La mécanique : une science, des techniques, des industries
Deux décennies après la publication de ce rapport, beaucoup de choses ont changé. Ainsi, on peut noter, tout à fait en vrac et à titre d’illustration : le développement considérable des sciences et techniques dans bien des domaines, les nouvelles dimensions des relations entre industriels et clients, en particulier pour les produits manufacturés, un élargissement considérable des champs d’action à des espaces souvent mondiaux, une population mondiale qui s’est accrue de plus de 50 %, de nouvelles attentes individuelles et sociétales, parfois même des évolutions sensibles dans l’organisation sociale de certaines structures…
Dans un tel contexte, comment se situe la mécanique ? Plusieurs acceptions de ce terme général sont en effet utilisées, tant dans le langage courant que dans des cercles plus spécialisés. Assez classique pour bien des expressions du même type, cette situation est accentuée en France, et entraîne un flou certain, dans la perception du rôle et de l’importance de la mécanique, au sein de la communauté des mécaniciens comme à l’extérieur. Parmi ces acceptions, on distingue :
- la mécanique, une science, ou plus exactement un ensemble de disciplines et de sous-disciplines scientifiques,
- la mécanique, une discipline technologique,
- la mécanique, un cœur de métier à part entière,
- la mécanique, une industrie, ou plus exactement un ensemble de secteurs industriels.
La mécanique, une discipline scientifique
» La mécanique est la science des lois du mouvement et de l’équilibre, et de l’application de ces lois à la construction et à l’emploi des machines. » (Larousse du XIXe siècle).
» La science des lois du mouvement et de l’équilibre « , c’est le savoir (discipline scientifique). Dans le cadre de cette définition de la mécanique, la première branche de la physique au sein de laquelle se sont développées les formulations quantitatives, de nombreux champs du savoir sont regroupés, bien au-delà de notre environnement immédiat, de l’infiniment grand (mécanique céleste) à l’infiniment petit (mécanique quantique et ondulatoire). Le dernier siècle a vu également le développement considérable de la mécanique des milieux déformables, fluides plus ou moins classiques, solides aux comportements plus ou moins simples, matériaux aux compositions et structures plus complexes, aux rhéologies subtiles.
Le rapport » Germain » sur la mécanique de 1980 incorpore des disciplines fortement connexes comme l’acoustique, la thermique, la thermodynamique, en ne perdant pas de vue bien des aspects du génie des procédés, des sciences de matériaux. Il le fait dans le souci d’une cohérence des savoirs autour des objectifs des industries mécaniques, et de la compréhension de phénomènes naturels que l’on peut qualifier de » mécaniques « .
Dans les universités et dans beaucoup d’écoles d’ingénieurs, comme dans toutes les formations de techniciens, le vocable » mécanique » fait tantôt référence au » noyau dur » des disciplines évoquées ci-dessus, tantôt, au contraire, à l’ensemble de ces disciplines, dans une vision très orientée alors vers l’ensemble des applications.
La mécanique, une discipline technologique
» L’application de ces lois à la construction et à l’emploi des machines « , c’est le savoir-faire (discipline technologique). Cette définition trop restrictive, nous allions écrire trop » mécaniste « , doit être perçue au sens large, intégrant progressivement l’ensemble des disciplines technologiques nécessaires à la conception, construction et utilisation des machines.
Ce fut, par exemple, l’introduction des apports de la thermodynamique, d’abord empirique, puis formalisée, dans l’élaboration des moteurs à combustion interne. Par exemple aussi, l’apport de l’automatique et de l’analyse des systèmes, dans des procédés mécaniques de plus en plus complexes. Par exemple enfin, l’introduction de plus en plus massive, dans les projets, des savoirs et savoir-faire informatiques.
D’une manière générale la mécanique intervient, en tant que discipline technologique, dans le processus de conception ou de réalisation, chaque fois que le service à l’utilisateur final contient l’une des fonctions génériques suivantes :
- supporter (fournir l’ossature physique d’un système),
- résister (aux sollicitations et agressions),
- transmettre (des mouvements, voire des informations),
- transporter (des objets, des hommes, des fluides),
- modifier des structures (déformation, enlèvement de matière, assemblage),
- mesurer (les formes, des états),
- modifier les compositions (mélanges, séparations),
- transformer l’énergie,
- transférer (des constituants, des quantités de mouvement, la chaleur).
Les principaux vecteurs de ces fonctions sont alors des matériaux, des mécanismes, des structures, des moteurs et actionneurs, des mélangeurs et séparateurs, des réacteurs et échangeurs, des capteurs.
Dans beaucoup de cas, des procédés complexes intègrent des associations de vecteurs de nature différente. La compréhension de leurs interactions suppose alors la mise au point de modèles de comportement des systèmes, que l’on peut considérer comme autant de » nouveaux vecteurs « .
Le métier du mécanicien
Il serait fortement réducteur de limiter le rôle du mécanicien à la fourniture des fonctions et composants purement mécaniques. Il assume le plus souvent la fonction d’architecte industriel de systèmes matériels complexes qui, face à un cahier des charges, sait intégrer autour du squelette et de la musculature tous les autres organes et fonctions, en prenant en compte les influences mutuelles et en arbitrant les compromis.
Dans un projet multitechnologies, le mécanicien est très souvent le maître d’œuvre qui manie les méthodes modernes d’analyse fonctionnelle et qui combine, en optimisant les interactions, les différentes composantes technologiques dans une réalisation matérielle optimisée et fiable.
Les produits et procédés modernes, même les plus banals, associent, autour de la structure matérielle, des technologies relevant de plusieurs disciplines de l’art de l’ingénieur (« les sciences pour l’ingénieur » ?). Le mécanicien-concepteur doit maîtriser les interfaces entre ces disciplines.
Il doit élargir son champ d’action aux technologies de fusion entre disciplines, où la simple juxtaposition des composants relevant de chaque discipline n’est plus suffisante. Un exemple classique d’une telle technologie de fusion est l’optomécatronique, associant d’une manière interactive l’informatique, l’automatique, l’électronique et l’optique à une solide base de sciences mécaniques. Elle est omniprésente dans l’automobile, la photographie, les machines-outils, l’électroménager, les périphériques de l’informatique, l’audiovisuel.
Les industries mécaniques
Plusieurs définitions des industries mécaniques, sensiblement différentes, sont utilisées, en France comme dans bien des pays développés.
Pour certains, appartiennent à l’industrie mécanique les industriels dont le savoir-faire, mis en œuvre dans leur production, est fondé essentiellement sur les technologies mécaniciennes au sens étroit, telles que la modification des structures (usinage, assemblage…). Le Centre technique des industries mécaniques (CETIM), par exemple, classe ces industriels en trois groupes : les sous-traitants, les fabricants de composants, les équipementiers. C’est dans le cadre de ce périmètre qu’est définie, en France, notre Fédération des industries mécaniques (FIM).
Pour d’autres, l’industrie mécanique englobe aussi les fournisseurs de systèmes complets assurant des fonctions qui sont, par essence même, mécaniciennes. On y trouverait en particulier les constructeurs de systèmes de transport (automobile, aéronautique, maritime…), de systèmes de transformation d’énergie (centrales électriques, turbines hydrauliques, moteurs…), de systèmes de transformation de la matière (réacteurs, fermenteurs, filtres…). Dans ce cadre, par exemple, les secteurs professionnels de l’automobile et de l’aéronautique se situent quasiment dans le » premier cercle » des industries mécaniques.
Un champ encore plus large est embrassé par ceux qui souhaitent inclure dans l’industrie mécanique les secteurs industriels qui produisent des composants et systèmes remplissant des fonctions non mécaniciennes, mais utilisant dans leur processus de conception et de réalisation principalement les technologies de la mécanique. Avec cette acception, on y trouverait par exemple l’industrie des composants électroniques et de l’électrotechnique.
Une diversité source de richesse et de débats
Perçus parfois, et nous l’évoquions au début de ce texte, comme une source de confusion, ces différents registres et les interprétations qu’ils permettent sont sources de réflexion et de débats, scientifiques, techniques, voire industriels. Et donc facteurs de progrès.
L’une des recommandations du rapport de l’Académie des sciences concernait l’amélioration des contacts entre les différents acteurs de la mécanique nationale. D’où la suggestion de créer un comité. Cette suggestion, pour peu originale qu’elle puisse paraître, a conduit à l’émergence du » Haut comité mécanique » (HCM), une structure légère regroupant des acteurs des milieux académiques (universités, écoles, organismes de recherche…) et du monde industriel (responsables d’entreprises, ingénieurs responsables de projets…).
L’une des tâches les plus immédiates de ce Comité, mis en place en 1989, sous la présidence de Paul Germain, fut de pousser au regroupement de tous les acteurs de la mécanique, en France, au sein d’une association unique, l’Association française de mécanique (AFM), créée en décembre 1997.
Cette association, structurée en groupes thématiques et en groupes transverses, dont le HCM constitue le comité stratégique, a vocation à :
- faire mieux connaître le rôle central de la mécanique, dans la plupart des secteurs industriels,
- promouvoir, en particulier au sein des PME-PMI, la mission du mécanicien en tant que chef de projet intégrateur de techniques multiples,
- améliorer la nature de la communication entre les mondes de la recherche, de la formation et de l’industrie.
Parce qu’elle est ce lieu unique, l’AFM œuvrera au développement, dans ses multiples facettes scientifiques, techniques et industrielles, d’une communauté qui devra progressivement s’élargir à l’échelle de l’Europe.
Dans les dernières décennies, le développement de la mécanique en France a été stimulé par les grands projets nationaux, relevant des secteurs de l’espace, du nucléaire, de l’aéronautique, de la défense, qui ont été moteurs de recherche technologique et fondamentale. Aujourd’hui, alors que le volume de ces grands projets a diminué considérablement, il est urgent de trouver d’autres moteurs pour faire progresser les connaissances en mécanique face aux enjeux de la nouvelle donne mondiale.
Il ne fait pas de doute que les mécaniciens, » au cœur du monde en mouvement » (pour reprendre la devise de l’AFM), s’impliqueront tout naturellement dans les grands défis actuels. On dénombre, par exemple, parmi ces défis, nouveaux moteurs de progrès :
- l’amélioration de la productivité et de la flexibilité des usines du futur,
- l’accroissement de la qualité, de la maintainabilité et de la miniaturisation des nombreux objets usuels,
- des sauts de performance des systèmes informatiques et biomédicaux, notamment par la micro et nanomécanique et matériaux nouveaux,
- de nombreux aspects de la protection de l’environnement,
- et plus particulièrement la création de meilleures conditions de vie aux populations qui sont les plus touchées par l’âge ou par un handicap.
Par des interventions amplifiées dans ces domaines, les mécaniciens pourront ainsi, élargissant les champs traditionnels de leur action, faire face aux défis les plus intenses du monde de demain.
Georges Mordchelles-Régnier et Michel Combarnous, tous deux membres de l’Académie des technologies, sont membres du Haut comité mécanique, dont M. Combarnous assure la présidence, depuis 1998, à la suite de Paul Germain.