Étymologie :
À propos de mécanique

Dossier : La mécaniqueMagazine N°752 Février 2020
Par Pierre AVENAS (X65)

En tant que science, la méca­nique étu­die les rela­tions entre les mou­ve­ments de la matière et les forces qui s’y exercent. En tant qu’activité humaine, la méca­nique est l’art de construire et d’utiliser des machines ou autres dis­po­si­tifs méca­niques. À ce pro­pos, les mots méca­nique et machine pro­viennent, par le latin, d’un même mot grec dont le pre­mier sens est plus général.

Des mots grecs à l’origine…

Le verbe grec mêkha­nan signi­fie « ima­gi­ner », « fabri­quer », « cau­ser », et mêkha­nê désigne tout « moyen », concret ou abs­trait, mis en œuvre pour atteindre un cer­tain but. Ce moyen peut être inven­tif, ingé­nieux, et consis­ter en par­ti­cu­lier en l’art de construire une machine, comme dans l’expression grecque mêkha­ni­kos tekh­nê « tech­nique de construc­tion des machines ». De là, mêkha­nê peut dési­gner la machine elle-même, pour la guerre en par­ti­cu­lier (ou aus­si la machi­ne­rie du théâtre). Ain­si, le trai­té Mêkha­ni­ka, attri­bué sans cer­ti­tude à Aris­tote, porte sur les machines simples (levier, pou­lie, etc.). Signa­lons enfin que mêkha­nê peut aus­si être pris en mau­vaise part, quand l’ingéniosité devient ruse, voire machination.

… puis des mots latins, et français

Même à l’époque clas­sique coexis­taient en grec plu­sieurs dia­lectes. Ain­si, le mot mêkha­nê pre­nait aus­si la forme makha­na (notam­ment en dorien, dans le sud de la Grèce). De là deux familles d’emprunts en latin : de mêkha­nê est issu mecha­ni­ca, d’où mecha­ni­cus, et de makha­na est issu machi­na « machine », d’où machi­na­lis « rela­tif à la machine », machi­na­tio « machine, méca­nisme » (cf. la par­tie consa­crée aux machines du De Archi­tec­tu­ra de Vitruve) ou dans l’abstrait « machination ».

En fran­çais, on retrouve les deux familles : méca­nique, méca­ni­ser… et d’autre part machine, machi­na­tion… puis aus­si machi­nisme… Les mots méca­nique et machine sont donc liés : c’est un machi­niste ou un méca­ni­cien (le méca­no) qui conduit une machine. De même en anglais mecha­nics, machine, en ita­lien mec­ca­ni­ca, mac­chi­na, espa­gnol mecá­ni­ca, máqui­na, alle­mand Mecha­nik, Maschine. Quant au Mec­ca­no, son nom est international.

En fran­çais, les adjec­tifs méca­nique et sur­tout machi­nal qua­li­fient tout com­por­te­ment répé­ti­tif, pour­sui­vi sans ima­gi­na­tion. Et le comble, c’est l’apparition fami­lière au XIXe siècle du mas­cu­lin de la machine, le machin, terme aus­si péjo­ra­tif que peut l’être le mot engin.

Retour aux sources… de l’imagination

Heu­reu­se­ment, la créa­ti­vi­té expri­mée en grec par mêkha­nê conserve toute sa per­ti­nence au vu des formes variées que prend la méca­nique dans toutes sortes de domaines : méca­nique des fluides, de la dyna­mique de l’atmosphère à la micro­flui­dique, méca­nique des solides (vis­co­élas­tiques par exemple), sans par­ler de méca­nique rela­ti­viste ou quan­tique… La bio­mé­ca­nique est aus­si source d’innovation. À ce pro­pos, même si l’ani­mal-machine de Des­cartes n’a plus aucune actua­li­té, quelques noms de machines viennent de noms d’animaux, comme on le voit dans l’épilogue.

Épilogue

En grec, le nom de la grue, l’oiseau, gera­nos, dési­gnait aus­si la machi­ne­rie qui sou­le­vait et dépla­çait les acteurs au théâtre (cf. le deus ex machi­na des Romains). En latin, Vitruve a don­né le nom de l’oiseau, grus, à un engin de guerre en forme de grue. Ensuite, dans la plu­part des langues, l’oiseau a don­né son nom à l’engin de levage (anglais, crane, ita­lien, gru…) ou presque (alle­mand, Kra­nich et Kran, espa­gnol, grul­la et grú). Un voca­bu­laire « bio­mé­ca­nique », si l’on ose dire.

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