La Mappa mundi d’Albi sous un microscope de l’X

Dossier : Vie du PlateauMagazine N°731 Janvier 2018
Par Marie-Claire SCHANNE-KLEIN (85)

La Map­pa Mun­di d’Albi, la plus ancienne repré­sen­ta­tion connue du monde (VIIIe siècle) a fait un séjour au LOB (Labo­ra­toire d’optique et bios­ciences) – struc­ture mixte (INSERM-CNRS-École polytechnique). 

Pourquoi la Mappa Mundi d’Albi s’est-elle retrouvée au LOB ?

Comme tous les docu­ments écrits de cette époque, la Map­pa Mun­di d’Albi est des­si­née sur un par­che­min, c’est-à-dire une peau ani­male pré­pa­rée à la chaux, grat­tée et séchée sous ten­sion, et dont le consti­tuant majo­ri­taire est le collagène. 

Or il se trouve qu’une des spé­cia­li­tés de notre labo­ra­toire LOB (Labo­ra­toire d’optique et bios­ciences) est l’étude du col­la­gène, cette pro­téine qui est la base de l’architecture de tous les tis­sus du corps humain. C’est une archi­tec­ture com­plexe à visua­li­ser dans l’espace, à trois dimen­sions, et qui couvre plu­sieurs échelles de dimen­sions carac­té­ris­tiques, du nano­mètre au millimètre. 

Ce qui est pas­sion­nant dans l’étude du col­la­gène, c’est d’essayer de com­prendre com­ment cette même pro­téine de base peut don­ner à la fois des tis­sus trans­pa­rents et rigides, comme la cor­née, et des tis­sus mous et opaques, comme la peau, selon le type de struc­ture plus ou moins ordonnée. 

Dans le cadre du pro­gramme d’investigation lan­cé par la conser­va­trice du patri­moine en charge de la Map­pa Mun­di, qui a impli­qué plu­sieurs équipes du Centre de recherche sur la conser­va­tion, au Muséum natio­nal d’histoire natu­relle et au labo­ra­toire du Musée de la musique (Cité de la musique), notre labo­ra­toire était donc tout dési­gné pour tra­vailler sur l’état de conser­va­tion du par­che­min, qu’on peut carac­té­ri­ser à par­tir de l’évolution du collagène. 

Travailler sur un parchemin était sans doute une première pour vous ?

Pas vrai­ment : nous avions déjà tra­vaillé, suite à une pro­po­si­tion du Centre de recherche sur la conser­va­tion, sur des par­che­mins, certes beau­coup moins illustres que la Map­pa Mun­di d’Albi, mais qui nous avaient per­mis de nous fami­lia­ri­ser avec ce type de maté­riau. Après tout, un par­che­min, c’est de la peau ani­male séchée… 

LA MAPPA MUNDI

La Mappa Mundi d’Albi, conservée à la médiathèque Pierre-Almaric de cette ville, constitue la plus ancienne représentation connue du monde occidental dans sa globalité et non abstraite, donc proprement géographique et non symbolique.
Ce parchemin est inclus sous forme d’une double page dans un manuscrit didactique datant du haut Moyen Âge (VIIIe siècle), peut-être copié au scriptorium de la cathédrale d’Albi, mais représente le Monde selon une conception remontant probablement au Bas-Empire (Ve siècle).
Elle a été inscrite en 2015 au registre « Mémoire du Monde » de l’Unesco.

Cela nous avait per­mis de déve­lop­per une méthode de visua­li­sa­tion de la dégra­da­tion du col­la­gène, ce qui est indis­pen­sable pour véri­fier l’état de conser­va­tion d’un par­che­min. Cela est pos­sible grâce aux dif­fé­rents types de signaux qu’on obtient en micro­sco­pie mul­ti­pho­ton : le col­la­gène pré­ser­vé est détec­té par des signaux dits « de second har­mo­nique », le col­la­gène déna­tu­ré, ou géla­tine, par des signaux de fluorescence. 

Ce sont ces tech­niques que nous avons appli­quées à la Map­pa Mun­di d’Albi, non sans un petit pin­ce­ment d’anxiété du fait du carac­tère excep­tion­nel du par­che­min qui nous était confié. Il faut dire que nous tra­vaillons aus­si cou­ram­ment sur des tis­sus très pré­cieux, comme la cor­née humaine, et que nous savons donc com­ment prendre soin de nos échantillons. 

Qu’avez-vous découvert ?

C’est le croi­se­ment des infor­ma­tions issues des tech­niques d’investigation mises en œuvre par les dif­fé­rents labo­ra­toires qui a per­mis d’avancer sur la carac­té­ri­sa­tion du manus­crit. Par exemple les exa­mens de spec­tro­sco­pie de fluo­res­cence X effec­tués au labo­ra­toire de la Cité de la musique ont per­mis de mieux carac­té­ri­ser les encres et les pig­ments, et ain­si de contri­buer à iden­ti­fier que le pig­ment vert était un pas­tel typique de la région de Septimanie. 

“ C’est le croisement des techniques d’investigation qui a permis d’avancer ”

Nos exa­mens en micro­sco­pie mul­ti­pho­ton ont per­mis de carac­té­ri­ser l’état de conser­va­tion du par­che­min : la Map­pa Mun­di d’Albi est dans un excellent état de conser­va­tion, sa struc­ture micro­sco­pique est par­fai­te­ment pré­ser­vée. Tou­te­fois, des zones dégra­dées existent au bord des feuillets, là où ils ont été for­te­ment manipulés. 

Ces expé­riences ont ain­si confir­mé l’existence d’un signal de fluo­res­cence lié à la dégra­da­tion du col­la­gène auquel nous ne nous atten­dions pas du tout lorsque nous l’avions obser­vé lors de nos pre­miers essais sur parchemins. 

Quel est l’impact sur votre domaine de recherche ?

Ce signal de fluo­res­cence issu des zones dégra­dées ouvre la voie à de nou­velles recherches tout à fait inté­res­santes : il s’agit d’élucider l’origine de ce signal et de le relier à la struc­ture de la géla­tine, afin de mieux com­prendre les méca­nismes de dégra­da­tion du collagène. 

Ces nou­velles obser­va­tions don­ne­ront sans doute de nou­velles pistes pour conce­voir et carac­té­ri­ser de nou­veaux maté­riaux, par exemple dans le domaine de l’ingénierie tissulaire. 

Que retenez-vous de cette aventure scientifique exceptionnelle ?

POUR ALLER PLUS LOIN :

Documentaire La Mappa Mundi d’Albi, le monde d’hier réalisé par P. Desenne, coproduction France Télévisions / Grand Angle Productions.
Publication « L. Robinet et al » dans la revue Support Tracé, parution en 2018.

Avant tout, c’est l’interdisciplinarité des équipes de recherche qui ont coopé­ré pour cette étude de la Map­pa Mun­di d’Albi : conser­va­teurs de la média­thèque d’Albi, chi­mistes du Centre de recherche sur la conser­va­tion, his­to­riens spé­cia­listes des cartes et de l’époque médié­vale, phy­si­ciens spé­cia­listes en optique, lasers, spec­tro­sco­pie, bios­ciences… à la Cité de la musique ou ici au LOB, c’est tout un ensemble de com­pé­tences qui s’est pen­ché sur ce par­che­min pour mieux en com­prendre l’histoire et le sens. 

Propos recueillis par Robert Ranquet (72)

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