La livraison instantanée, nouveau service dans les métropoles
La demande est forte, mais le client ne veut pas payer. Le développement se heurte à des contraintes économiques juridiques, concernant le droit du travail et la sécurité, et à des contraintes pratiques, concernant l’adaptation de la ville à ces nouveaux services.
Les grandes métropoles bénéficient de prestations logistiques efficaces : approvisionnement d’activités économiques d’une très grande diversité, évacuation de déchets en tout genre et réponse aux demandes de consommateurs de plus en plus exigeants, notamment liées au e‑commerce.
« Le développement des livraisons instantanées concerne avant tout les centres des très grandes villes »
Chaque jour, les ménages newyorkais reçoivent près de 800 000 livraisons à domicile et les établissements économiques plus de 1,4 million (Rensselaer Polytechnic Institute).
Cette offre logistique métropolitaine s’est enrichie depuis deux ou trois ans d’un nouveau service : la « livraison instantanée », que l’on peut définir comme un service de livraison B2B, B2C ou C2C sur demande en moins de deux heures qui met en relation des coursiers – personnes privées, auto-entrepreneurs ou employés – des détenteurs de marchandises et des consommateurs au moyen d’une plateforme numérique.
REPÈRES
Les services logistiques qui irriguent les métropoles ont un coût social et environnemental non négligeable, notamment parce que le secteur utilise des véhicules utilitaires polluants : en Île-de-France, pour seulement 20 % des véhicules-kilomètres sur la voirie, le transport des marchandises est responsable de 33 % des émissions d’oxydes d’azote
UBÉRISATION DE L’ÉCONOMIE URBAINE
Les livraisons instantanées sont directement liées à l’ubérisation de l’économie urbaine et, pour certaines, au crowdsourcing, modèle économique dans lequel les particuliers sont invités à profiter de déplacements personnels (en voiture, en vélo, en transport en commun…) pour transporter des marchandises.
« Des milliers de particuliers dédommagés de l’ordre de 1 à 2 euros par livraison »
Le développement des livraisons instantanées concerne avant tout les centres des très grandes villes. Il se développe dans le monde entier, en particulier aux États- Unis, en Europe, au Japon, en Corée et en Chine.
Il engendre une mobilité des marchandises très particulière. Les livraisons instantanées bousculent la routine de l’approvisionnement des villes. Elles ouvrent une série de questions économiques, juridiques, sociales et politiques.
DE LA SOCIÉTÉ UNIPERSONNELLE À LA GRANDE ENTREPRISE
Le nombre d’entreprises de livraison instantanée (nous entendons par entreprises les entités qui possèdent l’algorithme de mise en relation) est difficile à quantifier et évolue en permanence mais il en existe plusieurs centaines en Europe.
Si Foodora, Deliveroo et Allo Resto tiennent le cap, TakeEatEasy et Tok Tok Tok ont déposé le bilan en 2016.
Elles sont très variées, de la petite start-up cantonnée à quelques quartiers à la très grande entreprise (UberRUSH et UberEATS, Amazon Prime Now) dont la prestation a vocation à s’appliquer de façon quasi uniforme dans les grandes villes du monde.
Le service Prime Now d’Amazon, qui livre gratuitement en moins de deux heures les membres de son service Premium, est aujourd’hui disponible dans 27 villes aux États-Unis, 7 en Europe (dont Paris depuis juillet 2016) et une au Japon. Le type de produits concernés par la livraison instantanée va des plats préparés (restaurants et traiteurs) à l’épicerie générale et, de plus en plus, aux produits de grande consommation.
Certains services sont dédiés à des marchés très spécialisés comme les objets volumineux. Certains sont basés sur le crowdsourcing.
En Europe, le test de DHL à Stockholm est le plus poussé à ce jour : recrutés via Facebook, plusieurs milliers de particuliers, appelés les mywaysers, dédommagés de l’ordre de 1 à 2 euros par livraison, ont livré à domicile des colis du e‑commerce lorsque leur itinéraire correspondait à une demande de livraison. Le service a été abandonné devant la réticence des e- commerçants (et des destinataires) à payer pour le service.
Aux États-Unis, sur un créneau assez semblable (mais les cadres réglementaires nord-américains et européens sont sans doute trop différents pour effectuer des comparaisons), Amazon a réussi à développer son service Amazon Flex, qui engage des particuliers pour livrer des colis Amazon. Le service a été récemment introduit au Royaume- Uni.
UN MODÈLE ÉCONOMIQUE MAL ASSURÉ
Le modèle économique reste fragile et de nombreuses entreprises ont déjà jeté l’éponge. Le service eBay Now démarré en 2011 à New York puis Dallas, Chicago et San Francisco avait été stoppé à la fin de l’année 2014.
100 000 LIVRAISONS PAR SEMAINE SUR PARIS
D’après nos estimations, les entreprises de livraison instantanée représentaient, à la mi-2016, environ 0,2 livraison par ménage par semaine à Paris, soit 100 000 livraisons par semaine, représentant 10 % des livraisons à domicile et 3 % du total des livraisons et enlèvements de marchandises de l’Île-de-France.
Le belge TakeEatEasy, opérant dans toute l’Europe, faisait faillite en juillet 2016, obligeant en France ses 200 employés ainsi que plusieurs milliers de livreurs indépendants à se tourner vers de nouvelles plateformes numériques, dont les deux grands concurrents sur le secteur de la livraison de repas, Deliveroo (d’origine britannique) et Foodora (un groupe allemand).
Une entreprise plus petite, Tok Tok Tok, d’origine française, a arrêté ses activités en septembre 2016 et vendu son algorithme à Just Eat, une autre société britannique.
TakeEatEasy a largement médiatisé son échec, en expliquant comment la hausse rapide de ses trafics n’avait pas suffi à convaincre les investisseurs à répondre à une nouvelle demande de fonds : avec une offre qui a explosé en quelques mois, le secteur est peut-être saturé et commence à s’autoréguler.
Postmates, une société active aux États-Unis, créée par un entrepreneur allemand émigré à San Francisco en 2011, est, elle, une success story qui dure. L’entreprise s’est diversifiée, passant d’un service dédié aux restaurants à une offre généraliste au service des commerçants, petits et grands, des agglomérations urbaines, se positionnant ainsi comme un « anti-Amazon ».
Elle comptait à la fin 2015 sur un pool de 6 000 coursiers. Elle est aujourd’hui présente dans une centaine de villes américaines et pourrait atteindre un bénéfice net en 2017, déjouant les prédictions habituelles sur le secteur (TechCrunch, 25 avril 2016).
DROIT DU TRAVAIL ET SÉCURITÉ
En France, pour contourner l’inscription au registre des transporteurs légers, beaucoup de livraisons sont effectuées à vélo. © BLURAZ / SHUTTERSTOCK, INC.
Le modèle social des livraisons instantanées est radicalement nouveau et pose des problèmes de sécurité routière (les coursiers sont généralement payés à la tâche et susceptibles de multiplier les courses au mépris du respect du code de la route) et de droit du travail et du transport.
Les livreurs sont dans leur très grande majorité des coursiers indépendants, qui se connectent via une application pour recevoir des ordres de livraison. Comme pour l’ensemble des jobs de type « Uber », leur statut est juridiquement dans une zone grise.
La réglementation française du transport routier de marchandises impose l’inscription au registre des transporteurs légers à toute activité de transport de marchandises pour compte d’autrui au moyen d’un véhicule motorisé : les services de livraison instantanée se sont ainsi massivement tournés vers les courses à vélo (ou vélo à assistance électrique, considéré en l’espèce comme non motorisé).
Des courses motorisées sont cependant fréquentes, quoique illégales. Qu’arriverat- il en cas d’accident ? Aux États-Unis, une telle règle ne s’applique pas, mais de nombreux contentieux sont en cours visant à imposer aux plates-formes de livraison la requalification des coursiers indépendants en salariés.
Des contentieux et demandes de requalification ont également été engagés en France, sur la base d’éléments tels que l’impossibilité de fixer, ou du moins de négocier, sa propre rémunération, contrairement à la situation des prestataires freelance en général.
LIVRAISONS GRATUITES
En 2014, le PDG de eBay avait fait remarquer qu’il n’y avait pas de modèle économique pour la livraison instantanée si le destinataire ne voulait pas la payer. Sur ce point cependant, deux ans après, Amazon Prime Now semble bien pousser le marché à tendre vers des livraisons « gratuites ».
PREMIERS CONFLITS SOCIAUX
« Les livreurs sont dans leur très grande majorité des coursiers indépendants »
À Londres, les protestations des coursiers pendant l’été 2016 ont momentanément empêché l’adoption obligatoire du nouveau contrat. Des organisations de type coopératif se mettent, timidement, en place pour fédérer les auto-entrepreneurs du secteur de la livraison.
En Belgique, une majorité des coursiers de TakeEatEasy étaient affiliés à la société mutuelle des artistes et indépendants (la SMart) et lui facturaient leur prestation : ils sont ainsi les seuls, en Europe, à avoir perçu leur rémunération pour le travail fourni en juillet avant la faillite de l’entreprise. Les coursiers français, eux, n’ont pas été payés.
UN NOUVEAU TRAFIC À INTÉGRER DANS L’ESPACE PUBLIC
Les gestionnaires des villes doivent dorénavant compter avec ces nouveaux services.
UNE RÉMUNÉRATION QUI ÉVOLUE À LA BAISSE
Un phénomène observé récemment, qui avait déjà été noté pour les services de transport de personnes à la demande (Uber, Lyft), est celui de l’évolution de la courbe de rémunération : élevée au début, pour attirer un nombre suffisant de coursiers dans un environnement très compétitif, puis progressivement diminuée au fur et à mesure que se consolident les entreprises restées en vie.
Deliveroo a annoncé en octobre 2016 à ses coursiers la fin du paiement à l’heure (assorti d’une commission supplémentaire par livraison) et l’introduction d’une rémunération entièrement basée sur le nombre de livraisons.
D’abord, pour la gestion du trafic : l’addition de dizaines de milliers de livraisons à vélo ou scooters, quand ce n’est pas en roller ou trottinette, dans les rues des grandes villes renforce l’hétérogénéité des usages de la voirie publique, toujours redoutée des ingénieurs du trafic.
Ensuite, pour l’organisation de l’urbanisme : garantir une livraison en moins de deux heures signifie que le point de départ (le picking) de la marchandise doit se situer à relative proximité du point d’arrivée chez le consommateur. Pour couvrir la desserte d’une majorité des habitants de Los Angeles, Amazon a ainsi eu besoin de localiser cinq entrepôts de 5 000 à 6 000 m2 chacun dans l’agglomération, à des endroits stratégiques et tous très urbains.
« Les gestionnaires des villes doivent dorénavant compter avec ces nouveaux services »
Or, le marché de l’immobilier logistique urbain est très limité. Les zones logistico-industrielles et le petit artisanat ont été progressivement poussés hors des villes (phénomène de logistics sprawl) et il est dorénavant difficile de trouver des surfaces en ville de plus de 3 000 m2.
En France, la législation est stricte et les plans locaux d’urbanisme restrictifs face à l’accueil d’activités logistiques. Le PLU de Paris tout récemment adopté fait exception, en prévoyant l’identification d’espaces logistiques urbains, mais rares seront ceux qui auront la taille recherchée par les prestataires logistiques.
UNE CROISSANCE INEXORABLE DE LA DEMANDE
À Los Angeles, Amazon a créé cinq entrepôts de 5 000 à 6 000 m2 chacun à des endroits stratégiques et tous très urbains. © TRONG NGUYEN / SHUTTERSTOCK, INC.
Il est encore tôt pour tirer un bilan d’une activité en forte émergence mais dont le modèle économique et social est fluctuant et fragile.
Si Uber a réussi dans le transport des personnes, c’est parce que les clients faisaient face à un déficit de qualité (taxis insuffisants, prix élevés). Dans le secteur du transport de marchandises, le service est rendu (aucune rupture d’approvisionnement majeure dans les grandes villes !) et généralement de qualité.
L’équation économique est par ailleurs très difficile à trouver en raison d’un phénomène bien connu pour la livraison urbaine, notamment celle destinée aux particuliers : des coûts élevés (livrer en ville est complexe) mais des prix bas (les destinataires, d’une façon générale, sont de plus en plus réticents à payer le vrai prix d’une livraison, ou plutôt sont réticents à savoir qu’ils le paient).
Il n’est pas sûr que l’innovation principale des livraisons instantanées, l’utilisation d’un pool de coursiers disponibles à la demande, puisse permettre de répondre aux défis de ce secteur, du moins dans des conditions sociales acceptables.
La croissance de la demande des consommateurs pour des livraisons instantanées, en tout cas dans les très grandes villes, paraît cependant inexorable.
Commentaire
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c’est intéressant mais comme
c’est intéressant mais comme vous le soulevez il faut considérer certains problèmes, je pense aux accidents de la route mais après il y a beaucoup de piste cyclable, et il faut être sensé aussi : livraison instantanée s’oppose à la livraison dans la semaine, si je suis dans mon camping à Sarlat et que je passe commande pour des légumes par ex et que je les réceptionne 2 heures plus tard où est le problème ? on va devenir des gamins caractériels si on prend le mot « instantané » à la lettre