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La LPM, instrument de cohérence pour les armées

Dossier : Loi de programmation militaireMagazine N°797 Septembre 2024
Par Philippe POTTIER (X89)

La loi de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) vise, sous la res­pon­sa­bi­li­té du chef d’état-major des armées (CEMA), la cohé­rence du modèle d’armée et de son évo­lu­tion dans le temps. Elle n’est pas seule­ment une ques­tion d’équipement, ni un ins­tru­ment finan­cier, elle est plus géné­ra­le­ment la garante d’un modèle d’armée équilibré.

La loi de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) est sou­vent vue uni­que­ment sous un volet équi­pe­ment, celui d’un ins­tru­ment ayant pour objet de don­ner une visi­bi­li­té suf­fi­sante tant au minis­tère des Armées qu’aux indus­triels, pour la réa­li­sa­tion de pro­grammes d’armement longs à déve­lop­per puis à pro­duire. Si tels sont bien ses gènes – les pre­mières lois de pro­gram­ma­tion furent mises en place par le géné­ral de Gaulle pour doter la France de forces nucléaires et étaient res­treintes à un péri­mètre « équi­pe­ment » (titre V) – et si cette dimen­sion est tou­jours extrê­me­ment pré­sente aujourd’hui, le rôle d’une LPM va bien au-delà.

Une responsabilité du CEMA

D’après le code de la Défense (article R*3121–2), le CEMA est res­pon­sable, sous l’autorité du ministre de la Défense, « de la défi­ni­tion du for­mat d’ensemble des armées, des ser­vices de sou­tien et des orga­nismes inter­ar­mées et de leur cohé­rence capa­ci­taire. […] Il conduit les tra­vaux de pla­ni­fi­ca­tion et de pro­gram­ma­tion mili­taire. » Si la LPM n’était qu’une ques­tion de pro­gram­ma­tion d’opérations d’armement, son éla­bo­ra­tion pour­rait en être confiée au délé­gué géné­ral pour l’armement (DGA) : ce der­nier assiste le ministre en matière « de réa­li­sa­tion des équi­pe­ments des forces » (code de la Défense, article R*3111–1).

Si elle n’était qu’une ques­tion de tra­jec­toire bud­gé­taire, sa construc­tion pour­rait être réa­li­sée par le secré­taire géné­ral pour l’administration (SGA) : celui-ci assiste le ministre « dans tous les domaines de l’administration géné­rale du minis­tère, notam­ment en matière bud­gé­taire, finan­cière, juri­dique, patri­mo­niale, immo­bi­lière, sociale et de res­sources humaines » (code de la Défense, article R*3111–1). Mais c’est bien le CEMA qui en est res­pon­sable, car c’est lui qui est garant devant le Pré­sident de la Répu­blique et le gou­ver­ne­ment de l’emploi des forces, et il ne peut assu­mer cette res­pon­sa­bi­li­té qu’en s’étant assu­ré de la construc­tion d’un modèle d’armée équi­li­bré, cohé­rent et répon­dant aux orien­ta­tions qu’il a reçues.


Lire aus­si : La loi de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) : tech­niques et politique


Une portée stratégique

Plus lar­ge­ment, la LPM est bien plus que ce que laisse paraître son nom. C’est une démarche qui emmène tout le minis­tère des Armées et abou­tit à un docu­ment stra­té­gique, notam­ment à tra­vers son rap­port annexé. Si, depuis 2009, chaque LPM a été sys­té­ma­ti­que­ment pré­cé­dée de la publi­ca­tion d’un Livre blanc ou d’une Revue stra­té­gique (Livres blancs sur la défense et la sécu­ri­té natio­nale de 2008 et 2013, Revue stra­té­gique de 2017, Revue natio­nale stra­té­gique de 2022), tel n’était pas le cas aupa­ra­vant et c’est elle qui en fai­sait sou­vent office.

“Une démarche qui emmène tout le ministère des Armées.”

Ain­si, par exemple, la LPM 1997–2002, si elle reprend le cadre stra­té­gique défi­nit par le Livre blanc de 1994, fixe les condi­tions de la sus­pen­sion du ser­vice mili­taire et du pas­sage pro­gres­sif, sur six ans, à une armée pro­fes­sion­nelle. Le rap­port annexé est géné­ra­le­ment l’occasion d’afficher une ambi­tion qui dépasse lar­ge­ment l’horizon de la LPM, habi­tuel­le­ment à envi­ron quinze ans, afin d’éclairer l’avenir et d’assurer la cohé­rence dans la durée de sa tra­jec­toire. Le fait que la LPM soit votée par la repré­sentation natio­nale per­met de s’assurer que celle-ci endosse bien cette ambi­tion et les moyens alloués aux armées pour la rejoindre.

Des modèles d’armée

L’ambition poli­tique est décli­née en termes de contrats opé­ra­tion­nels, les­quels conduisent à la défi­ni­tion d’un modèle d’armée afin de pou­voir les tenir. Ain­si la LPM 2019–2025 pré­sente une « ambi­tion 2030 », fixant un modèle d’armée com­plet et équi­li­bré, dont la LPM 2019–2025 – avec 295 mil­liards d’euros sur sept ans – n’était que la pre­mière étape. La LPM 2024–2030, pre­nant en compte les conclu­sions de la Revue natio­nale stra­té­gique de 2022, pour­suit l’effort, notam­ment bud­gé­taire avec 413 mil­liards d’euros sur sept ans, pour adap­ter les armées à un contexte stra­té­gique qui se durcit.

Concrè­te­ment, les tra­vaux menés par le minis­tère des Armées couvrent une période d’environ deux LPM, afin de s’assurer d’une bonne congruence avec le modèle d’armée répon­dant à l’ambition poli­tique défi­nie. Par ailleurs, ces tra­vaux à long terme per­mettent de dis­po­ser d’un regard étayé sur le déve­lop­pe­ment ou le renou­vel­le­ment de capa­ci­tés struc­tu­rantes qui ne peuvent être acquises en six ans (exemple : obser­va­tion spa­tiale, dis­sua­sion nucléaire, groupe aéro­na­val, avion ou char du futur…).

Un instrument de cohérence

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi orga­nique rela­tive aux lois de finances (LOLF), la LPM couvre tout le champ de la « mis­sion Défense », laquelle regroupe quatre « pro­grammes » (au sens de la LOLF) dont la res­pon­sa­bi­li­té est confiée au CEMA (P178 : pré­pa­ra­tion et emploi des forces), au CEMA et au DGA (P146 : équi­pe­ment des forces), au SGA (P212 : sou­tien de la poli­tique de la défense) et à la direc­trice géné­rale des rela­tions inter­na­tio­nales et de la stra­té­gie (P144 : envi­ron­ne­ment et pros­pec­tive de la poli­tique de défense). Ce péri­mètre per­met d’assurer la cohé­rence trans­verse des tra­vaux, les­quels ne peuvent natu­rel­le­ment être que col­lé­giaux, mais avec une pri­mau­té recon­nue du CEMA.

Des ensembles cohérents

Cette trans­ver­sa­li­té est indis­pen­sable, car une capa­ci­té mili­taire ne se résume pas uni­que­ment à un équi­pe­ment. En termes mili­taires, une capa­ci­té est défi­nie comme un ensemble cohé­rent com­po­sé d’hommes et d’équipe­ments, orga­ni­sés, entraî­nés et sou­te­nus selon une doc­trine, en vue d’une fina­li­té opé­ra­tion­nelle. Le CEMA étant res­pon­sable de la fina­li­té opé­ra­tion­nelle, il lui revient de s’assurer de l’optimisation de l’emploi des res­sources pour la consti­tu­tion des capa­ci­tés, ce qui recouvre par exemple le dimen­sion­ne­ment au juste besoin de l’infrastructure qui accueille­ra un nou­veau blin­dé, de la bonne prise en compte du main­tien en condi­tion opé­ra­tion­nelle (main­te­nance) de cet équi­pe­ment au regard de la pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle (entraî­ne­ment) à pro­gram­mer et des muni­tions à acqué­rir compte tenu des contrats opé­ra­tion­nels. Nul besoin de pré­ci­ser qu’il aura éga­le­ment fal­lu recru­ter, for­mer, habiller, nour­rir, loger l’équipage de ce blin­dé, toutes choses à prendre éga­le­ment en compte dans les tra­vaux de programmation.

Prenant en compte l‘émergence de nouveaux espaces de conflictualité, l’innovation, l’espace, le cyber, l’intelligence artificielle font l’objet d’un effort particulier dans la LPM.
Pre­nant en compte l’é­mer­gence de nou­veaux espaces de conflic­tua­li­té, l’innovation, l’espace, le cyber, l’intelligence arti­fi­cielle font l’objet d’un effort par­ti­cu­lier dans la LPM.

Une interopérabilité et une adaptation annuelle

De plus, le CEMA doit s’assurer de la cohé­rence des dif­fé­rentes capa­ci­tés entre elles. L’interopérabilité entre les forces armées, comme avec nos alliés, est indis­pensable dans les conflits actuels. Cela se tra­duit par exemple par la mise en place de sta­tions ter­restres ou navales paral­lè­le­ment au déploie­ment d’un nou­veau sys­tème de satel­lite de com­mu­ni­ca­tion (Syra­cuse IV) ou d’observation spa­tiale (CSO). Enfin, il est impor­tant de pré­ci­ser qu’il ne faut pas voir la LPM comme un cadre rigide ne per­met­tant aucune évo­lu­tion durant six ans. En effet, chaque année, à tra­vers le pro­ces­sus d’ajustement annuel de la pro­gram­ma­tion mili­taire (A2PM), la LPM est actua­li­sée par un tra­vail col­lé­gial simi­laire à celui ayant per­mis son éla­bo­ra­tion, mais en res­tant dans la tra­jec­toire votée par la repré­sen­ta­tion nationale. 

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