La Maison du lac
Il est possible de produire des films où il ne se passe rien et qui soient pourtant d’un charme infini. Je songe, entre autres, à cet Arbre aux sabots, qui nous enchanta jadis avec ses vues paisibles, en noir et blanc, de la campagne italienne. On tuait le cochon, des enfants jouaient dans une cour de ferme, le soir descendait sur un bosquet d’yeuses chères à Virgile…
Cela est beaucoup plus difficile au théâtre et je n’ai pas présent à l’esprit d’exemples réussis du genre, à supposer qu’il en existe. Au théâtre de la Madeleine, Jean Desailly et Simone Valère s’y sont pourtant essayés en montant La Maison du lac, d’un auteur américain contemporain, Ernest Thompson, dans une adaptation française de Pol Quentin. N’ayant pas sous la main le texte original, je ne peux savoir si cette adaptation est fidèle. Le contraire se rencontre parfois. En tout cas, elle est, de soi, excellente : les dialogues coulent de source et chaque personnage s’exprime dans le langage propre à son âge et à sa condition. La marque d’une solide maîtrise des deux langues.
Non seulement Jean Desailly et Simone Valère sont, comme d’habitude, parfaits mais les autres comédiens (Paola Lanzi, Bernard Carpentier, Patrice Latronche, Pierre Kalafate) montrent autant d’aisance que les deux vieux routiers de la scène. Et pourtant, on s’ennuie un peu.
Un couple âgé – l’époux fête ses quatre-vingts ans – ouvre sa maison de vacances au bord du lac. Elle est aussi usée qu’eux : une porte jaillit de ses gonds si on la brusque, le téléphone crachote à souhait. Ils attendent leur fille divorcée et son nouveau compagnon du moment, un dentiste. Père et fille ont peu d’atomes crochus. Petite, son père l’appelait Bouboule, car elle était aussi large que haute. Ses idées d’adolescente, contre la peine de mort, la guerre du Viêtnam, heurtaient son père, brave Américain conservateur, qui n’aime rien tant que pêcher sur le lac avec son bateau, mais dont le bon sens narquois, teinté d’ironie blasée, ne cessaient de blesser la jeune fille.
La mère, éperdue de tendre adoration devant son mari, s’efforçait, et s’efforce toujours, d’arrondir les angles.
Arrive la fille, maussade et boudeuse, suivie du fils du dentiste, le jeune Billy, adolescent en baskets et casquette à l’envers, presque incapable de s’exprimer autrement que par de brèves onomatopées, mais stupéfait qu’il n’y ait pas la télé dans la maison du lac. Il s’en console en se trémoussant au rythme de son baladeur. Puis vient le dentiste, tiré à quatre épingles, passablement ahuri par l’inconfort bon enfant du lieu.
Or voilà que Billy se passionne pour la pêche en bateau avec cette sorte de grand-père adoptif et bourru que devient pour lui le vieil Américain. Puis tous s’en vont, et les deux vieux ferment la maison du lac, non sans peine à cause d’un bref incident cardiaque frappant le père après qu’il a voulu coltiner une caisse trop lourde.
C’est tout. C’est charmant, ou plutôt, ce serait charmant s’il s’agissait d’un roman, disons d’une longue nouvelle, à la façon intimiste d’une Katherine Mansfield pour rester dans l’orbite anglo-saxonne. Mais j’ai peur que cela ne suffise pas à faire du bon théâtre, robuste et consistant.
Certains critiques ont cru devoir attribuer ce demi-échec à la mise en scène. Elle est de Georges Wilson, et je ne vois pas, pour ma part, ce qu’on peut lui reprocher, à moins que, déformés par de fréquentes extravagances, les critiques en viennent à confondre simplicité et platitude.