, qu’il conti­nue à tenir.

Le 23 juillet 1943, la Wehr­macht le “ kid­nappe ” à la Ges­ta­po et le trans­fère au fort Mont­luc, à Lyon. Le 27 juillet s’ouvre son pro­cès devant une cour mar­tiale, pro­cès por­tant uni­que­ment sur sa ten­ta­tive d’évasion. Il est défen­du par un avo­cat alle­mand com­mis d’office qui aura le cou­rage de dire de lui que “ selon la concep­tion fran­çaise, c’était un héros recher­chant sa liber­té ”. Mais le décret Nacht und Nebel ne lais­sait aux juges que l’alternative de le tuer ou de le remettre à la Ges­ta­po. Il fut donc condam­né à mort et fusillé le 6 août 1943.

L’aînée de ses filles, Marie, née en 1932, est donc une enfant à l’époque de la vie clan­des­tine de son père et de la fin tra­gique de celui-ci. On ne lui dit pas tout, mais elle com­prend beau­coup de choses.

Deve­nue jour­na­liste et écri­vain, elle écri­ra, trente-cinq ans plus tard, ce livre dont la pre­mière édi­tion date de 1978. Elle y mêle, avec un rare talent, les faits (qu’elle a pu apprendre par la suite) à ses sen­ti­ments et réflexions de petite fille, y com­pris pour la période qui sui­vit la mort de son père, jusqu’à la libé­ra­tion de Paris, où sa famille était reve­nue, et à des scènes d’épuration aux­quelles elle a assisté.

Le tra­vail de deuil a été long, très long. Elle raconte comme elle fut révul­sée – jusqu’au fou rire – par une dame “ bien ” qui lui disait : “ C’était avant l’accident de ton pauvre cher papa. ” Écrit dans un style d’une grande jus­tesse, plein de dou­leur pudique et d’amertume, ce livre émou­vant est d’un vrai écrivain.

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1. Il était le fils de l’amiral Gas­ton Gatard (X 1891).

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