La LPM vue de l’industrie
La force de l’industrie française de défense est une composante essentielle de la crédibilité de notre outil de défense. Outre la poursuite de la croissance des ressources amorcée par la précédente LPM, la nouvelle loi prend en compte plusieurs nécessités de nature plus essentiellement industrielle, qui offrent des perspectives de renforcement de cette industrie.
Alors que la montée des tensions géopolitiques mondiales avait déjà engendré une hausse des dépenses militaires au cours des dix dernières années, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, la montée des tensions dans le Golfe, ainsi que l’affirmation croissante de la Chine et l’accentuation des tensions autour de Taïwan, accélèrent encore cette tendance. En 2023, les dépenses militaires mondiales ont augmenté de près de 7 % par rapport à 2022, et de 13 % pour l’Europe seulement (source SIPRI, Stockholm International Peace Research Institute). Il s’agit d’une hausse sans précédent depuis la fin de la guerre froide. Depuis 2020, les États-Unis ont accru leurs dépenses militaires de 22 %, la Chine de 26 %, l’Inde de 29 % et l’Arabie saoudite de 42 %.
Les enseignements de la guerre en Ukraine
Dans le même temps, la guerre en Ukraine a mis en lumière les limites du modèle actuel des armées européennes face à un conflit de haute intensité : manque de munitions, difficultés à augmenter les cadences de la chaîne d’approvisionnement, dépendance vis-à-vis d’acteurs américains à la chaîne d’approvisionnement contrainte sur certains matériels (comme les drones ou l’artillerie de longue portée). Premier conflit de haute intensité sur le sol européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle a apporté une série d’enseignements quant à la transformation du champ de bataille : émergence d’un champ de bataille transparent avec la multiplication des capteurs terrestres, aéroportés et spatiaux et rôle crucial de la collecte, du traitement et de la dissémination du renseignement en boucle courte, spectre électromagnétique contesté et généralisation du brouillage GNSS (GPS), importance des frappes dans la profondeur et prégnance des drones.
Continuité et renforcement dans la nouvelle LPM
C’est dans ce contexte que la France a engagé la révision de la loi de programmation militaire pour la période 2024–2030, qui doit amplifier l’effort de défense, l’adapter au nouveau contexte stratégique et poser les bases des principaux programmes de défense de la décennie. Sur le fond, la nouvelle LPM planifie un modèle d’armée d’emploi qui ne bouleverse pas ses fondamentaux, tout en se donnant les moyens de maintenir sa supériorité opérationnelle et de tenir son rang.
“Maintenir sa supériorité opérationnelle et tenir son rang.”
Elle consolide la souveraineté par la dissuasion nucléaire. Tout en améliorant la contribution à la protection du territoire, elle renforce l’engagement dans les territoires d’outre-mer, en Indopacifique notamment. Elle renforce enfin la capacité à agir dans les nouveaux lieux de conflictualité face à des stratégies hybrides (capacités de renseignement, de surveillance et d’action dans les espaces maritime, numérique, exo et haut-atmosphérique, spatial et sous-marin).
Enfin les 2 % du PIB !
Avec 400 Md€ de crédits budgétaires indiqués en LPM 2024–2030, pour des besoins programmés à 413 Md€ (ce qui suppose que 13 Md€ de ressources extrabudgétaires seront à trouver sur la période), la LPM 2024–2030 présente une ambition budgétaire importante avec 30 % d’augmentation hors inflation par rapport à la LPM 2019–2025. S’agissant des années 2024–2025, cette LPM s’inscrit dans les pas de la précédente à euros constants.
Au titre de l’ambition, la LPM 2024–2030 prévoit que la France atteint l’objectif Otan de consacrer 2 % du PIB à la défense en 2025, à comparer avec une moyenne de 1,9 % du PIB sur la période 2007–2022. Ces ressources budgétaires ne comprennent pas celles nécessaires au financement de l’effort national de soutien à l’Ukraine, mis en œuvre notamment sous forme de contribution à la facilité européenne pour la paix (FEP), de cessions de tous les matériels et équipements nécessitant un complétement ou d’aides à l’acquisition de matériels ou de prestations de défense et de sécurité.
Enfin, le projet de LPM comprend un article 24 qui organise la constitution des stocks stratégiques de matières ou composants d’intérêt stratégique pour les armées, ainsi que la priorisation de la livraison de biens et services au bénéfice des armées via deux dispositifs : la possibilité pour l’autorité administrative d’imposer aux entreprises la constitution de stocks stratégiques de matières, de composants ou de pièces de rechange d’intérêt stratégique, et la possibilité ouverte pour l’État d’ordonner l’exécution prioritaire des commandes qu’il a passées à une entreprise dans le cadre d’un marché de défense et de sécurité.
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L’économie de guerre
Parallèlement à la LPM, l’émergence du concept « d’économie de guerre » constitue une chance pour l’industrie. Lancé par le Président de la République dans son allocution du 13 juin 2022, il appelle à une mobilisation de l’industrie de défense pour définir des processus industriels revus afin d’être en mesure de faire face au retour de la guerre d’attrition. Le concept d’économie de guerre recouvre plusieurs piliers sur lesquels l’ensemble des acteurs industriels de défense français ont émis des propositions. Le premier vise à s’assurer de la résilience de la supply chain, des donneurs d’ordre aux fournisseurs.
Relocaliser ou réinternaliser certaines activités pour sécuriser les approvisionnements et gagner en autonomie est le premier axe de résilience. La relocalisation peut être totale, ou correspondre à la mise en place d’une double source pour des pièces ou composants produits dans des pays à risque. Au-delà des enjeux de relocalisation industrielle, deux orientations complémentaires se dessinent : disposer de plus de visibilité sur les commandes pour favoriser le maintien des capacités industrielles en France et en Europe et le recours à des programmes d’études amont pour éviter les pertes de compétences.
« Garantir la capacité à soutenir l’effort d’approvisionnement dans la durée. »
Le deuxième pilier de l’économie de guerre est de garantir la capacité à soutenir l’effort d’approvisionnement dans la durée en cas de crise majeure. Une visibilité accrue – de moyen ou long terme – sur des commandes étatiques ou alternativement un soutien de l’État à la constitution de stocks de bruts, de semi-finis ou de produits finis doit permettre la mise en place de capacités industrielles et l’agilité autorisant une montée en cadence accélérée.
Le troisième objectif de l’économie de guerre est d’optimiser les processus d’acquisition d’armements. Le premier enjeu est de simplifier le processus de sélection des matériels pour gagner du temps, en évitant par exemple le recours à des appels d’offres complexes lorsqu’il existe des solutions sur étagère répondant aux critères de souveraineté et permettant de disposer de 90 % de la performance attendue. Le second enjeu consiste à privilégier le développement de familles de produits plutôt que de repartir d’une feuille blanche.
L’importance des exportations
Enfin, la dernière orientation de l’économie de guerre est d’intégrer pleinement les ambitions des industriels à l’export. Par la profondeur qu’ils apportent à nos supply chains, les volumes à l’export constituent un levier critique de capacité à augmenter les cadences de production. L’export constitue également un élément clé du modèle économique de l’industrie de défense française. Privilégier des standards reconnus internationalement (de type standard Otan) dans les programmes d’armement français permettrait à ces programmes de trouver rapidement des débouchés à l’export.
Étendre le champ de la pratique des accords intergouvernementaux à d’autres types d’équipements que les systèmes majeurs favoriserait le levier politique et la validation opérationnelle du matériel. Au-delà des programmes européens, la mise en œuvre de codéveloppements avec des partenaires stratégiques de la France, hors UE, est un levier pour bénéficier à la fois des financements disponibles et d’un accès renouvelé à des marchés exigeant désormais davantage de localisation technologique.
Un jalon majeur pour les industriels
Le défi posé par la probabilité que notre pays ait à affronter dans les années à venir un conflit majeur, sur notre continent ou au-delà, a été au cœur des travaux de préparation de la loi française de programmation militaire, qui engage notre armée jusqu’en 2030.
Cette LPM constitue pour les industries de défense un jalon majeur parce que, en posant les bases des principaux programmes de défense de la décennie, elle détermine dans une large mesure les conditions de notre compétitivité technologique et économique sur les grands marchés à l’export.
Lancée parallèlement à l’élaboration de la LPM, la réflexion sur l’économie de guerre est porteuse de perspectives. Elle peut contribuer à l’émergence de méthodes plus agiles permettant d’optimiser le coût et les délais de développement d’un certain nombre de programmes : recherche de leviers favorisant une accélération des cadences et la constitution de stocks stratégiques, simplification des processus de sélection, optimisation de la définition des spécifications, mise en place de méthodes de contractualisation simplifiées et de conduite agile de projet, intégration des logiques d’export le plus en amont possible…
Mais, pour les principaux acteurs de la BITD (base industrielle et technologique de défense) française, le message reste simple : la meilleure façon de placer l’industrie française de défense en mesure d’affronter le jour venu une situation réelle d’économie de guerre est de lui permettre, par des commandes en volumes suffisants, de développer son outil de production – comme c’est le cas aujourd’hui, dans des proportions massives, pour l’industrie américaine.
La BITD : un écosystème structuré, un impact économique
- Capable actuellement de développer, produire et maintenir la quasi-totalité des systèmes de défense nécessaires à nos armées.
- 210 000 emplois industriels « défense » sur l’ensemble du territoire.
- 4 500 PME et 9 grands maîtres d’œuvre industriels (Airbus, Arquus, Dassault, MBDA, Naval Group, Nexter, Thales, Safran, ArianeGroup).
- 30 Md€ de chiffre d’affaires, militaire consolidé.
- 8 Md€ d’exportation par an, en moyenne dans un marché réglementé et contrôlé par l’État.