La métrologie légale face aux défis de la mondialisation
Dans les activités industrielles et commerciales, les mesures ne prennent toute leur valeur que lorsqu’un corps de règles est établi et observé. La fixation et l’application de ces règles dépendent en premier ressort des États, mais la mondialisation des activités et l’essor des nouvelles technologies nécessitent des coopérations de plus en plus multilatérales : l’Organisation internationale de métrologie légale est au coeur d’un mouvement d’harmonisation commencé depuis des siècles.
Repères
On appelle métrologie légale l’ensemble des lois, règlements et des actions de l’État pour assurer la confiance dans les mesures chaque fois que l’ordre public le requiert. La première mission de la métrologie légale est donc de contribuer au plan national à la confiance et à la sécurité requises par les citoyens dans le cadre du contrat social. Elle se distingue donc de la métrologie scientifique et de la métrologie dite » industrielle » (non réglementée). Cette distinction n’est apparue qu’avec la révolution industrielle du xixe siècle et aujourd’hui encore les frontières entre ces trois domaines sont quelquefois floues et peuvent varier d’un pays à l’autre.
Les activités de mesure remontent aux plus anciennes civilisations. La métrologie légale, quant à elle, remonte aux mêmes origines. La confiance dans les mécanismes sociaux est un des ciments essentiels d’une société.
La métrologie légale protège le consommateur et le citoyen
Il appartient donc aux autorités d’apporter cette confiance. Dès lors que les sociétés ont commencé à commercer entre elles, le champ de la métrologie s’est étendu, les mesures de temps et les mesures astronomiques ont été indispensables à la navigation, et les mesures de masse et de volume se sont trouvées confrontées à des références diverses et des unités de mesure diverses d’un pays à l’autre.
La métrologie légale base de confiance au plan national
Autorités religieuses et civiles
Dans les sociétés primitives, la mesure (et la métrologie) était divisée en deux domaines relevant de deux types d’autorités. La mesure du temps relevait de l’autorité religieuse (les astres revêtant des attributs divins), aux fins de divination et afin d’établir les calendriers pour l’agriculture (les saisons, la fécondité de la terre, relevaient aussi du divin). La mesure des poids, des longueurs et des volumes relevait de l’autorité » civile « , régalienne, car elle concernait l’impôt, mais aussi la protection de la propriété privée et la confiance dans le commerce.
La métrologie légale apporte au plan national un certain niveau de sécurité et de confiance. Sécurité des citoyens dans leurs actes d’achat quotidiens. Le rôle de l’État est d’équilibrer les positions de force relatives des agents économiques entre eux et de mettre les citoyens ou les petites entreprises à l’abri de manoeuvres déloyales pouvant les tromper sur la quantité ou sur la qualité des biens, produits et services qu’ils achètent ou vendent. Aujourd’hui les consommateurs ne s’inquiètent plus, ou peu, de savoir si le kilogramme de viande fait bien un kilogramme. Cela ne doit pas être tenu comme définitivement acquis et il est nécessaire que l’État y veille. Au plan national, la métrologie légale protège le consommateur et le citoyen, réduit l’apparition de litiges, évite les coûts inutiles de duplication des mesurages, fluidifie le commerce et améliore son efficacité. Elle joue donc un rôle social évident, mais aussi un rôle économique important, moins bien connu.
Une approche spécifique des problèmes de mesure
Les trois domaines de la métrologie, scientifique, industrielle et légale, se définissent relativement clairement selon l’utilisation des mesures effectuées. Toutefois la limite entre la métrologie légale (réglementée) et la métrologie industrielle (non réglementée) dépend de la conception que l’on a du rôle de l’État.
La métrologie scientifique est une activité de recherche, dans laquelle sont mises en œuvre les plus grandes compétences (doctorants, post doctorants, etc.) : la confiance relève ici du niveau de compétence. La métrologie industrielle relève de personnels formés dans les laboratoires ou dans l’industrie, elle est effectuée selon des procédures normalisées : la confiance résulte d’un compromis entre compétence et degré de normalisation. La métrologie légale concerne des mesures qui sont effectuées par des personnes ne possédant pas de compétence particulière en métrologie (hormis le fait d’avoir lu la notice d’emploi des instruments, mais pas toujours). Les conditions d’environnement ne sont pas maîtrisées (sauf le cas échéant quelques conditions d’installation des instruments, par exemple en extérieur ou en intérieur).
La confiance résulte de l’aptitude des instruments de mesure. Ceux-ci doivent être insensibles aux conditions d’environnement prévisibles, aux erreurs de manipulation des opérateurs et nécessitent une robustesse appropriée devant les tentatives éventuelles de fraude. La métrologie légale inclut donc un volet important d’analyse de risques.
Des ressources limitées face à des défis majeurs
Fausses économies ?
Il est clair que la délégation d’opérations pratiquée par les services de métrologie ne supprime pas leur coût global pour l’économie. On émet le postulat que l’on gagne au moins en efficacité lorsque l’on privatise, mais une analyse plus poussée serait nécessaire, car il faut qualifier et surveiller les organismes délégués, ce qui est un surcoût important. Quant aux allégements de surveillance, ils comportent à l’évidence une part de risque qui n’est généralement pas évaluée. Si ces allégements sont excessifs, ils auront pour effet de détériorer la connaissance de la situation et de la confiance que l’on peut accorder aux mesurages et de détériorer la maîtrise de cette confiance par l’État.
Les défis techniques de la métrologie légale sont nombreux en particulier en raison de l’extension des domaines concernés (environnement, nouvelles technologies) et de la mondialisation. Or, faute de savoir ce que seraient les coûts économiques et sociaux au cas où la métrologie légale n’existerait plus, tous les pays réduisent les ressources des services chargés de la métrologie légale, en considérant qu’on pourra aviser si cela pose des problèmes.
En réponse à cette contrainte économique et budgétaire, les services de métrologie intègrent dans leur dispositif réglementaire les apports que les systèmes qualité des acteurs économiques peuvent fournir à l’appui de la confiance dans les instruments et dans les mesurages.
Ils délèguent des opérations techniques à des organismes du secteur concurrentiel, le coût en étant désormais supporté par les fabricants, acheteurs et utilisateurs d’instruments de mesure. Enfin, ils tendent souvent à alléger la surveillance par les agents de l’État des instruments en service et à mieux cibler et organiser cette surveillance.
Une évolution risquée
L’évolution des pratiques de la métrologie légale dans les États est donc de remonter les contrôles du premier degré au second, voire au troisième degré. Le contrôle des instruments est délégué à des organismes surveillés par l’État, ou à des organismes coordonnés par une tête de réseau, elle-même surveillée par l’État.
Tous les pays réduisent les ressources de la métrologie légale
On remplace donc progressivement les obligations de résultat par des obligations de moyens.
• La première étape est ancienne, elle consiste à considérer que, pour avoir des mesurages fiables, il suffit d’utiliser des instruments appropriés et dûment contrôlés.
• Dans les années 1980, on a commencé à déléguer le suivi de la qualité des instruments. On a donc défini les critères applicables aux systèmes qualité des fabricants d’instruments et aux organismes délégués. L’État contrôlait donc au » second degré » (en fait déjà au troisième degré par rapport aux résultats de mesure).
Le citoyen doit être assuré de la qualité des contrôles de vitesse © FOTOLIA |
• Puis on a considéré qu’évaluer les systèmes qualité des fabricants était le métier d’organismes de certification pour lesquels on a fixé des critères applicables à leurs propres systèmes qualité, c’est-à-dire aux moyens qu’ils emploient pour évaluer les systèmes qualité d’industriels. • Vers la fin des années quatre-vingt-dix, on a considéré que suivre la qualité des organismes certificateurs était la mission et le métier des accréditeurs. On s’est donc plus largement reposé sur les organismes d’accréditation pour évaluer la qualité des organismes.
La tendance actuelle est donc, de façon à peine caricaturale, de regarder très attentivement les moyens employés par les accréditeurs pour évaluer les moyens utilisés par les organismes certificateurs qui évaluent à leur tour les moyens mis en oeuvre par les fabricants pour assurer la qualité des moyens utilisés pour les mesurages…
Certes cela fait travailler beaucoup de monde, mais on perd de plus en plus d’information sur le résultat final. Une obligation de moyens n’a de sens que si l’on est capable d’évaluer son efficacité, ce qui risquerait de manquer aux pays qui négligeraient d’évaluer également la qualité résultante des instruments et des mesurages.
Les changements géopolitiques nécessitent de nouveaux modes de coopération
La métrologie légale s’inscrit dans le mouvement de mondialisation depuis la création en 1793 du système métrique, dédié » À tous les temps, à tous les peuples « . Le législateur avait fait appel aux scientifiques pour proposer un système de mesures qui soit cohérent et universel. Certes il s’agissait d’unifier les mesures au plan national, mais les aspects internationaux étaient déjà au cœur des préoccupations, puisque, par exemple, Talleyrand a été sur le point de faire adopter le système métrique par l’Angleterre.
L’OIML
L’Organisation internationale de métrologie légale (OIML) a été créée en 1955, par un traité intergouvernemental, avec pour mission d’organiser l’échange d’information entre les autorités nationales de métrologie légale, de développer la confiance mutuelle et d’organiser la coopération entre ses membres pour le développement de la métrologie légale dans chaque pays. Depuis trente ans, l’OIML a développé nombre de documents d’harmonisation des réglementations nationales. Cette activité permet de développer et faciliter le commerce international. C’est pourquoi l’OMC a accordé à l’OIML un statut d’observateur en qualité d’organisme développant des normes internationales. Toutefois, le véritable objectif de l’OIML est d’établir des mécanismes coopératifs au plan international pour remettre les États en mesure d’assurer les missions de régulation et de protection que la mondialisation met en péril.
La mondialisation se poursuit depuis des siècles, allant du fief médiéval vers le pays, puis vers la Région, puis l’ensemble du monde. L’effet en est double :
- elle réalise une intégration au plan mondial, des technologies et des productions, ainsi que des systèmes financiers,
– elle met le contrôle et la régulation en partie hors de portée de chaque État pris isolément.
Les États doivent donc coopérer pour retrouver collectivement les moyens d’une régulation. C’est le cas en matière de métrologie légale comme dans tous les domaines.
Une des réactions des pays face à la mondialisation a été de mettre en place des organisations économiques et politiques à l’échelle régionale (Union européenne, Coopération sud-africaine, ASEAN, Mercosur, etc.). Ces organisations régionales se sont vu déléguer des pouvoirs qui relevaient auparavant des États, et réduisent de fait la souveraineté de ceux-ci. À l’opposé, nombre de pays ont accordé une large autonomie à certaines de leurs Régions.
Or, en tant qu’organisme intergouvernemental, l’OIML s’adresse aux États signataires de son traité. Il y a une double difficulté à résoudre :
- les Régions ne sont pas signataires du traité et ne participent pas en tant que telles aux processus de décision ; elles peuvent alors prendre des décisions, imposées à leurs États, qui ne respectent pas les obligations que ces États ont vis-à-vis de l’OIML ;
– il arrive parfois que les autorités locales des pays ne soient pas complètement engagées par les obligations du traité, ou les ignorent partiellement, ce que l’autonomie qui leur a été donnée peut permettre.
De nouveaux modes de fonctionnement doivent donc être imaginés pour des organisations comme l’OIML, dans lesquels seraient associés les Régions, les États et les autorités locales. Toutefois c’est une réflexion à long terme, car cela implique de repenser complètement un traité.
Des contraintes à intégrer
Dans le domaine de la métrologie, plusieurs aspects doivent être pris en compte :
– nombre de pays n’ont pas toutes les compétences techniques pour maîtriser les risques inhérents aux nouvelles technologies ;
– dans certains domaines, les moyens techniques d’évaluation et d’étalonnage des instruments de mesure requièrent des investissements particulièrement lourds, qu’il est hors de question de réaliser dans chaque pays ;
– concernant les références de plus haut niveau, il n’est pas envisageable que chaque pays développe les moyens de réaliser toutes les unités du système international selon leur définition, cela requiert des moyens lourds ;
– un niveau minimal de protection du consommateur doit être assuré au niveau international.
La construction d’un Système mondial de métrologie
Investir en commun
Chaque heure passée par un expert national au sein de travaux de l’OIML est une heure mise au profit de l’ensemble des pays membres (et plus généralement de la communauté internationale). Il faut donc que chaque pays prenne conscience que travailler pour l’OIML n’est pas une charge, mais un investissement hautement profitable, puisque cet investissement est multiplié par un facteur considérable en termes d’expertise recueillie à l’issue de ces travaux.
Le mouvement de mondialisation appelle des mécanismes internationaux, multilatéraux, de régulation. Ces mécanismes doivent prévenir les dysfonctionnements que les États ne sont plus en mesure d’éviter du fait du caractère mondial des technologies et des productions.
Tout cela appelle à la mise en place d’un système international, scientifique et technique, qui puisse réintroduire les éléments nécessaires à la régulation de la mondialisation dans le domaine de la métrologie. Il s’agit de mettre en place un système coopératif, qui soit un tronc commun et un outil commun auxquels chaque État pourra recourir pour développer son système national.
C’est donc ce système global de métrologie qui est en train de se construire au sein du BIPM et de l’OIML, dans les domaines de la métrologie scientifique et de la métrologie légale, et qui permet de donner aux États des outils communs pour la régulation de la mondialisation.