La Khômiss quand la Khômiss n’existait pas : le Déconomicron (72−73)
Les auteurs ont eu pour complices : Denis Champart, Bernard Crumeyrolle, Denis Flory et Christian Thomas (tous X72) pour les textes et Jean-Luc Dechoux, Dominique Kirsner, Marc Giraud et Daniel Vaulot (tous également X72) pour l’icônographie.
Publié le 1er septembre 2015 sur Kablages
Préambule, par Serge Delwasse (86)
L’histoire officielle de la Khômiss est décrite dans La Khômiss fait son koming-out. Elle est simple : créée en 1810, elle a existé sans interruption jusqu’à la promotion 68, puis elle a sombré dans les affres de l’après mai-68, jusqu’à la promo 86 qui l’a fait renaître de ses cendres. Elle a été définitivement et éternellement dissoute le 9 juin 2013 par une décision de Marion Guillou (Xette73). End-of-story.
Quelle ne fut ma surprise, un jour de juin 2014, de recevoir un mail relativement sibyllin de Labat (X73) :
« je n’ai pas répondu sur les grèves (note : il s’agit de l’article A l’X, les Jaunes ne brisent pas les grèves, ils les font !), parce que je n’en ai aucun souvenir. En revanche, je me souviens que les dernières promos de la Montagne Sainte-Geneviève ont eu à subir une tentative de reprise en main par la mili, après mai 68. J’en ai longuement parlé avec Michel Kasser, du Déconomicron de la 1972 (je faisais partie de celui de la 73), et nous avons reconstitué l’histoire du mât des couleurs. »
C’est quoi le DéKonomiKron ?- rien que le nom donne envie de livrer aux flammes un K géant… Note : dans tous le texte, les commentaires en italiques sont de moi.
Philippe Labat m’a répondu :
Le Déconomicron pourrait être ce qu’on appelle maintenant Khômiss – Khômiss était un mot inconnu en 1974–1975. Généralement peu nombreux. Dans ma promo, à part A… et moi, je ne me souviens plus qui en faisait partie… Je pense que le Déconomicron n’a existé que le temps de quelques promos, entre mai 68 et l’exil à Palaiseau.
Normalement, il y avait transmission du témoin d’une promo à l’autre, mais à mon époque la mili s’arrangeait pour que les deux promos cohabitent le moins possible : stage ouvrier, stage en entreprise, manœuvres, etc.
C’était une période où tout le monde se cherchait : les élèves (c’est vrai qu’il y avait des cellules fortement politisées) comme la mili. Je garde pourtant un bon souvenir du général Briquet, qui aurait pu nous mettre au trou sur longue durée, A… et moi, pour avoir – vainement – tenté de perturber la présentation au drapeau […]
Les promos post-68 et pré-Palaiseau ont vécu une époque bizarre, où tout était à réinventer. Je présume que les promos 1975 et suivantes doivent penser la même chose après le déménagement de l’École.
Comme tout ceci semble intéressant pour l’historien de l’X en général, et de la Khômiss en particulier. Un gag en prise d’armes ? Une période bizarre où tout est à réinventer ? Ça ressemble à des choses connues. Je me suis donc lancé dans la chasse aux témoignages. C’est tout d’abord Christian Thomas, kessier – nul n’est parfait. D’un autre côté, la kès et la khômiss, c’est un peu comme le PCF et la CGT, bonnet rouje et rouje cagoule… – qui nous donne la clé de l’intrigue :
« Bien sûr ! Le nom est issu de la référence au Nécronomicon de la science-fiction. ».
Je ne peux évidemment vous conseiller de cliquer sur le lien qui pointe vers l’article de Wikipedia. C’est incompréhensible. Mais c’est bon signe, la private joke un des attributs habituels de la Khômiss.
Je me tourne donc vers Michel Kasser (72), GénéDéconomiK officieux de cette kryptokhômiss :
« La situation était à la fois très similaire, et en même temps très différente, pour notre promotion 72 et pour une promotion bien plus récente. Très similaire, parce que nous étions extrêmement jeunes – ça n’a en effet pas changé –, très ignorants de la vie au sortir de ces deux ou trois années très intensives de taupe – ça n’a pas changé -, grisés par notre succès au concours – ça n’a pas changé – et croyant le monde à nos pieds– ça n’a pas changé –, le général ne cessant de nous rappeler que nous étions l’élite de la nation – ça n’a pas changé – : discours très difficile à digérer et à assumer à cet âge, et j’en connais bien qui d’ailleurs ne l’ont jamais fait, même longtemps après – ça n’a pas changé.
Et puis nous avions pour la première fois des filles dans la promotion, ce qui n’a plus changé ensuite – en effet…. Très différente, parce que la France sortait de Mai 68, et que l’X ne s’en était pas sortie indemne : un des élèves de la 71 évidemment taxé de « dangereux gauchiste » avait dépassé les 300 jours d’arrêt dans l’année – hélas, j’ai bloqué mon compteur à 130 –, et dans la 72 deux de nos camarades essayaient d’en faire autant, ayant complètement sous-estimé leur capacité à supporter notre situation militaire, pourtant bien édulcorée.
Toute forme de bizutage avait disparu – ça n’a pas changé –, nous ne croisions les 71 puis les 73 qu’en de rares occasions, toujours un peu par hasard. Régime d’internat, il fallait une permission pour sortir, et de facto une grosse ligne de séparation existait entre les provinciaux (avec les trains de cette époque, on ne pouvait traverser la France aller-retour chaque week-end) et les parisiens.
En fin de semaine, nous étions un groupe de provinciaux, n’ayant pas grand-chose à faire dans une enceinte fermée, et très naturellement nous avons formé une équipe qui cherchait à faire des choses, en général drôles, pas forcément faciles, mais en tous cas jamais méchantes, bref, à s’amuser– ça n’a pas changé.
Un de nos camarades kessiers – j’en déduis qu’il s’agit de Thomas – avait un léger penchant pour les choses occultes, il était navré d’avoir appris qu’il existait autrefois la Khômiss et qu’elle avait disparu, et l’idée était de faire quelque chose de ce genre. Il avait entendu parler d’un ouvrage d’occultisme nommé « necronomicon », et donc très naturellement, nous avons créé le « Déconomicron », cadre de nos distractions diverses.
Rassurons-nous, le coté occulte a été peu développé, il a consisté essentiellement à découvrir un plan des catacombes à l’école des Mines – tiens, eux aussi aimaient les souterrains.., à explorer celles-ci en de multiples occasions avec nos propres chemins d’accès, et ensuite à jouer avec les ossements que certains rapportaient de ces expéditions. Pour sortir plus facilement de l’école, nous nous sommes aussi attelés à la tâche de rouvrir une ancienne galerie communiquant avec les égouts de Paris, un très gros travail de creusement, mais ensuite nous pouvions sortir sans aucun problème, certes pas en tenue de soirée, mais au moins sans rien demander à personne.
Ensuite nous pouvions sillonner Paris par en-dessous, là encore une expérience assez distrayante. Ce sont des évènements anciens, mes souvenirs ne sont pas toujours très précis, mais je ne résiste pas à l’envie de raconter certains épisodes – que l’on pourrait aujourd’hui qualifier d’actions khômiss :
Le fameux mât des couleurs.
Nous sommes revenus de nos corps de troupe dans les locaux de l’école, en 1ère année, en février. L’administration militaire venait juste de décider de restaurer une coutume autrefois classique, celle de disposer d’un groupe d’élèves au pied du mât pour saluer le lever des couleurs chaque matin et chaque soir à 18 heures, ce qui fait qu’à cette heure-là, on voyait tous les élèves traverser la cour en sprint.
Le printemps conduisait inexorablement à un lever de plus en plus tôt pour chaque groupe d’élèves concernés, et notre tournure d’esprit restait extrêmement peu militaire. Nous avons donc décidé d’essayer d’empêcher cette cérémonie devenant décidément trop matinale. Un système d’extinction automatique des puissants projecteurs éclairant la cour était installé, utilisant une cellule photoélectrique destinée à couper la lumière lorsque le jour se levait.
Ces projecteurs à haute pression avaient une période de montée en puissance de plusieurs minutes. J’ai donc dans un premier temps modifié l’orientation de la cellule afin qu’elle soit éclairée directement par le projecteur, ce qui conduisait à son extinction dès qu’il se rallumait enfin, nous donnant dont deux bonnes minutes d’obscurité totale sur un cycle de l’ordre de 3 minutes. Ceci étant fait, nous nous sommes regroupés une bonne demi-douzaine, et avons carrément démonté à toute vitesse le mât des couleurs.
Mais qu’en faire ? Après une course-poursuite avec le veilleur de nuit, nous avons caché le mât dans une des corniches de la galerie couverte allant de notre bâtiment vers la Boite à Claques, et il n’y a été retrouvé qu’au bout de plusieurs jours, n’attirant guère le regard en cette place. Hasard ou pas ? Suite à cet épisode, nous avons cessé d’être sollicités pour assister au lever des couleurs…
Cette action d’éclat est également décrite par Labat :
C’est lors du passage du Déconomicron de la 72 à la 73 que la 72 a exprimé son ras-le-bol de [la] corvée [des couleurs], et suggéré de descendre le mât des couleurs. Après la fondue bourguignonne aux épées – ça existe toujours, ça s’appelle le magnan tangente – nous sommes allés descendre le mât.
Malheureusement, un rondier nous a surpris alors que nous approchions, avec le mât à l’horizontale, moi à l’arrière droit, de la porte du bâtiment de la 72, prêts à placer le mât dans l’amphi Poincaré (au privilège de l’âge, c’est l’amphi de la 72 qui avait été choisi). Ni une, ni deux, nous avons laissé tomber le mât par terre, et nous sommes dispersés dans toutes les directions (à noter que le rondier a été assez bête pour se placer au milieu du mât, ce qui nous a donné les quelques mètres suffisants pour le semer ; personnellement, j’aurais mis le grappin sur l’un des 4, pour être sûr d’en tenir au moins un…).
Mon souvenir s’arrête là, mais Michel Kasser se souvient que la 72 est revenue un peu plus tard, récupérer le mât, pour aller le planquer dans un chéneau au dessus de la Boîte à Claque. Il a fallu 3 jours à la mili pour le retrouver…
Nous étions donc en régime d’internat, avec autorisation nécessaire pour sortir le soir.
Nous jugions cette situation déplaisante, nous voulions entrer et sortir à notre guise, bien évidemment. Certains « faisaient le mur », mais il fallait être bon grimpeur, et l’opération était dangereuse, quant aux égouts, le plaisir de voir des gros rats de près était grand, mais c’était quand même un peu spécial et il avait fallu bien du temps pour établir cette sortie.
Une autre solution consistait à obtenir une des clés du portail de l’infirmerie, rarement surveillé, mais ces clés pirates étaient peu nombreuses. Toutefois, un de nos camarades s’étant fait pincer avec une de ces clés, l’administration décida de changer la serrure, ce qui était son droit, mais aussi de nous en imputer la dépense (retenue sur nos soldes) – ça n’a pas changé –, ce que nous avons jugé inadmissible – ça non plus-. La riposte s’est faite en plusieurs actes, mais assez rapidement.
Tout d’abord, un de nos camarades particulièrement doué a fait, avec le soutien actif des ateliers de mécanique, un outil permettant de trouver la position des dents de la clé à 6 pans de cette serrure de haute sécurité. Installé discrètement devant la porte, après quelques heures de patience, il a obtenu la position de ces 6 pans qui permettait l’ouverture. Ensuite, un autre camarade dont le père était artisan a pu acheter, avec le papier à en-tête de son entreprise, une centaine de matrices pour cette clé, et nous avons organisé un atelier avec une petite meule pour tailler ces clés une par une. Lorsque nous en avions taillé une dizaine, nous allions les essayer sur la porte, puis nous les revendions à nos camarades les jours suivants – je confirme que les missaires ont toujours bien aimé les clés-.
Enfin, nous avons organisé notre opération de com, un camarade très adroit a réalisé une petite boîte en bois précieux, une de nos camarades-filles a cousu un magnifique petit coussin en velours grenat, et nous avons fait dorer une des clés. Nuitamment, nous avons laissé cette clé sur son coussin de velours dans la boîte ouverte, sur la table du commandant, avec un message du style « la promo 72 est heureuse de vous offrir le 100e exemplaire de la clé de l’infirmerie ». Je crois que le cadeau a été apprécié, il est resté sur le bureau du commandant en bonne place, mais en tous cas plus jamais on ne nous a changé la serrure…
A une occasion – à une seule ? ça a changé – nous n’avons pas été contents de notre commandant.
Notre groupe a contre-attaqué dès le lendemain. Nous avons récupéré des briques et du ciment et, pendant la nuit, entre deux passages du veilleur de nuit, nous avons complètement muré la porte de son bureau – toutes les promos l’ont fait, quasiment. Variantes : transformer le bureau en piscine, en écurie, en cage de zoo… .
Auparavant, j’avais fixé son képi au plafond grâce à un pistolet agrafeur qui me restait du point Gamma. Le matin, il n’a évidemment pas pu entrer, il est resté ainsi quelque temps en civil (son uniforme était dedans…), son képi inaccessible mais bien visible par les ouvertures vitrées en haut des cloisons…
Nous n’avions pas été accueillis par la 71,
et donc l’ensemble de l’organisation permettant l’accueil n’avait plus de bases. C’est donc bien trop tardivement que nous nous sommes rendus compte que les 73 allaient être là, c’était à quelques jours seulement de leur arrivée à la Montagne Sainte-Geneviève.
Nous ne voulions pas louper cet évènement, et pour autant nous n’avions que notre petit groupe pour essayer de s’organiser en urgence. Nous nous sommes décidés à lâcher des poules depuis le plafond de l’amphi – nous c’était des souris – (zone que nous connaissions parfaitement…– nous aussi –), nous avions prévu qu’elles devaient être bleu-blanc-rouge. Nous sommes donc partis dans la Brie voisine avec ma voiture, à la recherche d’une ferme. Au hasard, nous avons acheté trois poules, avec comme seule spécification : « bien blanches », qui rendit le fermier assez dubitatif.
De retour, nous avons constaté combien il est difficile de mettre du bleu et du rouge sur des plumes, et après bien des essais, le mercurochrome a donné un rouge acceptable, pour le bleu je ne me souviens plus trop. Puis le lendemain, nous sommes montés dans la verrière de l’amphi, et une fois le général devant les 73, nous avons lâché les 3 poules. Catastrophe ! Nous ne connaissions rien à ces volatiles, et nous avons omis de leur délier les pattes. Résultat, elles ont volé très mal, ce qui a beaucoup gâté l’effet escompté… – rassure toi, nous aussi, nous nous sommes plantés avec nos souris parachutistes.
Suite à je ne sais trop quelle attitude collective jugée comme irrecevable,
nous devions recevoir le lendemain un amphi du général pour nous passer un savon. Décidés à ne pas nous laisser faire sans réagir, nous avons décidé de démonter entièrement les bancs et tables de l’amphi Poincaré, un amphi respectable en bois massif, vissés sur des structures métalliques à l’ancienne.
Bernard Crumeyrolle précise d’aillleurs : « Le démontage des bancs de l’amphi a mobilisé plusieurs dizaines de petites mains et pas seulement la brève liste des [auteurs de ce billet] ». Armés de gros tournevis, nous nous attaquons à la tâche en début de soirée, mais nous nous inquiétons du bruit qui va immanquablement attirer le veilleur de nuit. Alors un de nos amis de la 71, excellent pianiste et claveciniste, s’est dévoué pour jouer continuellement sur le piano à queue de l’amphi une bonne partie de son répertoire.
Dans l’ombre, il ne voyait pas trop ce que nous faisions, mais une fois tout terminé, il a enfin compris l’opération, et l’a saluée d’un rire homérique dont je me souviens encore. Bien évidemment, ceci a annulé l’amphi du lendemain, mais le général n’a pas manqué de faire faire le remontage de tout l’amphi dans les jours qui ont suivi, et il nous a imputé collectivement les frais de remontage –ça n’a pas changé –, ce qui a médiocrement plu à nos camarades – ça n’a pas changé non plus…
Au printemps, venait la saison des manœuvres,
nous devions être transportés sur un site inconnu pour y faire une longue opération de terrain, pendant trois jours, avec divers relais soigneusement prévus. Mais nous ne pouvions pas accepter une telle opération, dans laquelle nous étions entièrement passifs, pour nous trouver jouant aux soldats : nous étions très largement incapables d’en voir l’intérêt, et personne n’avait d’ailleurs envisagé de nous l’expliquer.
Nous avons donc décidé d’organiser notre propre manœuvre, une contre-manœuvre en quelque sorte. Mais pour ça il fallait connaître les plans de la manœuvre… Une nuit, nous formons un petit commando, je me débrouille pour rentrer dans le bureau du commandant concerné en passant par la fenêtre. Raté, je me fais repérer par le veilleur de nuit, ce qui m’a permis plus tard de passer deux jours d’arrêt. Mais c’est ainsi que nous avons pu voir les plans de la manœuvre, et une fois le site connu, tout est devenu simple.
Le week-end auparavant, une bonne partie de la promo étant d’accord, nous partons avec nos voitures, nous les laissons à proximité du point où nous allons être déposés par les camions militaires. Entre temps, nous avions reconnu le site où nous allions rester les trois jours et deux nuits, la clairière de Bretoncelles. Et une fois la manœuvre commencée, nous avons disparu des écrans de notre encadrement, pour faire une grande fiesta dans cette clairière, où personne ne pouvait nous déranger.
Problème toutefois, nous n’avions pas identifié les points précis où nous devions nous faire récupérer par les camions, nous savions juste que c’était sur la route de Mortagne à Bellême. Nous avons donc fait des allers-retours jusqu’à trouver nos camions. Et au retour, évidemment, amphi très prévisible du général qui, sans surprise, était dans une colère noire : il avait perdu ses troupes pendant 3 jours sans aucune idée d’où les retrouver.
Mais surtout, un de nos camarades avait eu un grave accident, en loupant un virage avec sa 2CV. Alertés, les gendarmes avaient trouvé la voiture écrasée, trois jeunes en treillis militaire avec des mitraillettes, et l’un était sérieusement blessé. On peut comprendre la suite…
le plan d’origine des manœuvres et le plan de la clairière
Je n’ai pas trouvé de photos des dites manœuvres, mais, grâce à Marc Giraud (72), je vous mets quelques phots les précédentes, nommées « Loiret 73 » – « Eure 74 », « Loiret 73 », vous noterez l’imagination débordante du commandement militaire de l’Ecole – Comme vous pouvez le voir, l’atmosphère est guerrière !
C’est ça qui est bien avec internet, il suffit que j’écrive « je n’ai pas trouvé de tofs – yo, je suis djeun – des manoeuvres de 74 » pour qu’on m’en fasse passer. Je vous mets donc un « pris sur le vif » de « Eure 74 ». Comme vous le constaterez, l’ambiance est de plus en plus martiale. Heureusement que les Russes n’ont pas attaqué…
En vue de l’amphi solennel du lendemain,
nous décidons de ne pas rester sans réagir. Le plafond du Poincaré était doté d’une verrière avec de grands carreaux carrés. En pliant des listings d’ordinateur à la bonne taille, nous dessinons dans le plafond un message, sous forme de gros pixels, et dont la profondeur philosophique n’échappera à personne : « A poil la mili ». Lorsque l’adjudant entre pour annoncer le général, voyant ça au plafond en noir sur fond clair, il ferme le store de la verrière et là, imprévu, ça ressort en blanc sur fond sombre : imparable… C’est ainsi que nous avons reçu notre amphi d’engueulade par le général qui, ostensiblement, regardait par terre et devant lui, mais jamais vers le haut. Résultat, une note militaire très basse pour une bonne partie de la promotion, celle qui avait fait la contre-manœuvre. J’en connais qui ont raté le corps des Ponts à cause de ça, inconscients que nous étions…
Denis Champart, qui mentionne également trois autres points :
- La réalisation nocturne et discrète d’une boîte de nuit complète dans la chaufferie centrale de l’école, qui comportait un très grand local désaffecté ;
- L’existence du « baisodrome » – ça me choque énormément. et je te promets que ça a changé. depuis 86, la khômiss considère le sexe comme un sujet tabou –, un petit salon intime aménagé dans un petit local accessible exclusivement par une trappe. Je crois d’ailleurs que l’aménagement de ce petit éden remontait aux promos précédentes ;
- Une tentative de perturber la cérémonie de remise du drapeau à la promo : la veille, la mili avait peint tous les emplacements prévus pour les officiels participant à la cérémonie ainsi que les pointillés que le peloton du porte-drapeau puis les troupes devaient suivre. Il n’y avait aucune raison de laisser ça se dérouler nominalement.
Nous sommes donc descendus à 4, nuitamment, avons repeint en gris les traces blanches, avant de peindre de nouvelles traces blanches plus fantaisistes. Ainsi, l’emplacement du Ministre était déjà tout collé à celui du Général commandant l’École, et nous nous apprêtions à refaire les pointillés pour faire zigzaguer les troupes puis les faire rentrer dans la fanfare lorsque les vigiles nous sont tombé dessus.
Je me suis fait ainsi pincer avec mon camarade Xavier Michel – ça ne serait pas lui qui a été DG de l’École ? –, et tout cela s’est terminé, comme il se doit, au micral pour une semaine d’arrêts. Nos familles, venues à la cérémonie pour y admirer leurs fils défilant en GU, ont ainsi connu la honte d’apprendre que leurs enfants étaient au trou !
Ci-dessous quelques photos d’une prise d’armes, qui me semble être la présentation – et non la passation, ne pas confondre… – au drapeau de la 73.
Ledit Champart, donc, tempère : « Je confirme en effet avoir été membre du Déconomicron (si l’on peut dire, s’agissant d’un organisme tellement occulte que seules les activités concrètes au sein dudit organisme en établissaient virtuellement la carte de membre). Mais peut-on parler là d’activités « Déconomicron », même si c’étaient toujours les mêmes qu’on y rencontrait ? Aucune n’avait de « label » Déconomicron, puisque justement c’était un organisme occulte ! » On est bien dans le Canada Dry de la Khômiss…
La lecture du premier jet de ce papier, et surtout le témoignange de Kasser, rend une partie de sa mémoire à Labat :
A… et moi avons voulu perturber la cérémonie de la présentation au drapeau de la promotion, qui a eu lieu un dimanche de mars 1974 dans la cour de l’École, en présence des familles, mais aussi de Michel Debré. Nous avions prévu de faire exploser des grenades à plâtre et des fumigènes, sur les toits de l’École, au moment présumé du discours de Debré soit à 10 heures 10, l’heure de toutes les montres arrêtées.
L’idée était de dégoupiller les grenades, et de faire retenir la cuiller par un fusible de plomb, comme on en trouvait encore à l’époque : on entoure la grenade d’un tour de fusible, et on enlève la goupille. Nous sommes donc allés au sous-sol du BHV (et non pas à la Samaritaine, comme je l’ai écrit pour la rime) pour trouver le bon fusible. A… a, alors, sorti la grenade à plâtre de sa poche pour tester les différents fusibles en vraie grandeur. Heureusement pour nous, le terroriste qui a balancé une vraie grenade à la Samaritaine l’a fait l’année d’après, sinon nous ne serions plus là pour le raconter…
Finalement, nous avons acheté un lot de fils fusibles (ça se présentait comme le fil à coudre qu’on donne dans les baise-en-ville de business class). La veille de la présentation au drapeau, nous avons testé combien de grenades nous pouvions mettre en parallèle sans faire sauter les plombs de l’installation électrique .A… s’est montré trop gourmand, et nous avons fait sauter une des deux phases de notre bâtiment, dans la nuit du samedi au dimanche – nous c’était le grand hall, en essayant de brancher la lumière dans le binet Khômiss.
Nous ignorions où se trouvait le disjoncteur, et il a fallu faire avec une seule phase. Par chance, en effet, le bâtiment était en biphasé ! Il a donc fallu changer complètement de méthode. Nous avons inventé un truc un peu limite : nous avons fait du monophasé en utilisant les tuyaux d’eau existants pour le retour du courant (aucun mérite jusque là, tout le monde l’a fait). La phase restante a été utilisée au mieux. Le fil de phase passait dans le remontoir d’un réveille-matin à l’ancienne, réglé sur 10 heures 10. A la sonnerie, le remontoir entamait sa rotation contra-horaire, et l’extrémité du fil de phase venait toucher un fil de cuivre dénudé, en forme de pantographe, relié aux tuyauteries de l’immeuble. Le fil de cuivre en question était en contact électrique parfait avec le fusible de la première grenade. On établissait ainsi un court-circuit, permettant la fusion du fusible.
La cuiller de la première grenade était, elle aussi, connectée à la phase unique. A la fusion du fusible, sa projection violente lui faisait percuter un deuxième pantographe, en cuivre dénudé, lui aussi relié aux canalisations d’eau de l’immeuble et au fusible de ga grenade suivante. Et ainsi de suite. Nous aurions pu mettre 10, 100, 1000 grenades en série, l’important étant que les cuillers percutent à chaque fois le pantographe suivant – si vous n’avez rien compris, ce n’est pas grave, il y a plein de métiers plus faciles qu’électricien ou artificier.
Cela aurait dû marcher – le nombre de fois que ça aurait dû marcher…
Il se trouve que je me suis fait gauler, dans les couloirs du quatrième et dernier étage, par un sous-lieutenant, dont on se demandait ce qu’il foutait dans les couloirs à 4 heures du matin. Il a pris mon nom et m’a laissé repartir. Dans la cour, A… et moi avons attendu avec une grande impatience l’heure des horloges arrêtées, mais rien n’est venu.
Ce n’est que le lendemain, lundi matin, que A… et moi avons appris que nous étions immédiatement convoqués, en grand uniforme – en français, on dit GU –, chez le général Briquet. Nous n’en menions pas large, ni l’un ni l’autre, mais quand le général nous a demandé si nous savions pourquoi nous étions là, j’ai immédiatement répondu oui.
Désarçonné, comme le sont ceux qui s’attendent à des dénégations plus ou moins convaincues, il nous a alors fait un long discours, comme quoi l’École ceci, Michel Debré cela, etc. Mais au moment de conclure, et ça, c’est le truc génial qu’on n’oublie pas de sa vie entière, il nous a dit (en plus ampoulé) : « les mecs, c’était quand même drôlement bien foutu, votre truc… ». A… et moi nous en sommes tirés sans la moindre sanction.
Avec le recul, et l’histoire de la Khômiss, je comprends que la déconne lors d’une telle cérémonie, ça fait partie de la règle du jeu, et qu’en quelque sorte, la promotion 1973 aurait infiniment déçu les autorités en ne tentant rien lors de cette cérémonie : l’inspection des toits aurait eu lieu, que je me fasse gauler ou pas. Naïfs que nous étions. Quand on vous dit que les gags en prise d’armes, les milis aiment ça…
L’affaire s’est achevée de façon bizarre. La pièce à conviction a été placée dans le bureau du capitaine de compagnie, Paul Bubendorf, au quatrième et dernier étage du bâtiment de la 73. Une nuit, un des fusibles a dû lâcher, et tout a explosé. La table de Bubendorf a été trouvée brisée en morceaux le lendemain.
Le fameux général Briquet semble en effet être un joyeux drille.
Du coup je ne peux m’empêcher de mettre une jolie fille à côté de lui, histoire de rendre ce papier un peu moins rébarbatif
Labat qui remet d’ailleurs en perspective :
« Il faut bien distinguer ce qui est « déconnages » et ce qui est politique. A notre époque, les deux se sont télescopés, mais il n’y avait, clairement, pas de confusion entre les deux.
J’avais fermement l’intention de déconner en entrant à l’École, mais aucune intention d’y faire de la politique. Outre les militants actifs du Parti communiste, et des quelques autres groupuscules d’obédience maoïste, trostkyste ou autre, il a fallu constituer une cellule de déconneurs, une sorte de « paléo-khômiss », de « néo-khômiss » ou de « proto-khômiss », au choix, sachant que nous ignorions tout de ce mot « khômiss » – comment, il y a des gens dans le monde qui ne savent pas ce qu’est la Khômiss ? – que je n’ai découvert récemment qu’au hasard de ma lecture de La Jaune et la Rouge – comment, La Jaune et la Rouje parle de nous ?
La difficulté est que nous provenions d’origines diverses, et que nous ne nous connaissions pas avant l’arrivée à l’École – ça n’a pas changé. La mili s’est arrangée pour que nous ne fassions pas trop connaissance les uns avec les autres, en nous réunissant sur la Montagne (je note avec plaisir que les camarades de la 72 utilisent, comme moi, le mot « exil » pour désigner la relégation sur le Platal – tiens, bizarre, ils ne connaissent pas Khômiss, mais ils connaissent Platal ? au fait, vous savez qu’il y a un super Magnan sur ledit plâtâl le 10 octobre ?) juste le temps nécessaire pour recevoir le paquetage et les uniformes, et pour choisir l’arme dans laquelle nous allions être affectés.
Nous avons ensuite fait 3 semaines au Larzac avant d’être dispersés dans les écoles d’application de l’armée – ça n’est plus le Larzac mais la Courtine, ça n’est pas mieux. Plus j’y pense, plus je me dis qu’il n’y avait que A… et moi pour la 73, alors que la 72 était venue en nombre. Je ne pense pas que la liste du Déconomicron 73 s’allongera dans les semaines et les mois qui viennent. Malheureusement.
Le caractère non-politique est d’ailleurs confirmé par Champart :
« Une remarque à laquelle je tiens et que Xavier Michel (qui est rentré dans le corps de l’Armée de terre à la sortie – j’ai ma réponse, c’est bien lui. Nous comprenons maintenant pourquoi le Général Michel a tellement apprécié la Khômiss.) ne contredira pas : les activités du Deconomicron étaient orientées vers un chahut, parfois potache, le plus souvent destiné à rappeler à la mili qu’ils n’étaient pas tout puissants à l’école, mais ils étaient considérés comme plutôt tradis par la mili, ce qui explique une certaine clémence lorsque nous nous faisions pincer.
En tout cas, elles ne revêtaient pas de caractère antimilitariste particulier, contrairement à ce que l’on pourrait croire. En particulier, le ralliement des 51 élèves de la 73 à l’appel des 100 était le choix individuel de certains élèves, mais n’est en aucun cas à assimiler au Deconomicron.
Ouf !
Trois conclusions se dégagent
Celle de Kasser : le Déconomicron a été le cadre de nos tentatives pour créer un minimum d’ambiance dans la promo. Mais la rupture de continuité entre les années successives a tout de même fait perdre une partie des liens qui auraient pu s’établir. Dommage tout de même… (Note de LABAT : je confirme : nous avons été nuls avec la 74)
Celle de Dechoux qui rassure : Je pensais qu’après 40 ans il y avait prescription, et que nous ne risquions plus d’être rattrapés pour ce douteux passé antimilitariste et déconstructif. D’un autre côté, la divulgation de ces forfaits aujourd’hui ne risque plus guère de compromettre le bon déroulement de nos carrières professionnelles – je confirme, avoir été missaire commence à ne plus porter préjudice à un CV après 10 ans.
Celle de votre serviteur : La période 68–75 à l’X est décidément diablement intéressante. Je m’efforcerai dans les mois à venir, d’écrire sur les thèmes suivants :
- Le déménagement
- Le GAS
- L’antimilitarisme
Je suis bien entendu preneur de tout document, témoignage, co-écriture, etc…
Les membres identifiés du Déconomicron
Promo 72
- Dévoilés
Michel Kasser GDK, Denis Champart, Bernard Crumeyrolle, Jean-Luc Dechoux, Denis Flory, Christian Thomas kessier - Non dévoilés
B…, M…, V…
Promo 73
- Dévoilé : Philippe Labat, GDK
- Non dévoilé : A…
Philippe Labat chante :
Le mât des couleurs (sur l’air de Supplique pour être enterré sur la plage de Sète)
Quelqu’un se souvient-il d’avoir piqué des deux,
Quand l’horloge affichait dix-huit heures moins deux
Alors qu’il traversait la cour ?
Le péquin trop distrait entendait le clairon
Et en marquant l’arrêt, se retrouvait marron,
Regrettant son aller-retour.
Pour un qui se grouillait, deux étaient en grand U
Choisis par l’adjudant, souvent à l’impromptu,
Pour porter le précieux objet.
Cet usage aboli voilà quelques années
Fut restauré pour nous, les promos bananées,
Ce qui justifie son rejet.
Après mai soixante-huit, la mili espérait
Que sa reprise en main des promos passerait
Bien comme une lettre à la poste.
Lassées de ces brimades et du bruit du clairon,
Les deux promos ensemble, au Déconomicron
Préparèrent une riposte.
Les Kasser et Champart, de la soixante-douze
Passèrent le témoin aux nouvelles barbouzes
Dans le Gay-Lussac, en cachette.
La fondue bourguignonne avec la sangria
C’est quand même un peu mieux que toute pizzeria
Quand l’épée vous sert de brochette.
La boisson avait bien fait monter la chaleur
Quand Kasser eut un mot pour le mât des couleurs
Qu’il fantasmait, criant « timber ».
Le groupe de pochtrons s’en alla dans la cour
Pour donner au bousin toujours plus de balourd
Jusqu’à s’en faire les tombeurs.
Le choix d’aller placer, dans l’amphi Poincaré,
Ce superbe trophée se vit contrecarré
Par un lieutenant en goguette.
Les porteurs de l’engin, un peu déconcertés
Firent tomber le mât, et sans se concerter,
Prirent la poudre d’escampette.
Le jeu s’arrêta là pour la soixante-treize,
Mais Kasser et les siens ranimèrent les braises
Pour le bonheur des insomniaques.
Ils passèrent le mât par tout leur bâtiment
Pour, dans un long chéneau, le planquer gentiment
Sur le toit de la Boîte à Claques.
La mili mit trois jours à retrouver l’engin
Si bien dissimulé par nos glorieux frangins,
Que nous eûmes quelque repos.
Mieux encore elle mit fin au foutu folklore
Qui voyait les conscrits se lever aux aurores
Pour aller hisser le drapeau.
Autre exemple de gag, en prise d’armes, toujours mis en vers par Labat :
La présentation au drapeau (à chanter sur l’air de l’Orage))
Un dimanche de mars, on eut droit au pipeau.
La promo fut alors présentée au drapeau,
Et joua à : « présentez armes »
Devant Michel Debré et un tas de pompeux,
Mais aussi des quidams et autres gens de peu,
Je parle des parents en larmes.
Pour perturber un peu cette pantalonnade,
Deux Bretons sur les toits préparaient la parade :
Du boucan et des fumigènes.
Pour trouver le fusible ad hoc pour la pochade,
A… dégoupilla tout de go sa grenade
En bas de la Samaritaine.
Pour leur plus grand malheur, l’un des artificiers
Fut surpris nuitamment par un sous-officier
En allant régler la pendule.
La mili alertée lança une inspection.
Elle vit sur les toits la pièce à conviction,
Et désamorça le bidule.
Le général Briquet, sans offenser ses cendres,
Aurait parfaitement eu raison de descendre
Les deux grands cons en uniforme.
Mais loin de là il eut un petit mot gentil
Et, excusez du peu, un bref clin d’œil subtil :
L’engin était vraiment énorme…
Le fin mot du dossier n’est pas dans les papiers :
Le paquet explosif, trouvé par les pompiers,
Fut rangé au dernier étage.
Bubendorf est témoin de ce fait vérifiable :bubendorf.png
En explosant la nuit, il lui brisa sa table,
Dans un joyeux remue-ménage.
Note : Bubendorf était l’un des capitaines de compagnie de la 73, localisé dans le Vaucluse à l’automne 2013, dans le but de l’inviter au 40ème anniversaire de la promo : intarissable sur Bir-Hakeim et le général Koenig, comme quoi ces gens que nous pensions imbuvables dans notre jeunesse sont des gens bien, avec le recul… commentaire de Delwasse : je confirme que les capitaines n’ont pas changé non plus, ils sont toujours beaucoup plus sympas quand ils sont retraités, ou généraux…