La maîtrise du numérique
Le développement accéléré des technologies numériques nous ouvre d’immenses possibilités dans de très nombreux domaines et pose en même temps des questions difficiles. Ces enjeux mobilisent TERATEC, dont la mission est de faciliter la maîtrise de ces technologies et leur diffusion. Hervé Mouren (X67), directeur de TERATEC, nous en dit plus sur l’ensemble de ces sujets et nous présente les actions menées par Teratec et ses membres.
Pouvez-vous nous présenter TERATEC et son périmètre d’action ?
TERATEC est une initiative conçue et menée par de grands industriels. Lancée en 2005, elle regroupe aujourd’hui une centaine de membres, principalement des entreprises industrielles et technologiques, ainsi que des centres de recherche et des établissements d’enseignement supérieur. Son objectif et sa mission sont de faciliter la maîtrise des technologies numériques et d’accélérer leur diffusion et leur déploiement dans l’industrie et la vie économique. Depuis près de 20 ans, TERATEC accompagne ses membres et contribue activement à la généralisation du recours aux supercalculateurs et à la simulation, et plus récemment au développement de l’intelligence artificielle et prépare également l’arrivée prochaine du calcul quantique. Chaque année, TERATEC organise le Forum TERATEC, qui est le grand moment d’échange entre chercheurs et industriels, fournisseurs et utilisateurs. Enfin, TERATEC participe aussi de façon très active à la nouvelle dynamique européenne sur ces sujets. Dans ce cadre, nous sommes une des parties prenantes du programme européen EuroHPC qui bénéficie d’un budget important : 7 milliards d’euros sur 6 ans, permettant de réaliser de grands projets, notamment la commande de deux machines exaflopiques (au plus haut niveau mondial : un milliard de milliards d’opérations par seconde), dont la première va être réalisée par des acteurs français. Toujours dans le cadre de ce programme EuroHPC, nous travaillons à la création d’un centre de compétences français pour les technologies numériques ouvert à tous et qui va couvrir tous les champs depuis le HPC et la simulation, jusqu’à l’intelligence artificielle et au quantique.
Aujourd’hui, nous assistons à une très forte dynamique dans le domaine du quantique, du calcul haute puissance et de l’IA. Comment ce secteur a‑t-il évolué au cours des dernières années ?
Nous assistons, en effet, à une véritable accélération du numérique. En matière de puissance de calcul, nous sommes passés, en une génération, du Teraflop, c’est-à-dire 1012 opérations par seconde, à l’Exaflop, soit 1018 opérations par seconde. Cette augmentation de puissance, multiplication par un million, change complètement la donne en apportant beaucoup plus de précisions, mais surtout en permettant la découverte et l’utilisation de données auxquelles nous n’avions pas accès dans le passé. Dans de nombreux domaines, cela change radicalement notre façon de travailler.
En parallèle, nous avons également des améliorations considérables en matière d’outils, de logiciels, de stockage, ou encore de réseaux qui permettent une profonde transformation des usages. Dans ce contexte, il est évident que nos comportements et nos travaux dans tous les domaines de la vie économique vont devoir évoluer. Cela a en particulier des conséquences majeures en termes de compétences et de formation. Et il faut aller vite : quand une nouvelle filière d’enseignement est créée, les premières promotions n’arrivent sur le marché du travail au plus tôt que 4 ou 5 ans plus tard. Or, il y a un besoin immédiat de formation des ingénieurs et des chercheurs que nous avons aujourd’hui car ils doivent pouvoir accompagner et rendre possibles ces transformations sans attendre cinq ans l’arrivée d’une nouvelle génération. Ce chantier stratégique de la formation continue, qui est trop souvent sous-estimé en France et en Europe, est au cœur des préoccupations de TERATEC. Nos ingénieurs doivent pouvoir maîtriser et utiliser ces nouvelles technologies dès leur apparition.
Comment s’articule et s’organise le paysage français ? Qui sont les acteurs de référence à une échelle française ?
Le domaine des composants est dominé par les fournisseurs d’Amérique du Nord et d’Extrême-Orient. Les industriels européens et français sont sous-représentés, et l’Europe a décidé récemment d’en faire un axe majeur de reconquête. Dans le domaine des systèmes et des logiciels, la situation est différente. Dans les systèmes, la France jouit d’une compétence reconnue, c’est le seul pays européen à avoir un fournisseur de grands calculateurs : Atos, récemment renommé Eviden, se positionne comme le fournisseur français et européen de machines Exascale au meilleur niveau mondial.
La France est aussi très présente dans le domaine des logiciels avec de très grands acteurs comme Dassault Systèmes, Sopra Steria, Murex… Dans le quantique, nous avons aussi un grand nombre de start-up et de jeunes pousses françaises dont Pasqal, Quandela, Alice & Bob, C12… Et dans le domaine de l’émulation quantique, on retrouve à nouveau Eviden. Hors composants, la France et l’Europe ont une bonne position et le programme EuroHPC contribue à dynamiser cette position et à combler progressivement nos retards.
Dans cet ensemble, la question de la souveraineté représente un enjeu majeur. En effet, parce que ces technologies ont des impacts très importants sur l’économie, la santé, la défense et de façon générale sur notre mode de vie, leur maîtrise est une nécessité absolue pour le maintien de notre compétitivité et de notre capacité de leadership dans certains secteurs d’activité. Et cette question de souveraineté ne doit pas seulement être analysée au travers du prisme de la technologie, mais aussi au regard des usages. Les fournisseurs technologiques doivent travailler avec de grands utilisateurs pour définir et réaliser leurs programmes de développement. Et les utilisateurs les plus avancés sont ceux qui travaillent avec les fournisseurs technologiques sur la conception de nouveaux usages. La clé, c’est la co-conception. Tous les secteurs industriels (la santé, l’énergie, l’ingénierie, la construction, la finance, le commerce…) sont concernés, car ils vont tous être profondément impactés par le développement et le déploiement de ces technologies et par ce qu’elles vont, in fine, leur permettre de réaliser.
Où en sont les développements de l’ordinateur quantique ? Quels sont les freins qui persistent ?
Dans le quantique, les travaux de recherche et de développement sont foisonnants, mais l’ordinateur quantique n’existe pas encore à l’heure actuelle. Sur le plan matériel, il est difficile de déterminer quelles seront les technologies qui l’emporteront. Il y a une véritable course à l’échelle mondiale et il est important de souligner que les Français sont dans le peloton de tête avec notamment des start-up technologiques comme Pascal, Quandela, Alice & Bob ou C12. Au-delà, des avancées doivent encore être réalisées en matière d’usages, d’algorithmique et d’émulation quantique. Nous avons beaucoup de travail devant nous et nous sommes très actifs sur ce sujet. Il y a 5 ans, en 2018, TERATEC a lancé l’initiative TQCI (Teratec Quantum Computing Initiative) pour aider les entreprises et les industriels à se préparer à l’arrivée de ces technologies très puissantes. Nous avons regroupé des grands industriels, des start-up du domaine, des chercheurs du monde de la recherche publique ou privée qui s’intéressent à ce sujet et nous travaillons ensemble à la mise au point de tout ce qui est nécessaire pour disposer bientôt de systèmes opérationnels. Dans ce cadre, nous organisons chaque année plusieurs journées, qui rassemblent en moyenne 200 à 300 participants et qui permettent aux utilisateurs de se préparer et aux fournisseurs technologiques de trouver des partenaires pour co-concevoir les systèmes de demain.
Les 31 mai et 1er juin s’est tenue la 18e édition du Forum TERATEC. Que faut-il en retenir ?
Nous organisons ce forum en partenariat avec le groupe Infopro Digital à Paris. Au fil des années, nous restons concentrés sur notre objectif initial : présenter un panorama très complet du numérique de grande puissance dans un évènement aux multiples facettes qui regroupe les parties prenantes de cet univers autour de tables rondes, de présentations, d’ateliers sur des sujets clés et d’une exposition.
L’édition 2023 a été un franc succès. Nous avons eu la chance de compter parmi nous Alain Aspect, Prix Nobel de physique, qui incarne les développements du quantique en France et en Europe, et Thomas Skordas, le directeur opérationnel de la DG Connect de la Commission européenne qui anime, par ailleurs, le processus de construction d’une Europe numérique, dont la principale illustration est le programme EuroHPC. La prochaine édition, en 2024, se tiendra les 29 et 30 mai au Parc Floral à Paris.
“Pour accompagner ces révolutions, les deux priorités restent l’information et la formation. Ce sont les nôtres en permanence à Teratec depuis notre création il y a bientôt 20 ans.”
Vous organisez aussi des matinales thématiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est une nouveauté que nous avons lancée en 2023. Nous en avons organisé trois l’an dernier. Ces matinales thématiques prennent la forme de webinaires complètement virtuels d’une durée de deux heures. Leur objectif est de se focaliser sur les apports du numérique dans un domaine précis. En 2023, nous nous sommes ainsi intéressés au monde de l’énergie (production, distribution…), de la santé (recherche des médicaments, adaptation des traitements…) et de la finance, banque et assurance. Nous poursuivons cette initiative en 2024.
Quelles sont les nouvelles actions et initiatives portées par TERATEC ?
À l’échelle européenne et dans le cadre du programme EuroHPC, il a été décidé de doter chaque pays de l’Union d’un centre de compétences des technologies numériques. Cette structure financée à part égale par l’Europe et les pays a vocation à être accessible aux offreurs, aux utilisateurs, aux chercheurs, aux étudiants, aux demandeurs d’emploi et à répondre à l’ensemble de leurs questions. En France, la responsabilité de ce centre a été confiée à TERATEC et nous l’animons en collaboration avec de grands partenaires dont Inria, le Cerfacs, l’URCA et le CRIANN. En parallèle, nous travaillons aussi sur le lancement d’actions de formation continue pour rendre ces technologies accessibles au plus grand nombre.
Et pour conclure, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Face à l’accélération du numérique que l’on constate aujourd’hui et qui va se poursuivre, il faut d’abord s’informer en permanence pour intégrer le plus rapidement possible les nouveautés technologiques. La seconde priorité est la formation de nos équipes actuelles à ces nouvelles approches. L’illustration la plus récente de cette réalité est ce que nous vivons aujourd’hui avec le développement très rapide de l’intelligence artificielle générative qui va transformer drastiquement tous les secteurs d’activités, mais également la façon dont nos équipes vont travailler demain. Pour accompagner ces révolutions, les deux priorités restent l’information et la formation. Ce sont les nôtres en permanence à Teratec depuis notre création il y a bientôt 20 ans.