La Marine : Évolution des missions. La Marine et la place de la France dans le monde
Il n’est guère possible de parler des missions qui incombent à la Marine nationale sans les replacer tout d’abord dans l’enveloppe des missions générales des forces armées. Celles-ci ont été redéfinies dans le Livre blanc sur la Défense de 1994 ; fruit d’une longue réflexion engagée à la suite des transformations politiques et stratégiques survenues depuis 1989, il fait encore référence aujourd’hui pour l’essentiel.
Il n’est guère possible de parler des missions qui incombent à la Marine nationale sans les replacer tout d’abord dans l’enveloppe des missions générales des forces armées. Celles-ci ont été redéfinies dans le Livre blanc sur la Défense de 1994 ; fruit d’une longue réflexion engagée à la suite des transformations politiques et stratégiques survenues depuis 1989, il fait encore référence aujourd’hui pour l’essentiel.
Ces missions générales définissent la responsabilité des forces armées à partir de trois grands cercles successifs, la défense de nos intérêts vitaux, celle de l’espace européen, la paix et le droit international dans le monde, auxquels il convient d’ajouter, à l’intérieur même du premier cercle, la mission de service public et de défense du territoire.
Appliquées à un certain nombre de situations génériques appelées « scénarios », elles se sont traduites par de grandes fonctions opérationnelles qui correspondent dans une large mesure aux finalités majeures de notre action maritime, telles qu’elles se sont dégagées au cours des dix dernières années. Ces fonctions sont au nombre de quatre :
- la dissuasion qui demeure l’élément fondamental de la stratégie de défense de la France, et que la marine a principalement en charge avec la force océanique stratégique et ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE ) ;
- la prévention qui vise à éviter le développement de situations de crise ou de conflit et qui tire largement profit de la vigilance permanente des bâtiments à la mer ;
- la projection de puissance et de forces, essentielle à la crédibilité d’une stratégie de prévention et qui est aujourd’hui la fonction prioritaire des forces classiques ;
- la protection du territoire et des populations.
Dans un monde où il n’existe plus de source de conflit majeur en Europe mais où la paix demeure d’autant plus fragile que la libération des carcans idéologiques et totalitaires s’est traduite par d’innombrables bouillonnements, il fallait prendre en compte ce besoin de sécurité globale qui nécessite tout à la fois une défense solide de l’essentiel et une capacité à agir le plus tôt possible, en profondeur donc loin si nécessaire, dans les zones de tension.
L’évolution de notre stratégie globale se traduit donc, en pratique, par le maintien pour l’essentiel des missions de la marine. La prise en compte des orientations nouvelles de notre défense réside moins dans une redéfinition de ces missions que dans une réévaluation des priorités attachées à chacun des volets de la stratégie navale qui en résulte.
Les priorités et les parts de budget qui y sont attachées ne sont pas les mêmes pour la marine que pour l’ensemble de la défense.
La mission de dissuasion
Dans ce domaine, la marine voit son rôle majeur confirmé car elle conserve avec la force océanique stratégique la responsabilité de la mise en oeuvre de la composante principale de l’outil de dissuasion. Néanmoins, cette mission devra s’exercer avec un volume de forces plus réduit correspondant à la réévaluation du seuil de suffisance.
De trois SNLE en permanence à la mer, le contrat est passé à deux, ce qui ne nécessite que trois SNLE dans le cycle opérationnel et reste compatible avec un parc de quatre SNLE au lieu des six existant en 1995.
Ce format a été rallié immédiatement, c’est-à-dire dès la fin de 1996 et comprend maintenant un SNLE de la nouvelle génération, Le Triomphant. Cependant pour assurer cette mission, il ne suffit pas de disposer des SNLE et de leur armement : tout un environnement est nécessaire ; cet environnement composé de frégates, d’avisos, de chasseurs de mines, de sous-marins d’attaque et d’avions de patrouille maritime, assure le soutien direct et indirect qui conditionne la sécurité et donc la crédibilité de nos SNLE.
En outre cette mission de dissuasion est également assurée par des missiles aéroportés, à charge nucléaire ; ces missiles, mis en oeuvre principalement par l’armée de l’air, sont également susceptibles d’être délivrés par des avions opérant à partir d’un porte-avions, c’est-à-dire depuis presque n’importe où dans le monde.
La mission de prévention
Si les forces conventionnelles participent toujours à la crédibilité de notre dissuasion, elles ont retrouvé aujourd’hui dans l’action, des raisons d’être autonomes.
Frégate Lafayette © SIRPA/ECPA |
La première de ces raisons est la « prévention ». Dans la logique de ce que l’on a appelé la « posture permanente de sûreté », la mission de prévention se traduit pour la marine par l’exercice d’une vigilance permanente partout où nous avons des intérêts et tout particulièrement dans les zones économiques exclusives des départements et territoires d’outre-mer, en Atlantique Nord, point de convergence de nos approvisionnements, en Méditerranée, lien entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Cette vigilance permanente est soit le fait d’un prépositionnement de forces de souveraineté chargées de faire valoir les droits de l’État, soit le fait de missions de présence ou de renseignement, à caractère systématique.
La mission de prévention se traduit également par un prépositionnement dynamique de moyens aéromaritimes, modulables en volume et en qualité, manifestant l’intention de la France de contribuer au contrôle des crises, tout en se tenant prête à l’action qui peut aller de l’évacuation de ressortissants à la projection d’un groupe aéronaval, en passant par l’action humanitaire.
À l’exception des SNLE, tous les bâtiments de la marine peuvent participer à cette mission mais les frégates de surveillance et les frégates Lafayette, bâtiments de deuxième rang, sont la traduction courante de ce concept.
La mission de projection
SNLE Le Triomphant © SIRPA/ECPA |
C’est bien elle qui constitue aujourd’hui la mission prioritaire des forces classiques. Pour la marine, elle repose sur l’existence et la permanence du groupe aéronaval et du groupe amphibie.
Libres de se déplacer sans entraves dans les eaux internationales, ces forces maritimes, dont la nature de l’engagement peut être modulée sur un large spectre par le pouvoir politique, constituent un instrument privilégié de gestion des crises. Leur posture peut aller de la simple présence démonstrative à la démonstration de forces par des actions de rétorsion, d’inhibition ou de frappe aérienne et comprend aussi la capacité à mettre des forces à terre.
Pour ce qui est du groupe aéronaval, la marine dispose de ses deux porte-avions avec leur groupe aérien et leurs bâtiments d’escorte. Au début du siècle prochain, le fer de lance en sera le Charles de Gaulle avec les avions Rafale.
Pour ce qui est du groupe amphibie, le format futur de la marine en 2002 prévoit quatre transports de chalands de débarquement, porteurs d’hélicoptères et capables de mettre à terre les premiers échelons lourds d’une intervention terrestre.
Dans tous les cas, associés à ces forces, les sous-marins nucléaires d’attaque, outils privilégiés de la maîtrise des mers, permettent le contrôle de la menace maritime adverse.
La mission de protection
C’est une mission multiforme, car la protection dont la marine a la charge correspond à des menaces de genres très variés, dont l’aspect militaire direct, relatif à la défense maritime du territoire, s’est largement estompé au profit du service public.
Les missions de service public représentent aujourd’hui de 13 à 15 % de l’activité de la marine, soit au titre de ses fonctions propres – hydrographie, information nautique, lutte contre les pollutions marines accidentelles – soit au titre de sa contribution aux missions communes des services de l’État en mer, missions qui s’exercent sous l’autorité et la responsabilité des préfets maritimes et qui comprennent en particulier le sauvetage en mer, le maintien de l’ordre public, la police administrative.
À l’échelon local, c’est-à-dire sur les trois façades, Manche-Mer du Nord, Atlantique et Méditerranée, les préfets maritimes sont dépositaires de l’autorité de l’État et à ce titre sont responsables de la coordination des actions des diverses administrations agissant en mer.
Conclusion
En résumé, on peut dire que les grandes réflexions politico-stratégiques des dernières années ont pérennisé l’ensemble des missions existantes de la marine, tout en remodelant leurs priorités relatives.
Il n’est que de voir comment, durant les dix ou douze dernières années, le pouvoir politique a utilisé largement la marine (guerre Iran/Irak, Koweït, Liban, Yougoslavie, Golfe de Guinée, Haïti, Comores, Somalie, Mururoa pour ne citer que les principales opérations) et toutes ses composantes, pour s’en rendre compte.
Mais cette description traditionnelle ne représente qu’imparfaitement la réalité : ce qui caractérise fondamentalement nombre de missions de la marine, c’est ce que l’on ne voit pas, ce dont on ne parle pas.
Un navire appartenant à une marine militaire est un morceau de territoire national du pays dont il arbore le pavillon. De ce fait sa mission, même non spécifiquement définie, débute dès l’instant où il quitte les eaux territoriales de son pays, se poursuit où qu’il se rende, et revêt à chaque instant l’aspect que le pouvoir politique décide de lui donner ; et le champ des possibilités est immense.
En mer, l’attitude du navire vis-à-vis de navires rencontrés peut aller, par exemple, de la plus extrême courtoisie à la recherche ostensible de renseignements, voire comporter des manoeuvres d’intimidation. Le passage d’un navire de combat dans des eaux revendiquées par un pays, à qui la France ne reconnaît pas ce droit, est un signal politique clair ; il en est de même de la mise en oeuvre d’aéronefs embarqués dans des espaces aériens internationaux que certains pays pourraient prétendre contrôler.
Au port, la diversité des attitudes possibles est grande, depuis l’escale simplement technique jusqu’à la réception de hauts représentants du pays hôte, ou, comme ce fut le cas au Liban en 1996, jusqu’au débarquement en grande cérémonie d’une aide annoncée.
Le navire de combat est à la fois un moyen et un véhicule de la politique internationale ; indicateur de la chaleur des relations existant avec un autre pays par le nombre et la nature des escales qui y sont faites, il devient un signal dès lors que l’on fait varier de manière sensible ces paramètres. La position que la France veut avoir dans telle ou telle partie du monde se traduit toujours en termes de présence et de comportement de navires de la Marine nationale.
De tout cela on ne parlera guère ; il faudra attendre le déploiement d’une force navale, ou son emploi, pour qu’apparaisse publiquement l’existence d’une mission.
Rien de tout cela n’est nouveau et les réflexions menées récemment n’ont pu, une fois de plus, que le constater. La mer est un espace qui, tout à la fois, sépare et unit, et la Marine nationale est, selon la politique choisie, le vecteur de la séparation ou celui de l’union.