Le bâtiment du secrétariat permanent de l’OMM, inauguré en 1999, a été conçu pour dépenser un minimum d’énergie non renouvelable (climatisation naturelle, puits canadien, facade dynamique, éclairage intelligent).© MÉTÉO-FRANCE

La météo, une discipline scientifique au service de l’économie

Dossier : La mutation du service publicMagazine N°635 Mai 2008
Par Daniel ROUSSEAU (61)

Il y a cent cin­quante ans, marins et agri­cul­teurs furent les pre­miers clients de la météo­ro­lo­gie nais­sante. L’aviation est aujourd’hui le consom­ma­teur prin­ci­pal par­mi une mul­ti­tude d’activités sociales et éco­no­miques. Ordi­na­teurs et satel­lites ont per­mis, ces der­nières décen­nies, une amé­lio­ra­tion spec­ta­cu­laire de la qua­li­té des pré­vi­sions. Météo-France tient une place de choix dans le monde, dans le contexte d’une vaste coopé­ra­tion inter­na­tio­nale, encore dés­in­té­res­sée. Mais la néces­si­té d’une acti­vi­té com­mer­ciale semble indispensable.


Ci-des­sus : Le bâti­ment du secré­ta­riat per­ma­nent de l’OMM, inau­gu­ré en 1999, a été conçu pour dépen­ser un mini­mum d’énergie non renou­ve­lable (cli­ma­ti­sa­tion natu­relle, puits cana­dien, facade dyna­mique, éclai­rage intel­li­gent). © MÉTÉO-FRANCE


REPÈRES
1854 : créa­tion du pre­mier ser­vice météo­ro­lo­gique fran­çais sous l’impulsion de Le Verrier ;
1950 : appa­ri­tion des cal­cu­la­teurs et de la pré­vi­sion numérique ;
1960 : uti­li­sa­tion des satel­lites artificiels ;
1980 : simu­la­tion du cli­mat dans divers scé­na­rios socio-économiques.
Évo­luant selon une trans­po­si­tion de la fameuse « loi de Moore » des infor­ma­ti­ciens, l’échéance des pré­vi­sions est pas­sée, à qua­li­té équi­va­lente, de un à huit jours en quelques décennies.

Une limite théorique
Le carac­tère tur­bu­lent de l’atmosphère impose une limite théo­rique aux pré­vi­sions météorologiques.
Il reste cepen­dant aujourd’hui une marge de pro­gres­sion pos­sible impor­tante. Par exemple, la prise en compte des inter­ac­tions entre l’atmosphère, l’océan et la bio­sphère per­met­tra d’indiquer, par­mi les évo­lu­tions pos­sibles à long terme, celles qui seront sus­cep­tibles de se dérouler.

La pré­vi­sion météo­ro­lo­gique reste le domaine le plus visible de l’activité des ser­vices météo­ro­lo­giques. Cette acti­vi­té, assu­rée dans le monde entier par 182 Ser­vices météo­ro­lo­giques natio­naux (SMN), néces­site d’importants moyens tech­niques et humains en conti­nu, dif­fi­ci­le­ment per­cep­tibles par celui qui regarde ou écoute un bul­le­tin de pré­vi­sions. L’investissement pour l’équipement et le fonc­tion­ne­ment des ser­vices météo­ro­lo­giques est l’un des plus ren­tables qui soit pour la com­mu­nau­té. Les diverses études réa­li­sées pour éva­luer la ren­ta­bi­li­té des ser­vices météo­ro­lo­giques estiment que les avan­tages éco­no­miques obte­nus sont de 10 à 40 fois supé­rieurs aux coûts glo­baux des SMN.

Un environnement mondial

Un ser­vice natio­nal rem­plit une double fonc­tion : par­ti­ci­per au réseau mon­dial d’observation et four­nir aux uti­li­sa­teurs les ser­vices requis. À l’échelon mon­dial, la coor­di­na­tion relève de l’Organisation météo­ro­lo­gique mon­diale (OMM), agence spé­cia­li­sée des Nations Unies qui a suc­cé­dé en 1951 à l’Organisation mon­diale inter­na­tio­nale créée dès 1873. Au niveau euro­péen citons le Centre euro­péen de pré­vi­sion météo­ro­lo­gique à moyen terme (CEPMMT), fon­dé en 1975 ; Eumet­sat, fon­dé en 1986 pour l’exploitation des satel­lites météo­ro­lo­giques euro­péens (Météo­sat, géo­sta­tion­naire et Metop, défi­lant) ; Eumet­net, fon­dé en 1996, pour la coor­di­na­tion des pro­grammes (obser­va­tion, trai­te­ment des don­nées, pré­vi­sion, cli­ma­to­lo­gie, recherche et déve­lop­pe­ment, formation).

Vers des prévisions saisonnières

La pré­vi­sion à quelques jours, voire à une dizaine de jours, de l’arrivée sur la France d’une vague de froid ou de cha­leur ne peut se faire que grâce à un sys­tème glo­bal d’observation ou de trans­mis­sion auquel par­ti­cipe l’ensemble des SMN et grâce à des modèles numé­riques de simu­la­tion que seule­ment une dizaine de pays, dont la France, sont capables de déve­lop­per et d’exploiter.
La pos­si­bi­li­té de pré­voir à quelques heures l’arrivée d’un sys­tème ora­geux accom­pa­gné de fortes rafales repose sur des moyens natio­naux. Com­mencent à être pro­duites des pré­vi­sions sai­son­nières, grâce à la mise en com­mun des simu­la­tions effec­tuées par les grands centres mon­diaux de pré­vi­sion numé­rique, dont la France.

Une mémoire du climat

La France apporte une contri­bu­tion impor­tante aux acti­vi­tés de recherche internationales

Les don­nées cli­ma­to­lo­giques accu­mu­lées dès la fin du XIXe siècle pré­sentent un inté­rêt éco­no­mique impor­tant puisqu’elles per­mettent d’évaluer à toute époque de l’année et en tout lieu la répar­ti­tion des valeurs des para­mètres météo­ro­lo­giques sus­cep­tibles de se pro­duire : valeurs moyennes, fré­quence des phé­no­mènes extrêmes, etc. Ces élé­ments pré­sentent une impor­tance toute par­ti­cu­lière dans les domaines de l’agriculture, du génie civil ou de l’hydrologie.
Le Centre natio­nal de recherche météo­ro­lo­gique (CNRM) de Météo-France fait par­tie, comme l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) du CNRS, de la quin­zaine de centres dans le monde qui réa­lisent les simu­la­tions cli­ma­tiques. Ces simu­la­tions per­mettent au Groupe d’experts inter­gou­ver­ne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (GIEC), qui s’est vu attri­buer récem­ment le prix Nobel de la paix, d’établir des esti­ma­tions sur le cli­mat futur en fonc­tion de divers scé­na­rios éco­no­miques pos­sibles pour la planète.


Vue de la météo­pole de Tou­louse où sont loca­li­sés les ser­vices cen­traux de Météo-France (au pre­mier plan le centre de cal­cul, la pré­vi­sion, la cli­ma­to­lo­gie, puis à droite le CNRM, au fond l’École natio­nale de la météo­ro­lo­gie. © MÉTÉO-FRANCE

Météo-France, vedette mondiale

Les ser­vices à l’aéronautique sont désor­mais ouverts à la concur­rence par le « ciel unique européen »

Le SMN fran­çais se classe par­mi les meilleurs ser­vices météo­ro­lo­giques natio­naux au monde. Les per­for­mances de ses modèles de pré­vi­sion le placent dans les trois pre­miers rangs, avec le CEPMMT et le Met Office anglais, avant même les États-Unis.
Nombre de scien­ti­fiques issus du ser­vice météo­ro­lo­gique fran­çais occupent des posi­tions de pre­mier plan dans les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales (par exemple, actuel­le­ment, le secré­taire géné­ral de l’OMM, le direc­teur et le direc­teur de la recherche du CEPMMT).
Le sys­tème de sur­veillance fran­çais des phé­no­mènes dan­ge­reux est le plus com­plet d’Europe et l’un des plus déve­lop­pés au monde.
Le centre de recherche apporte une contri­bu­tion impor­tante aux acti­vi­tés de recherche inter­na­tio­nales (tra­vaux de modé­li­sa­tion, cam­pagnes de mesure, études pour la genèse des tem­pêtes, etc.).


La vigi­lance, une alerte appré­ciée avant l’apparition pos­sible de phé­no­mènes dan­ge­reux. © MÉTÉO-FRANCE

Un mil­lier d’ingénieurs
L’établissement public Météo-France emploie 2 700 per­sonnes dont un mil­lier d’ingénieurs, par­mi les­quels près d’une cen­taine de polytechniciens.
Son bud­get (321 mil­lions d’euros en 2006) est consti­tué pour 60 % de sub­ven­tions de l’État, 25 % de rede­vances aéro­nau­tiques et 15 % de recettes commerciales.
L’activité opé­ra­tion­nelle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, est assu­rée par le ser­vice cen­tral de Tou­louse, sept ser­vices inter­ré­gio­naux en métro­pole et les ser­vices d’outre-mer (Antilles-Guyane, La Réunion, Poly­né­sie, Nou­velle-Calé­do­nie), dont la posi­tion géo­gra­phique joue un rôle impor­tant au sein du sys­tème mon­dial d’observation.

Des performances sans cesse améliorées

Le modèle numé­rique de base pour la pré­vi­sion à courte échéance a les mêmes per­for­mances aujourd’hui pour soixante-douze heures que pour qua­rante-huit heures il y a quinze ans. L’échéance des bul­le­tins de pré­vi­sion, qui était à cette époque limi­tée à cinq jours, a été por­tée à sept jours à par­tir de 1999. Le sys­tème d’alerte des phé­no­mènes dan­ge­reux, dif­fu­sé aujourd’hui sous forme de cartes de vigi­lance au public comme aux auto­ri­tés, et dont les per­for­mances sont éva­luées pour leur uti­li­té opé­ra­tion­nelle par la sécu­ri­té civile, connaît une pro­gres­sion en termes d’événements pré­vus cor­rec­te­ment anticipés…

La Résolution 40, ou comment gagner des sous

Une acti­vi­té de services
Météo-France Inter­na­tio­nal (MFI), filiale créée en 2002, exporte le savoir-faire de Météo-France dans de nom­breux pays, en par­ti­cu­lier dans le Magh­reb, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et dans cer­tains pays d’Europe.

L’irruption en France, comme dans de nom­breux pays, d’un aspect com­mer­cial de la météo a ébran­lé l’organisation mon­diale qui repo­sait, depuis plus de cent ans, sur un échange libre et gra­tuit de l’information entre tous les ser­vices météo­ro­lo­giques natio­naux. Il est appa­ru que des ser­vices spé­ci­fiques pou­vaient être ren­dus à des uti­li­sa­teurs pri­vés. Cette com­mer­cia­li­sa­tion est pra­ti­quée aux États-Unis, mais par des socié­tés pri­vées, le ser­vice public amé­ri­cain four­nis­sant pour sa part gra­tui­te­ment l’information météo­ro­lo­gique de base, au public comme au monde entier.
Un com­pro­mis a pu être trou­vé à l’OMM en 1995. Dénom­mé Réso­lu­tion 40, il sti­pule que les don­nées et pro­duits indis­pen­sables pour le fonc­tion­ne­ment du réseau mon­dial appar­tiennent au domaine public et peuvent être uti­li­sés sans res­tric­tion. Par contre, des don­nées « sup­plé­men­taires » peuvent être com­mer­cia­li­sées avec cer­taines res­tric­tions (elles doivent notam­ment être dis­po­nibles gra­tui­te­ment pour l’enseignement et la recherche).
La Réso­lu­tion 40 laisse sub­sis­ter de grandes diver­gences d’application. Les ser­vices natio­naux de l’Allemagne et des Pays-Bas ont adop­té la posi­tion amé­ri­caine et ne com­mer­cia­lisent plus de ser­vices. Le Royaume-Uni, la Suède et la France pra­tiquent, à côté de leur mis­sion de ser­vice public, une acti­vi­té de ser­vices com­mer­ciaux notable (15 % du bud­get de Météo-France).

À la recherche de l’équilibre financier
En 1992, à la veille de la créa­tion de l’établissement public Météo-France, l’État finan­çait 70 % du bud­get, l’aéronautique 22 % et les acti­vi­tés com­mer­ciales 8 %. En 2008, la répar­ti­tion est sen­si­ble­ment de 60 %, 25 % et 15 %.
L’effectif est res­té à peu près le même. La part de mar­ché de Météo-France est de l’ordre de 70 % du mar­ché fran­çais. Les ser­vices à l’aéronautique sont désor­mais ouverts à la concur­rence par le « ciel unique européen ».
L’accès gra­tuit via Inter­net et le déve­lop­pe­ment de socié­tés pri­vées concur­rentes concourent à gri­gno­ter un mar­ché qui ne peut se déve­lop­per que par des pro­duits inno­vants. Il est en outre impé­ra­tif de main­te­nir une grande qua­li­té de recru­te­ment et de formation.

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