La LPM, instrument de cohérence pour les armées
La loi de programmation militaire (LPM) vise, sous la responsabilité du chef d’état-major des armées (CEMA), la cohérence du modèle d’armée et de son évolution dans le temps. Elle n’est pas seulement une question d’équipement, ni un instrument financier, elle est plus généralement la garante d’un modèle d’armée équilibré.
La loi de programmation militaire (LPM) est souvent vue uniquement sous un volet équipement, celui d’un instrument ayant pour objet de donner une visibilité suffisante tant au ministère des Armées qu’aux industriels, pour la réalisation de programmes d’armement longs à développer puis à produire. Si tels sont bien ses gènes – les premières lois de programmation furent mises en place par le général de Gaulle pour doter la France de forces nucléaires et étaient restreintes à un périmètre « équipement » (titre V) – et si cette dimension est toujours extrêmement présente aujourd’hui, le rôle d’une LPM va bien au-delà.
Une responsabilité du CEMA
D’après le code de la Défense (article R*3121–2), le CEMA est responsable, sous l’autorité du ministre de la Défense, « de la définition du format d’ensemble des armées, des services de soutien et des organismes interarmées et de leur cohérence capacitaire. […] Il conduit les travaux de planification et de programmation militaire. » Si la LPM n’était qu’une question de programmation d’opérations d’armement, son élaboration pourrait en être confiée au délégué général pour l’armement (DGA) : ce dernier assiste le ministre en matière « de réalisation des équipements des forces » (code de la Défense, article R*3111–1).
Si elle n’était qu’une question de trajectoire budgétaire, sa construction pourrait être réalisée par le secrétaire général pour l’administration (SGA) : celui-ci assiste le ministre « dans tous les domaines de l’administration générale du ministère, notamment en matière budgétaire, financière, juridique, patrimoniale, immobilière, sociale et de ressources humaines » (code de la Défense, article R*3111–1). Mais c’est bien le CEMA qui en est responsable, car c’est lui qui est garant devant le Président de la République et le gouvernement de l’emploi des forces, et il ne peut assumer cette responsabilité qu’en s’étant assuré de la construction d’un modèle d’armée équilibré, cohérent et répondant aux orientations qu’il a reçues.
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Une portée stratégique
Plus largement, la LPM est bien plus que ce que laisse paraître son nom. C’est une démarche qui emmène tout le ministère des Armées et aboutit à un document stratégique, notamment à travers son rapport annexé. Si, depuis 2009, chaque LPM a été systématiquement précédée de la publication d’un Livre blanc ou d’une Revue stratégique (Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et 2013, Revue stratégique de 2017, Revue nationale stratégique de 2022), tel n’était pas le cas auparavant et c’est elle qui en faisait souvent office.
“Une démarche qui emmène tout le ministère des Armées.”
Ainsi, par exemple, la LPM 1997–2002, si elle reprend le cadre stratégique définit par le Livre blanc de 1994, fixe les conditions de la suspension du service militaire et du passage progressif, sur six ans, à une armée professionnelle. Le rapport annexé est généralement l’occasion d’afficher une ambition qui dépasse largement l’horizon de la LPM, habituellement à environ quinze ans, afin d’éclairer l’avenir et d’assurer la cohérence dans la durée de sa trajectoire. Le fait que la LPM soit votée par la représentation nationale permet de s’assurer que celle-ci endosse bien cette ambition et les moyens alloués aux armées pour la rejoindre.
Des modèles d’armée
L’ambition politique est déclinée en termes de contrats opérationnels, lesquels conduisent à la définition d’un modèle d’armée afin de pouvoir les tenir. Ainsi la LPM 2019–2025 présente une « ambition 2030 », fixant un modèle d’armée complet et équilibré, dont la LPM 2019–2025 – avec 295 milliards d’euros sur sept ans – n’était que la première étape. La LPM 2024–2030, prenant en compte les conclusions de la Revue nationale stratégique de 2022, poursuit l’effort, notamment budgétaire avec 413 milliards d’euros sur sept ans, pour adapter les armées à un contexte stratégique qui se durcit.
Concrètement, les travaux menés par le ministère des Armées couvrent une période d’environ deux LPM, afin de s’assurer d’une bonne congruence avec le modèle d’armée répondant à l’ambition politique définie. Par ailleurs, ces travaux à long terme permettent de disposer d’un regard étayé sur le développement ou le renouvellement de capacités structurantes qui ne peuvent être acquises en six ans (exemple : observation spatiale, dissuasion nucléaire, groupe aéronaval, avion ou char du futur…).
Un instrument de cohérence
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la LPM couvre tout le champ de la « mission Défense », laquelle regroupe quatre « programmes » (au sens de la LOLF) dont la responsabilité est confiée au CEMA (P178 : préparation et emploi des forces), au CEMA et au DGA (P146 : équipement des forces), au SGA (P212 : soutien de la politique de la défense) et à la directrice générale des relations internationales et de la stratégie (P144 : environnement et prospective de la politique de défense). Ce périmètre permet d’assurer la cohérence transverse des travaux, lesquels ne peuvent naturellement être que collégiaux, mais avec une primauté reconnue du CEMA.
Des ensembles cohérents
Cette transversalité est indispensable, car une capacité militaire ne se résume pas uniquement à un équipement. En termes militaires, une capacité est définie comme un ensemble cohérent composé d’hommes et d’équipements, organisés, entraînés et soutenus selon une doctrine, en vue d’une finalité opérationnelle. Le CEMA étant responsable de la finalité opérationnelle, il lui revient de s’assurer de l’optimisation de l’emploi des ressources pour la constitution des capacités, ce qui recouvre par exemple le dimensionnement au juste besoin de l’infrastructure qui accueillera un nouveau blindé, de la bonne prise en compte du maintien en condition opérationnelle (maintenance) de cet équipement au regard de la préparation opérationnelle (entraînement) à programmer et des munitions à acquérir compte tenu des contrats opérationnels. Nul besoin de préciser qu’il aura également fallu recruter, former, habiller, nourrir, loger l’équipage de ce blindé, toutes choses à prendre également en compte dans les travaux de programmation.
Une interopérabilité et une adaptation annuelle
De plus, le CEMA doit s’assurer de la cohérence des différentes capacités entre elles. L’interopérabilité entre les forces armées, comme avec nos alliés, est indispensable dans les conflits actuels. Cela se traduit par exemple par la mise en place de stations terrestres ou navales parallèlement au déploiement d’un nouveau système de satellite de communication (Syracuse IV) ou d’observation spatiale (CSO). Enfin, il est important de préciser qu’il ne faut pas voir la LPM comme un cadre rigide ne permettant aucune évolution durant six ans. En effet, chaque année, à travers le processus d’ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM), la LPM est actualisée par un travail collégial similaire à celui ayant permis son élaboration, mais en restant dans la trajectoire votée par la représentation nationale.