La merveilleuse histoire du mètre, premier étalon universel
Bouleversement majeur des pratiques humaines, le Système métrique décimal, institué le 18 germinal an III (7 avril 1795) n’est finalement adopté qu’en 1837. Il aura fallu près d’un demi-siècle pour aboutir à l’adoption d’un système créé dans l’enthousiasme sous la Révolution. Pour l’usage courant, les premiers étalons du mètre et du kilogramme furent fabriqués en 1799. De nouvelles définitions ont été établies en 1960, puis en 1983.
En 1795, il existait en France plus de sept cents unités de mesures différentes. Nombre d’entre elles étaient empruntées à la morphologie humaine. Leur nom en conservait fréquemment le souvenir : le doigt, la palme, le pied, la coudée, le pas, la brasse, ou encore la toise, dont le nom latin tensa (brachia) désigne l’étendue des bras.
La toise du Pérou a été la toise de l’Académie
La toise du Pérou fut adoptée comme étalon et devint la toise de l’Académie à laquelle on devait rapporter les mesures ultérieures, elle fut soigneusement conservée et figure aujourd’hui dans les collections de l’Observatoire de Paris. Ces unités de mesure n’étaient pas fixes : elles variaient d’une ville à l’autre, d’une corporation à l’autre, mais aussi selon la nature de l’objet mesuré. Les mesures de volume et celles de longueur n’avaient aucun lien entre elles. Pour chaque unité de mesure les multiples et sous-multiples s’échelonnaient de façon aléatoire, ce qui rendait tout calcul extrêmement laborieux.
REPÈRES
Jusqu’au XVIIIe siècle il n’existait aucun système de mesure unifié. Malgré les tentatives de Charlemagne et de nombreux rois après lui, visant à réduire le nombre de mesures existantes, la France comptait parmi les pays les plus inventifs et les plus chaotiques dans ce domaine. Plusieurs tentatives d’unification avaient été faites ; on avait par exemple en 1766 adressé aux Parlements des provinces, pour en faire la distribution et en imposer l’usage dans les généralités, 80 exemplaires de l’aune, de la toise, de la livre poids-de-marc de Paris. Cette tentative échoua comme les précédentes.
Une mesure universelle
Politiques et scientifiques vont tenter de réformer cet état de fait. Leur idée est d’assurer l’invariabilité des mesures en les rapportant à un étalon emprunté à un phénomène naturel, un étalon universel qui, ainsi que Condorcet le rêvait déjà en 1775, ne serait fondé sur aucune vanité nationale, permettant l’adhésion de toutes les nations étrangères.
Pierre-François Méchain (1744−1804) |
Le climat de réforme qui suivit les événements révolutionnaires permit de précipiter le choix d’un étalon. Les cahiers de doléances réclamaient cette mesure universelle pour s’affranchir de l’arbitraire des unités de mesure seigneuriales. Le 16 février 1791, sur la proposition du chevalier Jean-Charles de Borda – l’inventeur du pendule et du » cercle répétiteur » qui portent son nom – une commission, chargée de fixer la base de l’unité des mesures, est constituée. La Commission, composée de Borda, Condorcet, Laplace, Lagrange et Monge doit opérer son choix entre trois références possibles : la longueur du pendule simple à secondes à la latitude de 45°, la longueur du quart du cercle de l’équateur, ou enfin la longueur du quart du méridien terrestre. Le 19 mars 1791, dans un rapport à l’Académie des sciences, ils déclarent : L’idée de rapporter toutes les mesures à une unité de longueur prise dans la nature, s’est présentée aux mathématiciens dès l’instant où ils ont connu l’existence d’une telle unité et la probabilité de la déterminer. Ils ont estimé que c’était le seul moyen d’exclure tout arbitraire du système des mesures, et d’être sûr de le conserver toujours le même, sans qu’aucun autre événement, qu’aucune révolution dans l’ordre du monde pût y jeter de l’incertitude ; ils ont senti qu’un tel système n’appartenant exclusivement à aucune nation, on pouvait se flatter de la voir adopter par toutes…
Jean-Baptiste Joseph Delambre (1749−1822) (in L’épopée du mètre ; ministère de l’Industrie et de l’Aménagement du territoire |
Alors que le pendule battant la seconde présentait l’inconvénient de faire intervenir des durées et de varier selon les points du globe (la longueur du pendule aurait dû être corrigée en fonction de l’intensité de la pesanteur), le méridien apparaissait comme la solution la plus simple à calculer et la plus universelle. Le 26 mars 1791 naissait le mètre, dont la longueur était établie comme égale à la dix millionième partie du quart du méridien terrestre. Le mètre concrétisait l’idée d’une » unité qui dans sa détermination, ne renfermait rien ni d’arbitraire ni de particulier à la situation d’aucun peuple sur le globe « . Le 13 avril 1791, l’Académie désigne les membres des commissions devant effectuer les opérations de mesure.
Deux équipes pour la mesure de l’arc de méridien
Mais il restait encore à établir la longueur exacte du méridien, ce qui donna lieu à une véritable épopée pour les géodésiens chargés de cette mission, Pierre-François Méchain et Jean-Baptiste Delambre. L’Académie des sciences a réparti la mesure de l’arc de méridien de la façon suivante : les deux tiers supérieurs, de Dunkerque à Rodez, incombent à Delambre ; le dernier tiers, de Rodez à Barcelone, relève de Méchain.
« L’homme est la mesure de toutes choses »
Protagoras (sophiste grec 485–411 av. J.-C.)
Cette disproportion se justifiait dans la mesure où le parcours de Delambre devait théoriquement repasser à peu près par les points de l’ancienne triangulation, tandis que Méchain s’aventurait sur un territoire vierge de toutes mesures géodésiques. En fait, les repères des triangulations antérieures se révéleront inutilisables : dans les troubles de la Révolution, des clochers ont disparu ou menacent de tomber en ruine. Sommet après sommet Delambre découvre que les anciens repères que Cassini avait utilisés sont inutilisables.
Jalonner l’arc de méridien, une entreprise pleine de difficultés
Aux repères à établir, aux montagnes à traverser se greffent les événements historiques. Une partie de ces mesures doit être réalisée sur le territoire espagnol tandis que la guerre entre la France et l’Espagne débute le 7 mars 1793. De 1793 à 1795, l’instauration de la Terreur va donc ralentir les travaux de la triangulation.
Il fallut plus de cent triangles pour jalonner l’arc de méridien
Parallèlement, le mètre est provisoirement fixé par la loi du 1er août 1793 d’après les résultats de la mesure de la méridienne de France, publiés par La Caille dans les Mémoires de l’Académie pour 1758. En outre, les subdivisions décimales du mètre seront le décimètre, le centimètre et le millimètre. Ce mètre étalon est temporaire, il ne correspond pas aux travaux de Méchain et Delambre, mais aux résultats de l’ancienne triangulation de Cassini.
La triangulation, une méthode connue depuis le début du XVIIe siècle
Pyramide de Juvisy (in L’épopée du mètre ; ministère de l’Industrie et de l’Aménagement du territoire) |
En 1718, déjà, elle avait permis à Jacques Cassini de réaliser sa mesure du méridien entre Dunkerque et Collioure. La triangulation consiste à jalonner un itinéraire par un réseau de points que l’on choisit pour leur visibilité : tour, sommet, clocher. Ces points devant former des triangles juxtaposés. Cette méthode fait appel à des calculs de trigonométrie et permet, si l’on connaît tous les angles formés par deux triangles adjacents et au moins une des longueurs d’un seul de ces deux triangles, de déterminer la grandeur de tous les côtés de deux triangles. La triangulation et la détermination des latitudes sont confiées à Cassini (le fils de Jacques Cassini), Legendre et Méchain. Il fallut plus de cent triangles pour jalonner l’arc de méridien.
Sept ans de travaux
Les opérateurs partirent en mission à la fin du mois de juin 1792. Leurs travaux suscitèrent de la part des populations inquiétude, méfiance, voire malveillance. L’époque était particulièrement mal choisie pour opérer, surtout aux environs de Paris. Delambre, arrêté à plusieurs reprises par les gardes nationales locales, vit son matériel sous scellés, fut libéré sur décret de l’Assemblée législative. À eux seuls, Méchain et Delambre vont se charger des opérations de triangulation qui lieront leur nom pour la postérité à cette nouvelle mesure du méridien. La conjoncture n’était pas favorable aux sciences ; le 8 août 1793 la Convention supprimait toutes les Académies. Les travaux de la méridienne furent interrompus en France en décembre 1793, par un arrêté du Comité de salut public, pris à l’initiative de Prieur de la Côte-d’Or. Les scientifiques suspectés de manque de vertus républicaines et sympathie pour le roi furent exclus de la Commission. Méchain, chargé de la partie méridionale de l’arc, se trouvait alors en Espagne, pays en guerre avec la France depuis le 7 mars 1793. Il rentrera par l’Italie, Delambre partit à la campagne. Les victoires des armées de la Révolution, les traités de Bâle et de La Haye (1795) donnèrent une nouvelle impulsion aux travaux scientifiques. Ces travaux prirent près de sept ans et les conduisirent de Dunkerque à Barcelone.
1799, un nouveau mètre étalon en platine
En 1795, la situation politique s’améliorant, les travaux de la triangulation peuvent reprendre ; ils se poursuivront durant encore trois ans, avant que la longueur du quart du méridien puisse être précisément déterminée, et qu’un nouveau mètre étalon en platine, dédié » à tous les temps, à tous les peuples « , ne soit déposé en 1799, aux Archives de la République.
Le Système métrique décimal, une invention révolutionnaire
L’unité de mesure de base étant déterminée, il » suffisait » désormais d’établir toutes les autres unités de mesure qui en découlaient : le mètre carré et le mètre cube, le litre, le gramme, etc.
Exclure tout arbitraire du système des mesures
Le Système métrique décimal est alors institué le 18 germinal an III (7 avril 1795) par la loi » relative aux poids et mesures « . Il s’agit d’un bouleversement majeur des pratiques humaines.
Pour déterminer l’unité de masse, la Commission préféra l’eau à tout autre corps tel que le mercure ou l’or, eu égard à » la facilité de se procurer de l’eau et de la distiller… »
Il fut établi que le kilogramme serait égal à la masse d’un décimètre cube d’eau à une température donnée. Pour l’usage courant, les premiers étalons du mètre et du kilogramme furent fabriqués en 1799 et déposés aux Archives de la République, dédiés » à tous les hommes et à tous les temps »
En France, après quelques mesures contradictoires, la loi du 4 juillet 1837, sous le ministère de Guizot, permet l’adoption exclusive du Système métrique décimal. Il aura fallu près d’un demi-siècle pour aboutir à l’adoption d’un système créé pourtant dans l’enthousiasme sous la Révolution.
Du Système métrique au Système international d’unités
Charles Maurice de Talleyrand-Périgord (1754−1838) |
Le Système international d’unités (SI), successeur du Système métrique, est officiellement né en 1960 à partir d’une résolution de la 11e Conférence générale des poids et mesures. Ce système permet de rapporter toutes les unités de mesure à un petit nombre d’étalons fondamentaux, et de consacrer tous les soins nécessaires à améliorer sans cesse leur définition. C’est là une des missions des différents laboratoires nationaux de métrologie. Les définitions des unités de base du SI ont évolué au cours de l’histoire dès que les besoins de précision de certains utilisateurs n’étaient plus satisfaits.
De nouveaux mètres
L’unité mètre définie par rapport au quart du méridien avait un caractère universel mais il est certain que sa mise en oeuvre soulevait de nombreuses difficultés. C’est pourquoi son étalon fut d’abord le mètre des Archives, puis le prototype international du mètre à partir de 1889.
Le 14 août 1960, le mètre est redéfini comme étant égal à 1650763,73 fois la longueur d’onde, dans le vide, d’une radiation orangée de l’atome krypton 86. Cette définition, fondée sur un phénomène physique, marquait le retour à un étalon naturel.
En 1983, suite aux importants travaux sur la vitesse de la lumière et sur les horloges atomiques, le mètre est redéfini en fonction de la vitesse de la lumière, comme égal « à la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant 1⁄299792458 de seconde ».
Le Bureau international des poids et mesures
La subordination à la France, ajoutée au manque d’uniformité dans l’établissement des copies, risquait de compromettre l’unification souhaitée. Pour pallier ces difficultés le Bureau international des poids et mesures (BIPM) voit le jour en 1875, lors d’une conférence internationale diplomatique ; cette dernière aboutit, le 20 mai 1875, à la signature par les plénipotentiaires de 17 États du traité connu sous le nom de » Convention du mètre « . La mission initiale du BIPM était d’assurer l’établissement du Système métrique dans le monde entier par la construction et la conservation des nouveaux prototypes du mètre et du kilogramme, de comparer les étalons nationaux à ces prototypes, et de perfectionner les procédés de mesure afin de favoriser les progrès de la métrologie dans tous les domaines. Néanmoins, le BIPM s’est progressivement orienté vers l’étude des problèmes métrologiques et des constantes physiques qui conditionnent l’exactitude des mesures lors de la définition des unités (la thermométrie par exemple), puis au fil des développements industriels, ses attributions ont été étendues à de nouveaux domaines : les unités électriques (1937), photométriques (1937) ou les étalons de mesure pour les rayonnements ionisants (1960).
2 Commentaires
Ajouter un commentaire
metre
il y a pas écrit la date de quand a été créer le mètre pliant
le metre
Le mètre est déjà mentionné dans un ouvrage datant de 1783.
L’Eudiomètre.