La logistique est l’affaire de tous !
Souveraineté, contraintes environnementales et écologiques, dynamisation des territoires… sont autant d’enjeux qui sous-tendent le développement de la logistique de demain en France. Thierry Bruneau, PDG de TB conseil, dresse pour nous un état des lieux du secteur actuellement. Il nous livre son analyse de la situation et revient sur les actions prioritaires à déployer pour soutenir le développement du secteur. Rencontre.
Le monde de la logistique est aujourd’hui à la croisée de plusieurs enjeux déterminants et stratégiques qui vont fortement impacter ce secteur. Qu’en est-il ?
La situation géopolitique et ses conséquences sociétales, économiques et politiques ont rendu la logistique encore plus déterminante que par le passé. En parallèle, l’importance de la dimension écologique et notamment de l’empreinte carbone en font un secteur « quasi-ministériel ». En effet, la France est le seul pays où la logistique est une niche au sein du ministère du transport, alors qu’elle est considérée ailleurs comme un secteur privilégié et une industrie à part entière.
La logistique sous-tend des enjeux critiques en termes de souveraineté, d’indépendance nationale, de fluidification des flux, d’approvisionnement des ménages. Elle représente aussi un enjeu en termes d’emploi. Elle contribue à la création de valeur et d’emplois qualifiés.
Quels sont, selon vous, les axes prioritaires qui doivent mobiliser les acteurs de ce secteur ?
Aujourd’hui, nous assistons à l’arrivée de nombreux acteurs sur le marché de la logistique qui est devenu au cours des dernières décennies une classe d’actifs financier au même titre que les bureaux, les logements résidentiels ou les commerces. Elle est ainsi la seconde classe d’actifs qui attire le plus les banques et fonds d’investissement après les bureaux.
Dans le cadre de la Loi Climat et Résilience qui vise la zéro artificialisation des sols, l’enjeu est de s’orienter vers la reconversion des friches industrielles. En ce sens, il y a un mouvement politique et économique significatif qui s’est traduit par la création du fonds pour le recyclage des friches. Le gouvernement a également réalisé un recensement de ces friches il y a deux ans. Ces dernières sont disponibles dans toutes les régions de France. À mon sens, un nouveau recensement que je qualifie de « qualitatif et structuré » doit être mené pour optimiser leur reconduction et développer des plateformes logistiques qui soient localisées dans des environnements sociaux et économiques favorables. Se pose aussi la question de reconstruction de ces sites qui se sont vus contournés par le développement de la ville et notamment des logements. Cela implique un arbitrage au cas par cas afin d’imbriquer au mieux ces nouvelles plateformes dans la ville tout en respectant l’environnement.
Si le secteur est représenté par de nombreuses associations et organisations à l’échelle nationale qui regroupent les acteurs de la distribution, du transport, des opérations logistiques, ainsi que les acteurs territoriaux, la mise en place d’un bureau interministériel reste déterminant pour fédérer l’ensemble de cet écosystème et son activité, mais aussi pour réguler le développement du secteur et de tous ses métiers (RH, construction, flux, énergie…). En effet, la logistique n’est pas uniquement une question de flux, de stocks ou de produits, c’est l’affaire de tous. Elle ne doit pas être regardée comme un sujet technique réservé aux industriels, mais comme un enjeu qui revêt une dimension citoyenne et qui doit représenter les intérêts des consommateurs, des villes, des régions et de l’État. Preuve en est la crise qui a été marquée par la pénurie de marchandises et les difficultés d’approvisionnements en masques et en vaccins.
Il s’agit donc de tirer les leçons de ces écueils pour structurer, de manière raisonnée et économiquement pertinente, le retour à une souveraineté à ce niveau. Il faut développer dès aujourd’hui la logistique bienveillante des dix prochaines années. Pour cela, la France souvent décrite comme « un pays d’histoire » doit devenir « un pays de géographie » et s’inspirer dans cette démarche de l’exemple allemand, belge ou des Pays-Bas qui ont calé leur approvisionnement sur la fluidité géographique notamment permise par les fleuves pour optimiser l’écoulement des marchandises, leur réception et diffusion.
Quels sont les principaux freins qui persistent dans le secteur ?
Le développement du secteur est confronté à deux contradictions. La première est la conséquence de la Loi Climat Résilience qui interdit le développement de nouveaux fonciers. La seconde est la durée d’instruction des projets. S’il est nécessaire d’avoir une administration que je qualifie de solide et d’intransigeante, l’instruction des dossiers requiert toutefois une évolution, car selon un benchmark européen, la France se classe à la dernière place à ce niveau. Cette réforme doit être initiée aux plus hauts niveaux de l’État et de l’administration et jusqu’aux territoires pour que notre pays ne rate pas le coche du développement logistique de demain.
Comment imaginez-vous les contours de ce secteur à horizon 10 ans, 15 ans ?
Cette classe d’actifs s’est significativement développé il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, nous sommes dans un nouveau haut de cycle qui implique la construction de bâtiments, la mise en place de processus innovants avec plus d’automatisation et de robotisation. Parce que la prise en compte de l’empreinte carbone est obligatoire, il faut repenser la manière de construire ce qui va contribuer à lancer un nouveau cycle pour les dix prochaines années. Et à cela s’ajoute la vie « normale » d’une entreprise qui est ponctuée par des phases de croissance interne et externe, des opérations de fusions-acquisitions, un changement de cap ou de modèle notamment sous l’impulsion du digital et l’évolution des modes de consommation.
Sur les 20 prochaines années, la logistique va vivre deux nouveaux cycles ce qui l’oblige à faire preuve de flexibilité et d’adaptabilité. Se pose aussi la question de l’énergie alors que nous sommes actuellement incapables de prédire comment seront structurés les modèles énergétiques de demain. Il en sera de même pour les flux physiques avec le facteur de l’autonomie des poids lourds, des chemins de fer et des véhicules maritimes qui dictera sans aucun doute le positionnement des nouvelles plateformes. Il s’agit là d’une équation complexe que notre pays doit résoudre.
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs sur ces sujets et enjeux ?
Je soutiens l’idée qu’il est nécessaire de créer un comité de surveillance qui permettrait de structurer tous les corps d’État afin de mettre en place une organisation structurée, segmentée pour que la logistique soit traitée comme une obligation sociétale au regard des différents éléments que nous avons abordés au cours de cet entretien : reconversion des friches industrielles, flux physique, empreinte carbone, dynamisation des territoires… Enfin, elle doit être synonyme d’inclusion et couvrir l’ensemble des besoins sociétaux, politiques et économiques de notre pays sur le long terme.