La leçon des champions cachés allemands
Selon l’Office fédéral des statistiques allemand (chiffres 2011), les montants des exportations par habitant permettent à l’Allemagne de se distinguer très nettement de tous les autres pays, avec près de 18 000 dollars par habitant.
La France (9 500) se place à un niveau comparable à celui d’autres pays comme le Royaume-Uni (7 600) et l’Italie (8 600), mais seulement à la moitié de l’Allemagne.
La part modeste des grands groupes
Les grands groupes sont-ils derrière ces écarts de performance à l’exportation ?
Le classement Fortune Global 500 (les cinq cents plus grosses entreprises du monde) montre que les grands groupes ne contribuent que partiellement à la performance d’un pays en termes d’exportations. Ce point clé est mis en lumière par la comparaison de la France et de l’Allemagne.
La différence cruciale est le rôle des entreprises moyennes
Avec 31 grands groupes, la France compte plus de sociétés dans le Fortune Global 500 (données 2013) que l’Allemagne (29). Ces 31 groupes français réalisent un chiffre d’affaires cumulé de 2 037 milliards de dollars, du même ordre de grandeur que celui de leurs équivalents allemands (2 072 milliards). De surcroît, en France, une grande part de ces champions nationaux sont des champions mondiaux : LVMH dans le luxe, Areva dans la technologie nucléaire, Michelin dans le pneumatique, L’Oréal dans la cosmétique, pour ne citer que quelques exemples.
La faiblesse relative des exportations françaises ne provient donc pas de ses grandes entreprises.
La Chine et l’Allemagne, très bien placées en termes d’exportations, se distinguent par le rôle des entreprises moyennes : 68 % des exportations chinoises sont réalisées par des entreprises de moins de 2 000 employés ; 70 % des exportations allemandes proviennent des entreprises dites du Mittelstand.
Les champions cachés
Les « champions cachés » sont des leaders de marché à l’échelle mondiale, définis selon trois critères : ils se placent dans le top 3 mondial ou sont numéro un sur leur continent ; ils réalisent moins de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires ; ils sont relativement mal connus du grand public. Nous avons identifié 2 794 de ces entreprises dans le monde, dont 1307 sont d’origine allemande. En France, nous comptons seulement 135 champions cachés. Les pays germanophones (Allemagne, Autriche, Luxembourg, Suisse) se distinguent clairement, avec 14 à 16 champions cachés par million d’habitants, alors que la France arrive à 1,9.
Les clés de la compétitivité
Pourquoi les entreprises de taille moyenne allemandes ont-elles autant de succès ? Les éléments clés de leur compétitivité sont la puissance d’innovation, la capacité de production, l’évolution du coût unitaire du travail et une présence mondiale.
Ambition et focalisation
À titre d’exemple, Chemetall, actuellement en tête des métaux spéciaux comme le lithium et le césium, a pour objectif de devenir le leader mondial en technologie et marketing. En forte croissance depuis 1995, Enercon est un acteur clé dans l’éolien, Brose dans les systèmes de portes pour les voitures, Leoni dans les systèmes de câbles et Cronimet dans le recyclage des métaux. L’entreprise Uhlmann explique sa stratégie de focalisation : « Nous n’avons toujours eu qu’un seul client et, à l’avenir, nous n’aurons toujours qu’un seul client : l’industrie pharmaceutique. Nous ne faisons qu’une seule chose, mais nous la faisons bien. » Flexi, qui produit des laisses souples pour les chiens, déclare : « Nous ne faisons qu’une seule chose, mais nous la faisons mieux que tous les autres. »
Selon l’Office européen des brevets (chiffres 2010), l’Allemagne a déposé 154 brevets par million d’habitants ; la France, 69 ; l’Italie, 37 et le Royaume-Uni, 29. Encore récemment, l’Allemagne était critiquée pour sa dépendance aux activités industrielles traditionnelles.
C’est aujourd’hui une clé de son succès à l’exportation et de l’excédent de sa balance commerciale. L’augmentation globale du coût unitaire du travail s’est établie à 6,3% sur les neuf dernières années.
En France, ce coût a progressé de 26 % (21,7 % en moyenne en Europe).
D’autres facteurs, au-delà du coût unitaire du travail, contribuent à la performance actuelle de l’Allemagne : le système d’apprentissage, die Lehre, unique au monde ; la marque made in Germany ; la maîtrise des langues étrangères (56% des Allemands parlent anglais contre seulement 36 % des Français) ; une plus grande ouverture vers l’international.
Les stratégies
Les 1 307 entreprises allemandes de taille moyenne considérées comme champions cachés ont créé un million de nouveaux emplois sur les dix dernières années. Elles croissent de 10 % par an. Leurs stratégies se distinguent par un leadership fort avec des objectifs très ambitieux ; des compétences internes dont l’innovation et des employés très performants ; des compétences externes autour de la focalisation sur un marché étroit et la proximité avec les clients.
La proximité du client
Hermann Simon et Stéphan Guinchard sont les auteurs de l’ouvrage Les champions cachés du XXIe siècle : Stratégies à succès.
Préface de Yvon Gattaz, publié aux Éditions Economica.
La plus grande force des champions cachés est leur proximité avec leurs clients. En moyenne, plus d’un tiers des employés ont des contacts réguliers avec leurs clients. L’entreprise Grohmann Engineering, producteur de systèmes d’assemblage pour la microélectronique, explique :
« Mon marché, c’est le top 30 des clients dans le monde ; ce sont les moteurs de notre performance ; ils ne sont jamais satisfaits et exigent toujours plus. »
Les prix pratiqués sont de 10% à 20% plus élevés que la moyenne de leur marché. Les champions cachés évitent les guerres de prix ; ils préfèrent se battre sur le terrain de la performance.
Pour un changement culturel
La France dispose de quelques champions cachés très performants. Citons Babolat, pour ses cordages de raquette, Bénéteau pour ses voiliers, Clextral dans la technologie d’extrusion, Rossignol Technologies pour ses tiges de commande de freinage ou Radiall pour ses connecteurs.
Ces entreprises parviennent à dominer parfaitement leur marché à l’échelle européenne ou mondiale, tout en étant localisées en France, avec un outil de production et des centres de recherche situés en France. Citons Laporte Ball-trap, qui exporte vers la Chine ses équipements de tir au pigeon. Mais ces entreprises restent bien trop rares.
La France doit promouvoir et renforcer ses entreprises de taille moyenne. Elle doit moins compter sur ses grands groupes. Se contenter de réduire les coûts ne suffira pas à rendre les entreprises françaises plus compétitives. Il faut un profond changement culturel au sein de la société française.
Les compétences
Chez un champion caché, il y a toujours plus de travail que de bras pour le réaliser. Être en sous-effectif est un très fort levier de productivité. La culture d’entreprise est axée sur une forte performance, un niveau de qualification élevé et un faible turnover, de l’ordre de 2,7 %. La moyenne en Allemagne est de 7,3 %. La France est bien au-dessus, à 11 %. Aux États- Unis, presque un tiers des employés quittent leur entreprise tous les ans, en emportant leur savoir-faire avec eux.
70% des champions cachés sont des entreprises familiales.
Leurs dirigeants affichent une forte identification à leur entreprise et à sa mission. Le style de leadership est ambivalent : autoritaire sur les principes mais participatif et souple quant aux détails.
Commentaire
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Chapeau pour cette comparaison Allemagne – France
Excellent article. Il faut un « profond changement culturel dans la société française … ». Sous-entendu, pour pouvoir espérer remonter la pente, je suppose, et ne plus se laisser distancer par l’Allemagne. Je suis très surpris qu’un article de cette qualité ne reçoive aucun commentaire. Les auteurs devraient le dédicacer à notre Ministre du commerce extérieur, Nicole Bricq !!