La maîtrise appartient aux ingénieurs
Compte rendu de la table ronde « Appropriation et maîtrise des technologies« Propos résumés par la RédactionQuel est le rôle de l’État dans la perception des grands enjeux ? Qui doit prendre les décisions ? Quel est le rôle des ingénieurs ? Au terme de considérations parfois un peu désabusées, c’est un message d’espoir et de volonté qui est adressé aux jeunes générations.
Compte rendu de la table ronde « Appropriation et maîtrise des technologies »
Propos résumés par la Rédaction
REPÈRES
La table ronde était illustrée par un petit film et diverses interviews et résultats d’enquêtes, réalisés par de jeunes ingénieurs des Mines, dont deux étaient présents, Romain Beaume (2000) et Annelise Massiera (2000).
Ces jeunes militent pour une meilleure communication et une éducation des journalistes qui permettraient des débats objectifs, évitant le dogme du tout scientifique ou la propagation de peurs irraisonnées.
Le monde de demain appartient aux créateurs
Jean-Bernard Lévy (73), président de Vivendi, s’interroge dans son introduction sur l’allocation de la décision en matière de priorités, qu’il s’agisse du capital financier ou du capital humain. » Qui doit prendre les décisions ? Comment les expliquer au public ? Pourquoi le nucléaire est-il bien accepté et les OGM sont-ils rejetés ?
« L’État a besoin d’une compétence technologique que seuls les ingénieurs peuvent lui apporter. « Pourquoi, dit-il, sommes-nous en train d’être dépassés par la Corée ou la Chine ? Parce que ces pays sont dirigés par des ingénieurs. »
L’informatique méconnue
Un film réalisé par des jeunes pour mieux faire tourner la table.
Gérard Berry (67), membre de l’Académie des sciences, insiste sur les bouleversements apportés par l’informatique et que, selon lui, on refuse de reconnaître en France.
» On dit, c’est une mode, ça va passer. Voilà un exemple frappant de non-appropriation. » Nous ne sommes, par exemple, que sept informaticiens sur deux cent trente membres de l’Académie des sciences.
» L’informatique, estime-t-il, est très dérangeante. Avec Internet : » Je sais ce que tout le monde sait. » Les enfants adorent. Ils sont nés avec l’ordinateur et le téléphone mobile. C’est évidemment un sujet difficile pour les enseignants qui croient que les enfants en savent plus qu’eux. »
« L’enseignement supérieur commence à se mettre à l’informatique, mais le primaire et le secondaire restent complètement étanches. Mais beaucoup d’enseignants veulent faire bouger les choses, libérer les énergies. « On ne considère par ailleurs l’informatique qu’en termes de consommation, mais c’est de création qu’il faut parler. »
Le scientifique méprisé des médias
Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, s’interroge sur le rôle des médias, qui, selon lui, » devraient jouer un rôle pédagogique, avec prudence, modestie et humilité. »
« La peur irrationnelle se vend mieux que le rationalisme serein, commente un participant. « Que peut-on faire pour que le principe de précaution s’applique à la communication ? » demande malicieusement un autre.
« On laisse croire que tous les avis à coloration scientifique se valent. Alors, comment les décideurs peuvent-ils choisir ? Le rôle du politique n’est pas de valider telle hypothèse scientifique plutôt que telle autre, mais de hiérarchiser les sources pour apporter de bonnes bases à la discussion.
« En ce qui concerne, par exemple, le principe de précaution, il faut distinguer l’analyse scientifique, la demande sociale et la décision politique. En pratique, les médias sortent de toute considération scientifique. »
« Lorsqu’ils s’interrogent sur les risques de la téléphonie mobile, ils ne discutent pas de l’usage individuel, mais des antennes. Ils interrogent tout à tour, sur un pied d’égalité, le scientifique compétent et le premier passant venu.
» On décrédibilise tout, en mélangeant de la sorte. »
L’innovation accélérée
Michel Guilbaud, directeur général du Medef, estime qu’en dix ans tout a changé pour les plus petites entreprises.
Donner sa chance
Que faut-il penser de la TNT ont demandé il y a quelques années les pouvoirs publics à Michel Boyon ? « J’ai répondu que la TNT était viable, techniquement et financièrement, mais que ce n’était pas à l’État de dire comment regarder la télévision. J’ai préconisé de donner sa chance à la TNT, ce qui s’avère aujourd’hui un succès. »
» Le marché des PMI (petites et moyennes industries), rappelle-t-il, était un marché de proximité. Maintenant, elles s’intéressent aux pays émergents. Il leur faut aller plus loin dans l’innovation.
« De même, les ETI (entreprises de taille intermédiaire) connaissent des difficultés. La Corée est devenue le sixième exportateur mondial et talonne la France. »
La clé, selon lui, réside dans l’innovation. Il vante les mérites du crédit impôt recherche. Un petit film sur les véhicules électriques, dû aux jeunes ingénieurs, vient conforter cette approche en soulignant le plan exemplaire élaboré en France sur le sujet et l’importance du « petit coup de pouce » apporté par les pouvoirs publics.
Un cas d’école
Pour appliquer le principe de précaution à la santé, il faut fermer toutes les pharmacies
Jacques Biot, représentant des entreprises pharmaceutiques, regrette la façon dont l’épisode de la grippe a été géré par les pouvoirs publics, alors que nous sommes » au pays de Pasteur « .
Il prend également en exemple le sujet d’actualité du Mediator, médicament accusé aujourd’hui d’être la cause de très nombreux décès.
» C’est comme pour le nuage de Tchernobyl, on ne découvre la nocivité qu’après coup, sur des données statistiques couvrant de nombreuses années. On ne pouvait rien dire avant, puisqu’on ne savait pas. Entre-temps, on a répondu à une demande sociale pour un produit de santé. C’est un cas d’école de perte de maîtrise. »
« Mais, si l’on devait appliquer le principe de précaution à la santé, il faudrait commencer par fermer toutes les pharmacies. »
Corps technique vs lobbying
Le « corps » est-il noble et le lobbying pas très noble ? interroge un participant. « Nous avons des progrès à faire, répond un conférencier, dans un pays où l’on confond volontiers critique et esprit critique. »
Un message d’espoir
Pour conclure toutes ces réflexions parfois un peu désabusées, Jean-Bernard Lévy revient sur les messages à adresser aux jeunes ingénieurs.
« Il faut leur dire que l’innovation l’emporte. Qu’il ne faut pas exagérer les risques. Qu’il est temps pour les ingénieurs de faire preuve de l’autorité que la tradition leur confère. »