La méthode A(BC) au carré, un vecteur d’amélioration de la performance

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°598 Octobre 2004
Par Philippe CHERVI (83)

La com­pa­rai­son (ou le bench­mark) opé­ra­tion­nelle et finan­cière por­tant sur des sites dif­fé­rents, de par leur his­toire ou leur orga­ni­sa­tion, et même lors­qu’ils appar­tiennent à une même socié­té, s’ap­puie sur des élé­ments trop dis­sem­blables pour être réel­le­ment significative.
Elle est d’au­tant plus per­ti­nente que le niveau d’a­gré­ga­tion des don­nées est éle­vé, au détri­ment cepen­dant de leur leur représentativité.
Il devient alors cru­cial d’ad­joindre à cette simple com­pa­rai­son une méthode dite Acti­vi­ty-Based Cos­ting (ABC), pour obte­nir une méthode A(BC)2 : ABC and Bench­mark Com­bi­ned per­met­tant de rele­ver le niveau de repré­sen­ta­ti­vi­té grâce à une com­pré­hen­sion fine de l’ac­ti­vi­té opé­ra­tion­nelle de chaque site de la société.

Comparer ce qui est comparable

Pour illus­trer cette approche, par­tons de l’in­ter­ro­ga­tion de ce res­pon­sable de Busi­ness Unit (BU) dans le sec­teur de la pétro­chi­mie, récem­ment nom­mé, conscient de pra­tiques et de résul­tats extrê­me­ment dif­fé­rents entre ses sites et dési­reux de connaître le poten­tiel d’a­mé­lio­ra­tion de sa BU, y com­pris en matière de réduc­tion des coûts fixes. Les sites sont implan­tés en Europe, en Amé­rique et en Asie. Leur forme juri­dique varie du contrôle total à la par­ti­ci­pa­tion mino­ri­taire au sein de joint ven­tures (JV).

La réponse à la ques­tion néces­site d’al­ter­ner entre une vue de détail et une vue d’hé­li­co­ptère, pour com­prendre le » sub­strat » opé­ra­tion­nel et finan­cier et in fine pro­po­ser des plans d’ac­tion en toute connais­sance de cause. La gageure de l’exer­cice réside dans la com­pa­rai­son de sites hété­ro­gènes, tant dans leur orga­ni­sa­tion, leurs pra­tiques, que dans leur struc­ture d’al­lo­ca­tion et de refac­tu­ra­tion des coûts. Il s’a­git de com­prendre la com­plexi­té inhé­rente à l’his­to­rique, la culture et l’ac­ti­vi­té des sites pour en déga­ger des élé­ments de comparaison.

Une simple com­pa­rai­son four­ni­rait des résul­tats sur des péri­mètres (fonc­tion­nels, finan­ciers) trop dif­fé­rents pour être repré­sen­ta­tifs de la com­plexi­té annon­cée. En revanche, rame­née à un même péri­mètre et cou­plée à une méthode ABC cen­trée sur une notion d’ac­ti­vi­té, elle per­met d’i­den­ti­fier puis d’ex­pli­quer les écarts dans le coût com­plet des uni­tés de production.

La référence opérationnelle

Pour­quoi une simple com­pa­rai­son ne suf­fi­rait-elle pas ? Le tra­vail de pro­duc­tion est bien le même sur les sites, il ne dif­fère sen­si­ble­ment que par les tech­no­lo­gies, la struc­ture des orga­ni­sa­tions et par­fois la gamme de pro­duits. Une lec­ture rapide des orga­ni­grammes montre cepen­dant qu’il ne fait pas inter­ve­nir les mêmes fonc­tions ou ser­vices et que ceux-ci tra­vaillent par­fois en dehors du péri­mètre de la BU ou du site. Com­ment tenir compte de ces différences ?

Même si le tra­vail est réa­li­sé par des fonc­tions ou des ser­vices dif­fé­rents, il n’en obéit pas moins à une logique propre basée sur des pro­ces­sus séquen­cés en acti­vi­tés. La pro­duc­tion recouvre ain­si un ensemble d’ac­ti­vi­tés géné­riques ou spé­ci­fiques à chaque site, chaque acti­vi­té étant consti­tu­tive d’une fonc­tion ou d’un ser­vice. À la base de la com­pa­rai­son opé­ra­tion­nelle et au terme d’une série d’en­tre­tiens avec les prin­ci­paux res­pon­sables des sites, les acti­vi­tés de chaque site sont ain­si » pro­je­tées » sur une base d’ac­ti­vi­tés » universelles « .

La com­pré­hen­sion et la com­pa­rai­son entre les sites du pro­ces­sus de pro­duc­tion four­nissent une liste de 60 acti­vi­tés uni­ver­selles regrou­pées au sein de 19 fonc­tions, elles-mêmes regrou­pées en 4 macro­fonc­tions iden­ti­fiant les opé­ra­tions et le sup­port aux opé­ra­tions de la BU et les ser­vices géné­raux et indus­triels du site. Les entre­tiens déter­minent aus­si la part de per­son­nel tra­vaillant effec­ti­ve­ment au pro­fit du site, de la BU voire d’autres enti­tés, de telle sorte que l’on peut asso­cier à chaque acti­vi­té la part de per­son­nel tra­vaillant pour la BU.

La référence financière

Main­te­nant que la réa­li­té opé­ra­tion­nelle des sites a pu être pro­je­tée sur des acti­vi­tés uni­ver­selles, il reste à éva­luer le coût de chaque acti­vi­té rame­né à des péri­mètres homo­gènes sinon iden­tiques. Les péri­mètres iden­ti­fiés sont le site, la BU et un sous-ensemble de la BU pro­dui­sant les mêmes produits.

L’exa­men des natures de coût montre une grande diver­si­té entre les sites dans la mesure où elles reflètent des flux de pres­ta­tions entre enti­tés, ces enti­tés étant elles-mêmes des centres de coût. Le nombre de natures de coût de per­son­nel varie de 5 dans un site à 72 dans un autre… Outre des natures telles que des coûts directs et indi­rects, une nature de coût semi-directe a été intro­duite pour tra­duire un ser­vice deman­dé à un pres­ta­taire interne. La dis­tinc­tion est utile pour suivre l’al­lo­ca­tion et la nature des coûts entre les centres de coût inter­mé­diaires et finaux, ceux-ci cor­res­pon­dant aux uni­tés de pro­duc­tion des BU (cf. figure 1). D’une manière ana­logue aux acti­vi­tés uni­ver­selles, des natures de coût » uni­ver­selles » ont été pré­ci­sé­ment défi­nies, les natures de coût locales étant ensuite pro­je­tées sur celles-ci.

Figure 1 – Dyna­mique d’allocation des coûts com­plets selon les natures (flèches de cou­leurs différentes)

Les fonc­tions ou ser­vices, à la base des orga­ni­grammes, sont des centres de coût iden­ti­fiés. L’a­na­lyse de la dyna­mique de refac­tu­ra­tion via les cas­cades de refac­tu­ra­tion per­met de construire le coût com­plet des centres finaux de pro­duc­tion à par­tir des don­nées brutes et en uti­li­sant les natures de coût uni­ver­selles. Au pas­sage, l’exa­men des flux des centres de coût inter­mé­diaires montre clai­re­ment le niveau de contrôle de ces centres en fonc­tion de la nature des coûts, directs ou indi­rects : plus les flux sont directs et meilleur est le contrôle.

À ce stade, celui de la déter­mi­na­tion du coût d’une acti­vi­té, la dif­fi­cul­té du décou­page en acti­vi­tés se révèle alors au grand jour. Pour sédui­sant que soit ce décou­page, il n’est légi­time que si l’on peut asso­cier un coût à chaque acti­vi­té. Or toute acti­vi­té ne repré­sente qu’une frac­tion d’une fonc­tion ou ser­vice, le niveau le plus bas du détail finan­cier. Il faut donc trou­ver une fonc­tion de trans­fert de la fonction/service à l’ac­ti­vi­té. Ain­si appa­raît le concept de géné­ra­teur d’ac­ti­vi­té pour iden­ti­fier la part de tra­vail dévo­lue à telle ou telle BU. Pour les coûts de per­son­nel, il s’a­git de la part de per­son­nel tra­vaillant au pro­fit de la BU. Pour les autres coûts, le géné­ra­teur d’ac­ti­vi­té prend des formes aus­si diverses que le nombre de demandes d’in­ter­ven­tions en méca­nique pour l’ac­ti­vi­té d’in­ter­ven­tion méca­nique de la fonc­tion main­te­nance, le nombre de per­sonnes tra­vaillant dans la BU pour une fonc­tion sup­port telle que les res­sources humaines, le nombre de fac­tures trai­tées pour un ser­vice de comp­ta­bi­li­té four­nis­seurs, etc.

Quelques constatations

La com­pa­rai­son des acti­vi­tés n’est légi­time qu’a­près prise en compte de fac­teurs exo­gènes tels que le droit du tra­vail, la culture d’en­tre­prise, etc., tout fac­teur d’en­vi­ron­ne­ment ou exté­rieur à la socié­té affec­tant le temps de tra­vail effectif.

Pour nor­ma­li­ser la com­pa­rai­son, le temps de tra­vail effec­tif a été cal­cu­lé en tenant compte des vacances, jours de congés légaux, RTT, temps de repré­sen­ta­tion syn­di­cale, heures sup­plé­men­taires, etc. L’é­cart atteint 50 % entre des sites en Asie et en Europe, essen­tiel­le­ment parce que la com­pen­sa­tion des heures sup­plé­men­taires est finan­cière sur le site asia­tique et sous forme de jours sur le site européen.

Par oppo­si­tion, les fac­teurs endo­gènes tels que la struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle, les pro­ces­sus, l’af­fec­ta­tion des per­son­nels selon leurs com­pé­tences, la poli­tique d’in­ves­tis­se­ment, de contrôle des coûts et la poli­tique indus­trielle sur les sites sont autant de variables de com­pa­rai­son dont il importe de déter­mi­ner la réelle influence.

Les consta­ta­tions d’en­semble montrent une allo­ca­tion erro­née de coût de per­son­nel (par le jeu de muta­tions internes non prises en compte), une hété­ro­gé­néi­té des pro­ces­sus des ser­vices sup­port et un ensemble de pres­ta­tions croi­sées entre le site, les BU et des socié­tés exté­rieures, dans le cadre de joint ven­tures par exemple. Il s’a­git d’ailleurs d’une carac­té­ris­tique des plates-formes chi­miques sur les­quelles plu­sieurs socié­tés coha­bitent, uti­li­sant les ser­vices sup­port du site et s’é­chan­geant par­fois des prestations.

Figure 2 – Com­pa­rai­son des coûts directs (acti­vi­té de production)

Les indi­ca­teurs de com­pa­rai­son les plus signi­fi­ca­tifs sont :

  • le coût de l’ac­ti­vi­té selon les sites ;
  • l’ef­fi­ca­ci­té de l’ac­ti­vi­té, c’est-à-dire le rap­port entre le coût com­plet de l’ac­ti­vi­té et le nombre de per­sonnes tra­vaillant dans cette acti­vi­té, qu’elles soient orga­niques ou externes ;
  • le coût de la pro­duc­tion finale rame­né à un ton­nage de pro­duc­tion. Ce der­nier coût sert de base à une réflexion stra­té­gique sur la stra­té­gie indus­trielle de la BU, tenant compte de la demande locale et des frais de logis­tique (trans­port et sto­ckage des matières pre­mières, des pro­duits inter­mé­diaires et des pro­duits finis). La figure 2 donne l’ordre de gran­deur des coûts directs asso­ciés à l’ac­ti­vi­té de pro­duc­tion tout en sou­li­gnant l’é­cart de pro­duc­ti­vi­té avec le site asiatique ;
  • au niveau des macro­fonc­tions, le pour­cen­tage du coût rame­né à un même péri­mètre met en lumière des dif­fé­rences impu­tables au poids des dépenses de per­son­nel et au niveau d’in­ves­tis­se­ment retenu.

Pour les aspects qua­li­ta­tifs, on peut citer des indi­ca­teurs tels que :

  • le niveau de com­pé­tence requis pour assu­rer une acti­vi­té. La stra­té­gie asso­ciée est la concen­tra­tion sur les métiers-clés et l’emploi de res­sources orga­niques sur ces métiers, de pré­fé­rence à une externalisation ;
  • le péri­mètre et le degré d’ex­ter­na­li­sa­tion des activités.

Les pistes d’amélioration

Outre les poli­tiques indus­trielle et d’in­ves­tis­se­ment qui se basent sur des consi­dé­ra­tions, lar­ge­ment externes, de stra­té­gie et de posi­tion­ne­ment mar­ché, l’ex­pli­ca­tion locale des écarts de coût com­plet des acti­vi­tés fait res­sor­tir quatre fac­teurs internes en lien direct avec la per­for­mance, à savoir :

  • les pro­ces­sus sous-ten­dant les acti­vi­tés : l’ef­fi­ca­ci­té d’une acti­vi­té a pour corol­laire un pro­ces­sus homo­gène com­por­tant des tâches à forte valeur ajou­tée. Il est dès lors ten­tant de vou­loir ratio­na­li­ser cer­tains pro­ces­sus-clés entre les sites, pour en réduire le coût. L’ho­mo­gé­néi­sa­tion d’un pro­ces­sus auto­rise un temps d’ap­pren­tis­sage réduit pour des per­son­nels voire des sous-trai­tants qui ont déjà pu le pra­ti­quer dans un autre site. Il peut aus­si concou­rir à une sécu­ri­té accrue comme dans le cas du pro­ces­sus des per­mis de tra­vail en main­te­nance : un pro­ces­sus unique réduit le risque d’in­ci­dents ou d’ac­ci­dents car les per­son­nels et sous-trai­tants ame­nés à tra­vailler sur plu­sieurs enti­tés res­pectent les mêmes pro­cé­dures et consignes ;
  • le contrôle sys­té­mique de ces pro­ces­sus : afin de contrô­ler le flux d’in­for­ma­tion au sein du pro­ces­sus et l’emploi de chaque acteur y par­ti­ci­pant, un sys­tème orchestre l’ob­ten­tion de la per­for­mance opé­ra­tion­nelle et finan­cière de l’ac­ti­vi­té dans le temps, par exemple au niveau men­suel pour les mana­gers et au niveau heb­do­ma­daire voire jour­na­lier pour les tech­ni­ciens et opérateurs ;
  • l’a­dé­qua­tion charge-capa­ci­té, c’est-à-dire entre les com­pé­tences des per­son­nels et les postes tenus : les orga­ni­grammes des sites montrent à l’é­vi­dence les dif­fé­rences de choix de caté­go­rie de per­son­nels et de poli­tique de sous-trai­tance pour réa­li­ser telle ou telle acti­vi­té ain­si que le degré de décen­tra­li­sa­tion ou de par­tage de cer­taines activités ;
  • la culture des sites, et notam­ment la culture de la mesure : une poli­tique de contrôle de coût se basant sur des natures com­munes et cal­cu­lant des coûts com­plets pour des acti­vi­tés de réfé­rence per­met­trait une com­pa­rai­son finan­cière sur de mêmes bases. Il serait sou­hai­table d’in­cor­po­rer dans le contrôle sys­té­mique des pro­ces­sus majeurs de la BU un tableau de bord BU com­por­tant les mêmes indi­ca­teurs de réfé­rence sur chaque site et s’ap­puyant sur des tableaux de bord site plus étof­fés selon les acti­vi­tés spé­ci­fiques d’un site.

Conclusion

Figure 3
Le type de méthode A(BC)2 retenu

► Iden­ti­fi­ca­tion des péri­mètres : site, BU, etc.
► Notion d’activités “uni­ver­selles ” (défi­ni­tion et “ pro­jec­tion ” du nombre des per­son­nels dans les acti­vi­tés locales sur les acti­vi­tés universelles).
► Col­lecte des don­nées locales de coût par sections/natures/périmètres.
► Iden­ti­fi­ca­tion des prin­cipes géné­raux d’allocation de coût.
► Notion de nature de coût “ uni­ver­selle “ (défi­ni­tion et pro­jec­tion des natures locales sur les natures universelles).
► Asso­cia­tion des coûts aux acti­vi­tés “ uni­ver­selles ” (conver­sion des sec­tions locales en acti­vi­tés uni­ver­selles, allo­ca­tion des coûts locaux aux acti­vi­tés uni­ver­selles pour tous les périmètres

La méthode A(BC)2 rete­nue four­nit la base néces­saire à une com­pa­rai­son inter­sites (cf. figure 3). Elle a une por­tée géné­rale qui auto­rise son appli­ca­tion à des socié­tés dans des sec­teurs autres que la pétro­chi­mie. Elle néces­site une connais­sance fine de l’ac­ti­vi­té opé­ra­tion­nelle de la socié­té et des struc­tures d’al­lo­ca­tion et de cas­cade des coûts. L’i­den­ti­fi­ca­tion des acti­vi­tés com­munes aux sites est, à elle seule, révé­la­trice du fonc­tion­ne­ment opé­ra­tion­nel et finan­cier des sites, en par­ti­cu­lier pour le degré de contrôle effec­tif des coûts.

Dans l’exemple cité, le temps de défi­ni­tion ini­tiale des acti­vi­tés uni­ver­selles et d’une struc­ture finan­cière de réfé­rence a été de trois à quatre semaines. La col­lecte des infor­ma­tions sur chaque site a été du même ordre de temps, tout comme la phase d’a­na­lyse finale dans laquelle la com­pa­rai­son a été menée entre tous les sites et les pro­jets d’ac­tion iden­ti­fiés. Moyen­nant cet inves­tis­se­ment préa­lable, la méthode auto­rise une réelle com­pa­rai­son des acti­vi­tés com­munes à chaque site de la socié­té de nature à per­mettre d’en déduire les pistes d’a­mé­lio­ra­tion de la per­for­mance opé­ra­tion­nelle et financière.

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