La méthodologie EIME :
Le terme « éco-conception » est généralement employé pour exprimer la prise en compte des aspects environnementaux dans la conception des produits. Malheureusement, ce terme couvre, voire cache, des réalités très différentes et très hétérogènes. Qui a éliminé une substance dangereuse, qui a réduit la consommation d’énergie, qui a favorisé le démantèlement du produit en fin de vie pourra se targuer d’avoir fait de l’éco-conception. Une telle démarche, qui permet à ses promoteurs de tenter de tirer un bénéfice commercial de leurs efforts, a au moins le mérite de contribuer à une plus grande sensibilisation du public aux problèmes environnementaux.
En revanche, nous pouvons nous interroger sur le réel bénéfice pour l’environnement des actions qui ont été menées, car, dans la plupart des cas, elles ne respectent pas un certain nombre de principes que nous tenterons de développer dans le présent article. En particulier, en étant focalisée sur un seul aspect environnemental, une amélioration peut, en réalité, cacher des dégradations d’autres aspects.
Ces « dérives » de l’éco-conception résultent le plus souvent d’une demande spécifique pour des produits « verts ». Or nous pensons qu’en fait il n’y a pas lieu de singulariser la protection de l’environnement dans la conception des produits. Les questions environnementales doivent en effet être considérées comme un élément à part entière de la conception d’un produit, au même titre, par exemple, que la sécurité et la qualité. C’est pourquoi nous préférons parler de conception consciente de l’environnement. C’est dans cet esprit qu’Alcatel, en collaboration avec plusieurs industriels du secteur électrique et électronique1, a développé une méthodologie d’aide à la conception de produits plus respectueux de l’environnement, présentée dans le présent article.
Une méthodologie sectorielle pour la prise en compte de l’environnement dans la conception des produits
Principes de base
La conception d’un produit conduit à faire des choix qui apportent le meilleur compromis possible entre un grand nombre de paramètres comme, d’une part, les exigences du cahier des charges techniques comprenant notamment les contraintes de sécurité, et d’autre part, la recherche du coût le plus bas, le respect des normes et réglementations, etc., et donc la protection de l’environnement. C’est dire combien cette question est complexe et délicate.
De plus, en ce qui concerne les aspects environnementaux, ils sont multiples et variés. Même si, d’une façon générale, on ne peut pas considérer les produits électriques et électroniques comme polluants au sens usuel du terme, ils nécessitent, comme tout produit, des matières premières et de l’énergie pour être fabriqués. Comme tout produit également, ils génèrent, directement (rarement) ou indirectement des émissions vers l’air, l’eau et le sol, qui contribuent aux divers effets sur l’environnement comme l’effet de serre, la destruction de la couche d’ozone ou les pluies acides. Ainsi, les produits électriques et électroniques sont consommateurs d’énergie. Le dégagement de chaleur qui résulte de leur utilisation n’est pas polluant en tant que tel, mais par contre la production de l’énergie électrique nécessaire est aujourd’hui le plus souvent très polluante.
Mais parmi tous ces impacts sur l’environnement, lequel est le plus important ? Doit-on privilégier l’effet de serre ou l’eutrophisation des eaux ? Personne aujourd’hui n’a la réponse à cette question. C’est pourquoi, notre méthodologie est basée sur une approche multicritères qui laisse une plus grande souplesse dans la recherche de compromis dans la conception, tout en assurant une réduction globale de la plupart des impacts.
Cette approche multicritères a deux effets indirects :
- En premier lieu, puisqu’il est impossible d’avoir une mesure globale des impacts d’un produit sur l’environnement, il n’est pas possible de définir un produit » vert « . De plus, il est difficile, voire impossible de comparer un produit à un autre puisque si tel produit génère de moindres émissions vers l’air par rapport à un autre, ce dernier présente peut-être moins d’émissions vers l’eau. Quel est donc le » plus vert » ? Cette question est aujourd’hui sans réponse.
- En second lieu, il convient de placer la réduction des impacts sur l’environnement dans une démarche d’amélioration continue. Il s’agit, au fur et à mesure des générations successives d’un même produit, de réduire progressivement, et pas forcément simultanément, l’ensemble des impacts sur l’environnement.
Il convient également de considérer l’ensemble du cycle de vie du produit, puisque l’amélioration de sa performance environnementale à une étape donnée pourrait avoir des conséquences négatives sur une autre étape de ce cycle de vie. Par exemple, l’utilisation de matières plastiques pour alléger un produit peut nécessiter une métallisation de ces matières plastiques pour respecter des contraintes de compatibilité électromagnétique ; l’allégement du produit se fait ainsi au bénéfice d’une réduction des impacts liés à son transport, mais au détriment d’une moins bonne valorisation en fin de vie. Il faudrait en plus évaluer la part des opérations de métallisation sur les impacts associés à la fabrication du produit.
En revanche, le concepteur ne s’intéressera qu’aux aspects du produit sur lesquels il peut avoir une influence. Ainsi, si la réduction du poids du produit peut entrer dans ses compétences, les performances environnementales de la logistique de transport du produit lui échappent.
Il va sans dire que la conception du produit doit également tenir compte de la réglementation en vigueur.
Ces contraintes réglementaires, ainsi que d’autres, normatives ou commerciales, peuvent permettre de donner la priorité à certains aspects. Il convient alors de vérifier que tout progrès réalisé sur les impacts respectant cette priorité ne se fait pas aux dépens des autres impacts qui doivent, dans le pire des cas, rester au même niveau.
Description de la méthodologie EIME
Le développement d’un produit aussi complexe qu’un produit électrique et électronique est un processus relativement long. Mais il apparaît que les grands choix de conception sont faits très en amont de ce processus, à un stade où ces choix se font plutôt en termes de technologies, de types de matériaux ou de types de composants.
Comparaison de deux options de conceptions d’un produit |
Impacts liés à la fabrication |
Impacts liés à l’ensemble du cycle de vie |
En vert, la nouvelle génération ; en rouge, l’ancienne génération : bien que les impacts liés à la fabrication soient plus élevés pour la nouvelle conception (en haut), ils s’avèrent plus faibles sur l’ensemble du cycle de vie (en bas). |
Il n’est donc pas possible à ce stade de réaliser une analyse fine et détaillée des impacts du produit sur l’environnement. En revanche, il est nécessaire d’identifier à ce stade les « points faibles » du produit vis-à-vis de l’environnement pour les corriger lorsque cela est encore possible.
Il importe par ailleurs que la prise en compte des aspects environnementaux puisse être faite dans le cadre des procédures de développement usuelles de l’entreprise, par des personnes qui ne sont donc pas, au moins aujourd’hui, familières avec cette problématique.
C’est dans cet esprit, et dans le respect des principes de base, que la méthodologie EIME (Évaluation des IMpacts Environnementaux) et un logiciel associé2 ont été développés. Le logiciel est utilisé de la manière suivante :
a) le produit est décrit en utilisant des « briques » élémentaires, appelées modules, qui peuvent représenter des matériaux (métaux, plastiques…), des composants (diodes, résistances, câbles…), ou des procédés de fabrication. Chaque module comporte les impacts environnementaux correspondant à l’objet du module, par exemple la fabrication d’une diode, d’un câble ou d’un kilo de cuivre. Ces données sont génériques et représentatives de la technologie de fabrication ;
b) les différentes étapes du cycle de vie sont prises en considération ;
c) lors de la description des éléments relatifs au produit, le logiciel réagit aux choix de l’utilisateur pour l’informer sur des aspects réglementaires, normatifs, commerciaux…, ou pour lui transmettre des instructions3. Par exemple, il peut être demandé au concepteur de prévoir le marquage des pièces plastiques dont le poids est supérieur à une certaine valeur (en général 25 g). À chaque fois que le concepteur décrira une pièce à l’aide d’un module de matériau plastique ET lorsqu’il indiquera que le poids est supérieur à 25 g, le logiciel lui enverra un message de rappel. De tels messages peuvent être prévus lors de la saisie de chacun des paramètres caractéristiques des modules (l’objet du module, sa catégorie, son unité de référence (masse, longueur…), son nom…) ;
d) lorsque le produit est décrit, ainsi que les éléments pertinents des différentes étapes du cycle de vie, comme l’emballage pour le transport, le mode de transport, et les paramètres de l’utilisation du produit (comme la consommation d’énergie), un scénario de fin de vie (broyage ou démantèlement) est fait. C’est alors qu’il est possible d’évaluer les impacts du produit sur l’environnement. Les résultats sont donnés par trois catégories d’impacts :
- des indicateurs de « design » : il s’agit d’éléments relatifs au produit lui-même, comme le nombre de matériaux distincts, le pourcentage de substances ou de composants réglementés, et le potentiel de valorisation du produit en fin de vie. Notons que cette dernière notion relève en grande partie de la prospective. La durée de vie moyenne des équipements électriques et électroniques étant supérieure à dix ans, il est difficile, pour ne pas dire hasardeux, d’imaginer ce que seront les conditions techniques, réglementaires, et surtout économiques du traitement du produit lorsque celui-ci atteindra sa fin de vie. La méthodologie EIME aborde le problème de manière simple et pragmatique : l’objectif de l’évaluation est de mettre en lumière les éléments majeurs qui pourraient limiter la valorisation du produit en fin de vie, comme la présence de substances dangereuses ou d’éléments non recyclables, la difficulté de séparer des éléments recyclables, etc. ;
- onze indicateurs d’impacts environnementaux, comme la contribution à l’effet de serre, à la destruction de la couche d’ozone, à l’acidification de l’air ou à l’eutrophisation des eaux (cf. illustration ci-dessus) ;
- la liste de toutes les substances entrant dans la composition du produit. Cette information est capitale, car le concepteur qui a décrit son produit à l’aide de composants élémentaires (comme des composants électroniques) ne connaît pas la composition de ceux-ci. La mise en exergue de substances appartenant à une liste de substances nécessitant un traitement particulier attire l’attention du concepteur, et lui permet de remédier si possible au problème.
Les résultats donnés en absolu sont difficilement exploitables pour un non-spécialiste en environnement. C’est pourquoi le concepteur est amené à travailler en relatif. Il peut comparer son option de conception à un cas de référence, qu’il s’agisse d’une ancienne version du produit, d’un cas théorique établi sur la base des réglementations, des spécifications d’un client, ou de la stratégie de l’entreprise.
Une fonction recherche permet au concepteur d’identifier parmi les éléments de description du produit la contribution relative de chacun des éléments à un impact donné, ou à une substance donnée, facilitant ainsi sa recherche d’amélioration du produit.
La prise en compte de l’environnement repose sur une gestion globale de la chaîne d’approvisionnement
On aura compris que l’élément clé de l’approche proposée est la base de données, et la disponibilité des modules permettant la description du produit. On peut à ce sujet noter que la méthodologie EIME n’est pas spécifique aux produits électriques et électroniques (PEE), et peut s’appliquer à une large gamme de produits. Seule la base de données est aujourd’hui orientée sur les PEE.
L’outil EIME comporte une base de données regroupant environ 200 modules correspondant aux matériaux, composants et procédés les plus usuels. Souvent considérée comme l’une des plus riches, cette base de données est néanmoins très insuffisante pour couvrir l’ensemble des PEE. Mais doit-on pour autant demander à chaque fournisseur de matières ou de composants les informations nécessaires à la réalisation de modules ?
Il convient là aussi de bien poser le problème. La prise en compte des aspects environnementaux doit être faite très en amont du processus de développement du produit, lorsque les degrés de liberté sont encore importants. Les choix se font alors en termes génériques sur les matériaux, les technologies ou les procédés. De plus, pour une technologie donnée, et eu égard aux impacts totaux liés au cycle de vie du produit, les différences qui pourraient exister entre différents fournisseurs peuvent être considérées comme négligeables. Dès lors, les informations nécessaires à la constitution de bases de données, que celles-ci soient utilisées pour l’EIME ou pour d’autres outils, ont un caractère générique, et devraient pouvoir être établies par l’ensemble des fournisseurs de l’élément considéré.
Une telle démarche a été adoptée par les producteurs de matières plastiques, qui, au travers de leur organisation européenne, publient les données relatives aux principaux polymères. Sa généralisation permettrait aux fournisseurs de ne plus avoir à répondre individuellement aux demandes de leurs clients, de partager les coûts de collecte des données, et de résoudre certains problèmes de confidentialité.
Une solution professionnelle
L’approche professionnelle abordée au chapitre précédent nous paraît être la clé d’une prise en compte pragmatique et efficace de la protection de l’environnement dans la conception des produits. Dans un contexte économique particulièrement difficile, seule une approche collective des outils à mettre en œuvre permet de réduire les coûts pour les entreprises, et de garantir la fiabilité et la pérennité des systèmes mis en place.
C’est dans cette perspective que la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC) a récemment créé la société CODDE4. Cette société a vocation à promouvoir auprès des entreprises, petites et grandes, une conception consciente de l’environnement. Son activité s’appuiera sur le logiciel EIME, et portera principalement sur des actions de formation et d’accompagnement à l’intégration de l’environnement dans la conception des produits. Elle s’efforcera également d’aider les secteurs professionnels à constituer des bases de données. D’ores et déjà, des programmes ont été engagés avec le soutien des pouvoirs publics.
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1. En plus d’Alcatel, les sociétés Alstom, IBM, Legrand, Nexans, Schneider Electric et Thomson ont participé à la définition et au développement de cette méthodologie.
2. Le logiciel qui a été développé sur la base de la méthodologie EIME est commercialisé sous le même acronyme, mais avec la signification suivante : Environmental Information & Management Explorer. Cette acception reflète mieux le caractère managérial de la méthodologie.
3. Le concepteur peut par exemple être informé de contraintes spécifiques à la fin de vie du produit, et le prendre en compte dans le développement du produit : » une batterie doit être facilement extractible « .
4. Pour toute information : Société CODDE, 11–17, rue Hamelin, 75008 Paris.