La Marmite
La Cartoucherie – Théâtre de la Tempête aura joué l’Aululaire durant six semaines cette année. Les lecteurs de La Jaune et la Rouge étant en majorité d’anciens bons élèves de l’enseignement secondaire montés en graine, je ne vais pas les baratiner avec un parallèle entre l’Aululaire de Plaute et l’Avare de Molière. Ils savent cela, ou du moins on le leur a déjà seriné.
D’ailleurs la pièce s’appelait en l’occurrence La Marmite (aula, la marmite, aulula, la petite marmite, selon le Gaffiot). Mme Florence Dupont, la traductrice, explique dans la notice que “ les textes du théâtre romain n’étaient pas destinés à la lecture mais à la scène. ”
S’agissant de théâtre, latin ou pas, on s’en doutait bien un peu, encore qu’après tout les tragédies de Sénèque, un auteur romain à ma connaissance, furent bel et bien destinées à la lecture – à voix haute je veux bien – et non à la scène. Mme Dupont nous enseigne aussi que le théâtre romain n’est pas un théâtre littéraire, et qu’en cela réside sa modernité. Voilà le maître-mot lâché, mais un théâtre ne semblant donc pas pouvoir être à la fois moderne et littéraire, on en vient à se demander lequel des deux qualificatifs convient à ceux de Camus ou de Sartre, par exemple.
Conclusion : méfions-nous des commentaires des traducteurs et voyons-les à l’œuvre. Or la traduction de Mme Dupont est excellente, en cela qu’on retrouve dans son texte la truculente vivacité des dialogues de Plaute, ou la bouffonnerie de ses longs monologues, si saisissants car adressés le plus souvent de façon très directe au public, pris à partie comme à Guignol. L’alacrité de ce style n’est d’ailleurs pas propre à Plaute. Elle est presque inhérente à la langue latine et à sa concision : le veni, vidi, vici de son versant noble certes, mais se prêtant aussi bien à l’ironie rapide et légère d’un Horace dans ses dialogues satiriques, ou à l’avalanche de rebondissements loufoques et paillards d’un Satyricon.
Mme Dupont a vigoureusement opté pour ce que l’on pourrait appeler “ la traduction rapprochante ” : sa langue est celle du français contemporain le plus vivant, celui de la rue, sans le moindre “ par Hercule ! ” ou “ par Pollux ! ”, qui serait conservé de-ci de-là dans un souci de couleur locale. Cette traduction est d’ailleurs si libre qu’elle mériterait parfois plutôt le nom d’adaptation, m’a‑t-il paru. Ce qui n’a rien d’un reproche, loin de là.
De façon intéressante à noter d’ailleurs, il m’a semblé que les meilleurs passages étaient pourtant ceux où elle s’est le moins écartée d’un “ mot à mot ”, et qui sont justement les passages où Plaute atteint le plus à l’intemporalité. Ce qui conduit à penser qu’il ne faut pas confondre modernité et intemporalité, confusion pourtant fréquente de nos jours chez bien des intellectuels, sans doute terrifiés par le spectre de la ringardise.
Comme toujours à la Cartoucherie, il n’y a que du bien à dire des comédiens, dans la circonstance tous des hommes selon la pratique des tréteaux romains. J’ai particulièrement apprécié Pierre Stefan Montagnier en Euclion le vieil avare ronchon, et Franck Chevallay en dame romaine fort B.C.B.G. et un tantinet maniérée.
Dans sa mise en scène, Brigitte Jaque-Wajeman avait adopté aussi un parti si résolument contemporain que les esclaves rapportaient les provisions destinées au repas de noce dans un caddie flambant neuf. Ce détail ne s’imposait peut-être pas, pas plus que l’interminable – et malodorante – bataille à coups de poireaux bien authentiques et juteux qui s’ensuivait.
Rien n’est parfait. Le public en tout cas, beaucoup de jeunes, et des moins jeunes à têtes de profs de latin, s’amusait bien, tout comme nous, ce qui est l’essentiel.