La Mappa mundi d’Albi sous un microscope de l’X
La Mappa Mundi d’Albi, la plus ancienne représentation connue du monde (VIIIe siècle) a fait un séjour au LOB (Laboratoire d’optique et biosciences) – structure mixte (INSERM-CNRS-École polytechnique).
Pourquoi la Mappa Mundi d’Albi s’est-elle retrouvée au LOB ?
Comme tous les documents écrits de cette époque, la Mappa Mundi d’Albi est dessinée sur un parchemin, c’est-à-dire une peau animale préparée à la chaux, grattée et séchée sous tension, et dont le constituant majoritaire est le collagène.
Or il se trouve qu’une des spécialités de notre laboratoire LOB (Laboratoire d’optique et biosciences) est l’étude du collagène, cette protéine qui est la base de l’architecture de tous les tissus du corps humain. C’est une architecture complexe à visualiser dans l’espace, à trois dimensions, et qui couvre plusieurs échelles de dimensions caractéristiques, du nanomètre au millimètre.
Ce qui est passionnant dans l’étude du collagène, c’est d’essayer de comprendre comment cette même protéine de base peut donner à la fois des tissus transparents et rigides, comme la cornée, et des tissus mous et opaques, comme la peau, selon le type de structure plus ou moins ordonnée.
Dans le cadre du programme d’investigation lancé par la conservatrice du patrimoine en charge de la Mappa Mundi, qui a impliqué plusieurs équipes du Centre de recherche sur la conservation, au Muséum national d’histoire naturelle et au laboratoire du Musée de la musique (Cité de la musique), notre laboratoire était donc tout désigné pour travailler sur l’état de conservation du parchemin, qu’on peut caractériser à partir de l’évolution du collagène.
Travailler sur un parchemin était sans doute une première pour vous ?
Pas vraiment : nous avions déjà travaillé, suite à une proposition du Centre de recherche sur la conservation, sur des parchemins, certes beaucoup moins illustres que la Mappa Mundi d’Albi, mais qui nous avaient permis de nous familiariser avec ce type de matériau. Après tout, un parchemin, c’est de la peau animale séchée…
LA MAPPA MUNDI
La Mappa Mundi d’Albi, conservée à la médiathèque Pierre-Almaric de cette ville, constitue la plus ancienne représentation connue du monde occidental dans sa globalité et non abstraite, donc proprement géographique et non symbolique.
Ce parchemin est inclus sous forme d’une double page dans un manuscrit didactique datant du haut Moyen Âge (VIIIe siècle), peut-être copié au scriptorium de la cathédrale d’Albi, mais représente le Monde selon une conception remontant probablement au Bas-Empire (Ve siècle).
Elle a été inscrite en 2015 au registre « Mémoire du Monde » de l’Unesco.
Cela nous avait permis de développer une méthode de visualisation de la dégradation du collagène, ce qui est indispensable pour vérifier l’état de conservation d’un parchemin. Cela est possible grâce aux différents types de signaux qu’on obtient en microscopie multiphoton : le collagène préservé est détecté par des signaux dits « de second harmonique », le collagène dénaturé, ou gélatine, par des signaux de fluorescence.
Ce sont ces techniques que nous avons appliquées à la Mappa Mundi d’Albi, non sans un petit pincement d’anxiété du fait du caractère exceptionnel du parchemin qui nous était confié. Il faut dire que nous travaillons aussi couramment sur des tissus très précieux, comme la cornée humaine, et que nous savons donc comment prendre soin de nos échantillons.
Qu’avez-vous découvert ?
C’est le croisement des informations issues des techniques d’investigation mises en œuvre par les différents laboratoires qui a permis d’avancer sur la caractérisation du manuscrit. Par exemple les examens de spectroscopie de fluorescence X effectués au laboratoire de la Cité de la musique ont permis de mieux caractériser les encres et les pigments, et ainsi de contribuer à identifier que le pigment vert était un pastel typique de la région de Septimanie.
“ C’est le croisement des techniques d’investigation qui a permis d’avancer ”
Nos examens en microscopie multiphoton ont permis de caractériser l’état de conservation du parchemin : la Mappa Mundi d’Albi est dans un excellent état de conservation, sa structure microscopique est parfaitement préservée. Toutefois, des zones dégradées existent au bord des feuillets, là où ils ont été fortement manipulés.
Ces expériences ont ainsi confirmé l’existence d’un signal de fluorescence lié à la dégradation du collagène auquel nous ne nous attendions pas du tout lorsque nous l’avions observé lors de nos premiers essais sur parchemins.
Quel est l’impact sur votre domaine de recherche ?
Ce signal de fluorescence issu des zones dégradées ouvre la voie à de nouvelles recherches tout à fait intéressantes : il s’agit d’élucider l’origine de ce signal et de le relier à la structure de la gélatine, afin de mieux comprendre les mécanismes de dégradation du collagène.
Ces nouvelles observations donneront sans doute de nouvelles pistes pour concevoir et caractériser de nouveaux matériaux, par exemple dans le domaine de l’ingénierie tissulaire.
Que retenez-vous de cette aventure scientifique exceptionnelle ?
POUR ALLER PLUS LOIN :
Documentaire La Mappa Mundi d’Albi, le monde d’hier réalisé par P. Desenne, coproduction France Télévisions / Grand Angle Productions.
Publication « L. Robinet et al » dans la revue Support Tracé, parution en 2018.
Avant tout, c’est l’interdisciplinarité des équipes de recherche qui ont coopéré pour cette étude de la Mappa Mundi d’Albi : conservateurs de la médiathèque d’Albi, chimistes du Centre de recherche sur la conservation, historiens spécialistes des cartes et de l’époque médiévale, physiciens spécialistes en optique, lasers, spectroscopie, biosciences… à la Cité de la musique ou ici au LOB, c’est tout un ensemble de compétences qui s’est penché sur ce parchemin pour mieux en comprendre l’histoire et le sens.
Propos recueillis par Robert Ranquet (72)