Bertrand Herz (51), la mémoire et l’avenir
Un des plus jeunes rescapés de Buchenwald, Bertrand Herz avait d’abord décidé de tirer un trait sur ses souvenirs. Brillantes études, Polytechnique et une carrière dans l’informatique puis dans l’enseignement. Mais à la retraite le devoir de mémoire lui imposa de porter témoignage de ce qu’il avait vécu et d’être actif dans les associations françaises de déportés et de résistants comme des victimes de la Shoah.
À 14 ans, un des plus jeunes rescapés français de Buchenwald, cet homme cumule la modestie, l’aptitude à admirer et une volonté opiniâtre. L’admiration s’applique en particulier à la mémoire de son père, trop peu connu, ingénieur de Centrale, qui fut chez Alsthom un acteur majeur de l’électrification du réseau ferré français.
Ce père ne survécut pas à ce camp de concentration, où il fut interné en compagnie de Bertrand, qu’il protégea comme il put.
Ingénieur comme son père
En 1945, Bertrand Herz, profondément atteint par les épreuves et les deuils – sa mère était également décédée au camp de femmes de Ravensbrück, résolut de tirer un trait sur ses souvenirs de déportation.
“ Ouverture sur le monde, disponibilité à autrui, humour et amour de la musique.”
Reprenant ses études, il tira également un trait sur sa passion de l’histoire ; il serait ingénieur comme son père.
Sa famille était d’un milieu juif intellectuel : ouverture sur le monde, disponibilité à autrui, humour (« ne jamais se prendre trop au sérieux ») et amour de la musique ; dans les années 2000, Bertrand Herz éprouva une grande émotion à visiter à Eisenach la maison de Jean-Sébastien Bach, son compositeur de prédilection ; Eisenach, ville de culture, se trouve précisément à 50 kilomètres du camp nazi de Buchenwald.
Études classiques
Il avait fait ses études secondaires et porté l’étoile jaune, comme son frère aîné Jean-Claude, au lycée Condorcet, fréquenté par nombre d’enfants de l’intelligentsia juive parisienne.
Après sa libération de Buchenwald et son retour à Condorcet, où il fit d’excellentes études classiques (premier accessit d’histoire au Concours général), Bertrand Herz suivit son frère en prépa au lycée Saint- Louis, où il eut à pâtir d’une mémorable admonestation de la part d’un colleur de maths redouté – j’en témoigne –, Lucien Martenot, qui lui reprocha d’être moins brillant que son frère.
Parenthèse : Jean-Claude Herz choisit la Rue d’Ulm plutôt que l’X où il fut reçu troisième en 1946, devint un algébriste réputé et un musicien amateur (piano, violoncelle) de haut niveau.
L’ancêtre de l’informatique
Sorti 160e de sa promotion de l’X, Bertrand Herz entra au commissariat de la Marine. Une minorité d’ingénieurs y coexistait avec une majorité de juristes.
La première injonction de ses supérieurs fut : « Vous êtes un ingénieur, vous allez vous occuper des nouvelles technologies. » En fait, il s’agissait de ce qu’on nommait alors mécanographie, ancêtre de l’informatique administrative.
Dès l’année 1957, en équipe avec quelques autres jeunes commissaires comme lui, il commença par informatiser, petite révolution, la solde des marins, veillant corrélativement à faire supprimer les procédures manuelles devenues inutiles.
Il utilisa les machines General Electric, installées à la caserne de la Pépinière (à Paris dans le VIIIe) ; c’était l’époque où l’on rédigeait encore les programmes en langage machine.
Transmettre le savoir
Ensuite, il pantoufla. Après quatre ans dans une compagnie d’assurances, il entra au groupe Thomson, où il resta vingt ans, de 1965 à 1985. Il y créa en 1965 un service d’informatique de gestion.
“ Le devoir de mémoire lui imposait de porter témoignage ”
Il recruta huit ingénieurs issus de grandes écoles, des analystes et des programmeurs ; pendant les années 1965–1970, comme ses collègues des entreprises et sociétés de services, il s’investit dans la formation ; à cette époque, en effet, l’enseignement des techniques et méthodes de l’informatique de gestion était encore absent de l’Université et des écoles.
On fit appel à son groupe pour, entre autres, former des informaticiens congolais dans le cadre d’un contrat avec le Zaïre.
Après qu’il eut quitté la Thomson, s’ouvrit la période finale de sa vie professionnelle. Il devint professeur associé à l’université Paris‑V, IUT Paris, y enseignant l’informatique aux étudiants et aux salariés des entreprises.
Militant de la mémoire
À sa retraite, en 1994, alors qu’il était résolu à rester actif, la montée de l’extrême-droite, celle de l’antisémitisme avec l’attentat de la rue Copernic et la profanation de tombes juives au cimetière de Carpentras provoquèrent le retour des souvenirs refoulés, de son internement à Buchenwald.
Le devoir de mémoire lui imposait de porter témoignage de ce qu’il avait vu, de ce qu’il avait vécu. Il le ferait en témoin honnête, proche de la réalité historique par son engagement total en faveur de la mémoire de la déportation, également avec l’exactitude du scientifique, intolérant vis-à-vis de tout parti pris, de toute déformation des faits.
Une constante gaieté
Actif dans les associations françaises de déportés et de résistants comme des victimes de la Shoah, Bertrand Herz préside le Comité international Buchenwald- Dora et kommandos.
Comme le narre Jorge Semprun dans Le Grand Voyage, Bertrand Herz, son père, sa mère et sa sœur furent envoyés vers l’Allemagne en train à bestiaux.
Pour en savoir plus
Bertrand Herz, Le Pull-over de Buchenwald.
J’avais 14 ans dans les camps de la mort,
Tallandier, 2015.
Leur trajet dura six jours et six nuits, dans des conditions extrêmes.
Bertrand et son père parvinrent au camp de travail de Buchenwald, où ils restèrent logés quatre mois au bloc des malades. Puis ils furent transférés en décembre 1944 dans un camp satellite, le kommando de Niederorschel, à 80 kilomètres du camp principal.
Ces horreurs ne l’ont point déformé ; il reste un homme certes réservé, mais d’une constante gaieté dans le regard et l’expression.