Schéma d'une centrale nucléaire à neutrons rapides

La mise à mort de Superphénix : une exécution sans jugement

Dossier : ExpressionsMagazine N°537 Septembre 1998
Par Georges VENDRYES (40)

Notre cama­rade Georges Ven­dryes (40), ingé­nieur des Ponts et Chaus­sées, a déci­dé dès 1946 de se tour­ner vers la science et les tech­niques nucléaires – et il a consa­cré qua­rante ans, tout le reste de sa vie pro­fes­sion­nelle, au déve­lop­pe­ment des réac­teurs nucléaires civils et prin­ci­pa­le­ment de ceux à neu­trons rapides dont on connaît les prin­ci­pales étapes : Rap­so­die, Phé­nix et Super­phé­nix. Ce der­nier réac­teur est un pro­to­type indus­triel, fruit d’une col­la­bo­ra­tion euro­péenne (France, Ita­lie, Alle­magne, Bel­gique, Pays-Bas, puis Royaume-Uni).

C’est ce réac­teur que le gou­ver­ne­ment vient, au début de l’an­née, de déci­der uni­la­té­ra­le­ment d’ar­rê­ter immé­dia­te­ment et définitivement.

Nul mieux que Georges Ven­dryes, avec sa com­pé­tence, le recul et le dés­in­té­res­se­ment de qui la belle car­rière est ache­vée, ne pou­vait avec plus de sérieux et de clar­té mon­trer à quel point cette déci­sion bru­tale est à la fois sur­pre­nante et conster­nante… dans le fond et dans la forme.

Avant de lais­ser le lec­teur s’en convaincre, je me per­mets d’at­ti­rer l’at­ten­tion sur deux points.

D’une part Super­phé­nix a coû­té très cher, mais le véri­table pro­blème n’est pas de savoir s’il fal­lait ou non enga­ger ces dépenses ou si elles auraient pu être plus faibles. Le réac­teur existe. Les dépenses sont der­rière nous. Peut-il aider la France à pré­pa­rer l’a­ve­nir dans deux domaines, celui d’une filière que les condi­tions éco­no­miques pour­raient bien rendre pré­cieux dans le futur et celui des com­bus­tibles usés (accu­mu­la­tion de plu­to­nium et d’ac­ti­nides) ? Or Super­phé­nix est irrem­pla­çable pour les études cor­res­pon­dantes et son coût d’ex­ploi­ta­tion serait finan­cé par sa pro­duc­tion conco­mi­tante d’électricité.

D’autre part on peut pen­ser que dans notre pays l’o­pi­nion publique et avant tout – comme il sied dans une démo­cra­tie – le Par­le­ment n’ont pas été suf­fi­sam­ment asso­ciés aux déci­sions concer­nant l’éner­gie nucléaire – et, à cet égard, il n’y a guère eu de dif­fé­rence entre les gou­ver­ne­ments de droite et ceux de gauche. Eh bien ! Est-ce une rai­son pour que l’ac­tuel gou­ver­ne­ment, quelle que soit sa cou­leur, prenne une déci­sion de cette nature et de cette enver­gure sans un débat par­le­men­taire appro­fon­di – et même sans véri­table expo­sé des motifs ?

Qu’at­tendre dans ces condi­tions d’une com­mis­sion d’en­quête par­le­men­taire sur les réac­teurs nucléaires à neu­trons rapides… nom­mée après coup ? 

M. D. Ind­joud­jian (41)

La raison d’être des réacteurs à neutrons rapides

La pos­si­bi­li­té qu’a l’homme de déga­ger de l’éner­gie du noyau de l’a­tome tient uni­que­ment à la pré­sence, dans le sous-sol de notre pla­nète, d’un élé­ment rare, le plus lourd qui soit, à savoir l’u­ra­nium, et à l’exis­tence dans cet ura­nium d’une varié­té qui ne s’y trouve qu’en très faible pro­por­tion (moins de 1 %), à savoir l’i­so­tope 235U. Sous l’im­pact d’un neu­tron, ce der­nier se scinde faci­le­ment en deux frag­ments en déga­geant de l’éner­gie et en don­nant nais­sance à de nou­veaux neu­trons. C’est la réac­tion nucléaire bien connue sous le nom de fission.

Dans la qua­si-tota­li­té des quelque 440 cen­trales nucléaires exis­tant aujourd’­hui dans le monde, les neu­trons qui pro­voquent les réac­tions en chaîne de fis­sions ont été ralen­tis au préa­lable. À cette fin leur com­bus­tible nucléaire est plon­gé dans un milieu modé­ra­teur, dont le plus habi­tuel est de l’eau. Il est alors néces­saire d’en­ri­chir en 235U l’u­ra­nium qui leur sert de com­bus­tible. Tel est le cas notam­ment des 56 cen­trales nucléaires à eau sous pres­sion dont notre pays a tiré l’an der­nier plus des trois quarts de l’élec­tri­ci­té qu’il a consommée.

Néan­moins, dès l’aube de l’u­ti­li­sa­tion de l’éner­gie nucléaire à des fins civiles, au len­de­main de la Deuxième Guerre mon­diale, ont été recon­nues les pro­prié­tés remar­quables des réac­teurs où l’on s’ef­force de ralen­tir aus­si peu que pos­sible les neu­trons entre l’ins­tant où ils sont issus d’une fis­sion et celui où ils pro­duisent la sui­vante. Si ce type de réac­teurs, dits à neu­trons rapides, n’a connu à ce jour qu’un déve­lop­pe­ment limi­té, la rai­son en est double. Tout d’a­bord, leur com­bus­tible de choix est le plu­to­nium. Ce der­nier n’existe pas dans la nature mais il est pro­duit par exemple lors du fonc­tion­ne­ment des réac­teurs à eau, qui consti­tuent ain­si une pre­mière étape indis­pen­sable. De plus les réac­teurs à neu­trons rapides mettent en œuvre des tech­niques nou­velles dont la maî­trise à l’é­chelle indus­trielle réclame un effort prolongé.

Dans tous les réac­teurs à neu­trons rapides réa­li­sés à ce jour, le fluide uti­li­sé pour éva­cuer la cha­leur déga­gée dans le cœur du réac­teur est du sodium, et là se trouve la prin­ci­pale nou­veau­té tech­no­lo­gique qu’ils com­portent. Bien enten­du la mani­pu­la­tion et l’u­ti­li­sa­tion de grandes quan­ti­tés de sodium liquide à haute tem­pé­ra­ture dans des condi­tions de sûre­té satis­fai­santes néces­sitent un long apprentissage.

Sans entrer ici dans trop de détails, je me conten­te­rai de rap­pe­ler que l’in­té­rêt majeur de ces réac­teurs se trouve dans le meilleur usage qu’ils font du com­bus­tible nucléaire. Le leur est fait, typi­que­ment, d’un mélange de plu­to­nium et d’u­ra­nium (natu­rel ou appau­vri). C’est le plu­to­nium qui, par sa fis­sion, assure le déga­ge­ment d’éner­gie recher­ché. Mais en même temps, sous l’ef­fet des neu­trons pré­sents, l’u­ra­nium se trans­forme peu à peu en nou­veau plu­to­nium. Par une fan­tai­sie de la nature il se trouve que, dans le cas où les fis­sions sont pro­vo­quées par des neu­trons rapides et dans ce cas seule­ment, on peut faire en sorte que la quan­ti­té de plu­to­nium pro­duite dépasse celle qui a été consom­mée pen­dant le même temps.

Cette sur­gé­né­ra­tion du com­bus­tible, comme on l’ap­pelle, n’a bien enten­du rien à voir avec un quel­conque « mou­ve­ment per­pé­tuel ». Elle signi­fie sim­ple­ment qu’il est pos­sible de trans­for­mer peu à peu en plu­to­nium l’u­ra­nium natu­rel, et de tirer ain­si de ce der­nier, par plu­to­nium inter­po­sé, la tota­li­té de l’éner­gie de fis­sion qu’il ren­ferme. Les réac­teurs de pre­mière géné­ra­tion, tels ceux qui com­posent le parc d’EDF actuel, ne per­mettent d’ex­ploi­ter qu’en­vi­ron la cen­tième par­tie de cette énergie.

L’u­ti­li­sa­tion de réac­teurs à neu­trons rapides per­met d’aug­men­ter par un fac­teur consi­dé­rable le poten­tiel éner­gé­tique des gise­ments d’u­ra­nium de la pla­nète. Pas seule­ment une cen­taine de fois, mais bien davan­tage. En effet la valo­ri­sa­tion éner­gé­tique de l’u­ra­nium qui résulte de la sur­gé­né­ra­tion per­met de ren­ta­bi­li­ser des gise­ments très pauvres, qui demeu­re­raient inex­ploi­tés si seule­ment la cen­tième par­tie du mine­rai pou­vait être uti­li­sée. Quand on le sou­hai­te­ra plus tard, ces réac­teurs pour­ront aus­si bien consom­mer du tho­rium, dont les gise­ments sont encore plus abon­dants que ceux d’uranium.

Émis­sions de CO2 en France
(en mil­lions de tonnes de dioxyde de carbone)
Année
1973
1980
1989
2005
Réelles
530
500
390
430
Sans nucléaire
530
590
620
815

Les réac­teurs à neu­trons rapides pré­sentent un deuxième avan­tage, qui per­met de tirer plei­ne­ment par­ti du pré­cé­dent. Ils sont en pre­mière approxi­ma­tion indif­fé­rents à la qua­li­té de leur com­bus­tible, ils y sont en tout cas beau­coup moins sen­sibles que les réac­teurs à neu­trons lents. Ce sont, en quelque sorte, des mange-tout, capables de digé­rer un peu n’im­porte quoi, quel que soit le plu­to­nium avec lequel on les ali­mente, qu’on y ajoute de l’u­ra­nium, du tho­rium, ou d’autres élé­ments trans­ura­niens, qua­li­fiés d’actinides.

Cette pro­prié­té les rend pré­cieux si l’on désire, non plus pro­duire du plu­to­nium excé­den­taire, mais au contraire consom­mer le plus effi­ca­ce­ment pos­sible ce plu­to­nium et les autres acti­nides qui se forment lors du fonc­tion­ne­ment des réac­teurs à eau. Ce sont des corps radio­ac­tifs à très longue durée de vie, qui pour­raient s’ac­cu­mu­ler de façon gênante. Si l’on désire s’en débar­ras­ser, la meilleure méthode consiste à les détruire dans un réac­teur à neu­trons rapides, en en tirant par sur­croît de l’énergie.

En jouant de la sou­plesse que pro­cure la pos­si­bi­li­té de conce­voir les réac­teurs à neu­trons rapides soit comme des pro­duc­teurs, soit comme des consom­ma­teurs, on peut grâce à eux s’a­dap­ter à l’é­vo­lu­tion de la demande éner­gé­tique, quelle qu’elle soit, tout en garan­tis­sant une saine ges­tion des matières fis­siles. En par­ti­cu­lier on peut s’as­su­rer à tout moment que la pro­duc­tion glo­bale de ces der­nières demeure stric­te­ment conforme aux besoins, en évi­tant de lais­ser s’ac­cu­mu­ler hors réac­teurs des stocks de plu­to­nium et d’autres acti­nides sans des­ti­na­tion précise.

En un mot, l’u­ti­li­sa­tion de ces réac­teurs aug­mente énor­mé­ment les réserves éner­gé­tiques dont nous pou­vons tirer par­ti grâce à la fis­sion nucléaire et elle per­met de les exploi­ter dans des condi­tions par­fai­te­ment maî­tri­sées. Ils consti­tuent en réa­li­té la forme ultime de l’éner­gie nucléaire, le gage et le sym­bole de sa pérennité.

Dans toute stra­té­gie éner­gé­tique à long terme qui n’é­carte pas le recours au nucléaire pour des rai­sons idéo­lo­giques a prio­ri, les réac­teurs à neu­trons rapides jouent un rôle essen­tiel. Rien d’é­ton­nant à ce qu’un pays comme le nôtre, dépour­vu de res­sources suf­fi­santes en com­bus­tibles fos­siles, s’y soit inté­res­sé par­ti­cu­liè­re­ment. Loin d’a­voir été la pre­mière à s’en­ga­ger dans cette voie, la France l’a sui­vie avec autant de pru­dence que de déter­mi­na­tion et de continuité.

Les fruits d’un effort de quarante ans

Entre­pris à la fin des années 50, le pro­gramme fran­çais sur les réac­teurs à neu­trons rapides a été mar­qué par trois étapes prin­ci­pales, que j’ai vécues personnellement.

Ce fut d’a­bord, à Cada­rache, le réac­teur expé­ri­men­tal Rap­so­die, d’une puis­sance de 40 MW ther­miques, mais sans pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té. Ses carac­té­ris­tiques (par exemple la plage de tem­pé­ra­tures du sodium uti­li­sé pour éva­cuer la cha­leur) étaient très repré­sen­ta­tives des futures cen­trales à neu­trons rapides. Son com­bus­tible, un mélange d’oxydes d’u­ra­nium et de plu­to­nium, consti­tuait à l’é­poque une pre­mière mon­diale. Rap­so­die, qui fonc­tion­na de 1967 à 1982, se révé­la un excellent banc d’essai.

Puis fut réa­li­sée à Mar­coule la cen­trale de démons­tra­tion Phé­nix, conçue pour pro­duire 250 MW d’élec­tri­ci­té. Elle repré­sen­tait un saut très ambi­tieux par rap­port à Rap­so­die, à la fois par sa puis­sance beau­coup plus éle­vée et du fait que la concep­tion du réac­teur était très dif­fé­rente. Le chan­tier fut ouvert en 1968 et la mise en ser­vice indus­trielle eut lieu en 1974.

Pen­dant ses quinze pre­mières années de marche, le fonc­tion­ne­ment de Phé­nix fut extrê­me­ment satis­fai­sant. Il est vrai qu’en 1990 ce réac­teur a été arrê­té à la suite de quelques inci­dents dont l’o­ri­gine n’a pas été com­plè­te­ment élu­ci­dée, mais qui ne consti­tuent pas, aux yeux mêmes de la Direc­tion de sûre­té des ins­tal­la­tions nucléaires, un obs­tacle à sa remise en ser­vice. Si Phé­nix a peu tour­né au cours des der­nières années, ce temps a été mis à pro­fit par le CEA pour effec­tuer un impor­tant pro­gramme de tra­vaux des­ti­nés à remettre à niveau cer­taines carac­té­ris­tiques de cette cen­trale, dont la concep­tion remonte à trente ans. Au prin­temps de 1998, sur avis favo­rable de l’Au­to­ri­té de Sûre­té, le gou­ver­ne­ment a auto­ri­sé sa remise en marche. Il est très satis­fai­sant qu’il en soit ain­si. En par­ti­cu­lier seul un fonc­tion­ne­ment à puis­sance éle­vée per­met­tra de com­prendre la nature des inci­dents men­tion­nés plus haut.

Super­phé­nix consti­tue la troi­sième étape. Sa construc­tion, à Creys-Mal­ville, fut lan­cée en 1976, au len­de­main de la crise du pétrole, à un moment où le pro­gramme d’é­qui­pe­ment élec­tro­nu­cléaire natio­nal connais­sait une forte accé­lé­ra­tion. Sa puis­sance, de 1 200 MW élec­triques, fut choi­sie au niveau de celle des cen­trales nucléaires à eau construites à la même époque. Ses carac­té­ris­tiques furent pour l’es­sen­tiel ins­pi­rées direc­te­ment de celles de Phé­nix. Pour cette réa­li­sa­tion EDF s’as­so­cia à plu­sieurs par­te­naires euro­péens, ce qui néces­si­ta d’ap­por­ter quelques amen­de­ments à la loi de natio­na­li­sa­tion de 1946, et donc un débat au Par­le­ment, qui eut lieu à l’au­tomne 1972.

Le fonc­tion­ne­ment de Phé­nix et de Super­phé­nix a mis en évi­dence cer­taines carac­té­ris­tiques remar­quables des cen­trales nucléaires à neu­trons rapides : ren­de­ment ther­mo­dy­na­mique éle­vé, expo­si­tion minime du per­son­nel aux rayon­ne­ments, très peu d’ef­fluents, moindre pro­duc­tion de déchets radio­ac­tifs, etc. La démons­tra­tion de la sur­gé­né­ra­tion fut appor­tée à Phé­nix, ain­si que la pos­si­bi­li­té de retrai­ter et de recy­cler de manière répé­tée son combustible.

Contrai­re­ment à des idées fausses, mais répan­dues, les réac­teurs à neu­trons rapides sont aus­si sûrs que les autres. L’ex­pé­rience acquise avec Phé­nix et Super­phé­nix a confir­mé qu’ils pré­sentent à ce point de vue des carac­té­ris­tiques très intéressantes.

Quelques commentaires sur le fonctionnement et le coût de Superphénix

Des lois pré­cises fixent les condi­tions à rem­plir pour réa­li­ser et pour exploi­ter une ins­tal­la­tion nucléaire : enquête publique, exa­men de la sûre­té par une auto­ri­té indé­pen­dante, décrets suc­ces­sifs de mise en construc­tion et en ser­vice. Bien enten­du toutes ces dis­po­si­tions régle­men­taires ont été scru­pu­leu­se­ment res­pec­tées pour Super­phé­nix, et plu­tôt deux fois qu’une.

Au cours de ses dix pre­mières années de vie, le fonc­tion­ne­ment à puis­sance éle­vée de Super­phé­nix a été très limi­té, mais pour­quoi ? Que s’est-il pas­sé de 1986, où la cen­trale fut mise en ser­vice et attei­gnit pour la pre­mière fois sa pleine puis­sance, à la fin de 1996, où elle fut arrê­tée pour l’ins­pec­tion décen­nale de ses géné­ra­teurs de vapeur, en appli­ca­tion des règle­ments sur les appa­reils à pression ?

1• Pen­dant cin­quante-trois mois la cen­trale a connu une exploi­ta­tion nor­male, com­por­tant divers modes de fonc­tion­ne­ment : pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té à des niveaux de puis­sance variable, périodes d’es­sais ou d’en­tre­tien programmé.

2• Pen­dant vingt-cinq mois elle a été hors d’é­tat de fonc­tion­ner par suite d’in­ter­ven­tions diverses pour cor­ri­ger des inci­dents constatés.

3• Pen­dant cin­quante-quatre mois, quoique tech­ni­que­ment en état de marche, elle a été para­ly­sée par des pro­cé­dures qui ont conduit à l’an­nu­la­tion, pour des rai­sons de pure forme, des textes lui per­met­tant de fonc­tion­ner et même d’exister.

C’est ain­si qu’elle s’est trou­vée immo­bi­li­sée pen­dant trois ans consé­cu­tifs, de 1991 à 1994, par de pures et simples péri­pé­ties poli­ti­co-admi­nis­tra­tives. Aucune ins­tal­la­tion indus­trielle, de quelque nature qu’elle soit, n’au­rait pu tour­ner si elle avait été sou­mise à un har­cè­le­ment comparable.

Certes le fonc­tion­ne­ment de Super­phé­nix a été per­tur­bé par une série d’in­ci­dents. C’est le lot de tout pro­to­type dans quelque tech­nique que ce soit. Aucune filière de réac­teurs nucléaires, pour ne par­ler que d’eux, n’en a été exempte à ses débuts. On peut certes esti­mer qu’ils ont été trop nom­breux dans le cas pré­sent, mais au moins convient-il de sou­li­gner qu’ils n’ont à aucun moment mis en cause la sûre­té de la centrale.

En 1996, der­nière année où elle a été auto­ri­sée à fonc­tion­ner, sa marche a été excel­lente, avec une dis­po­ni­bi­li­té de 95 % hors arrêts programmés.

Au vu de ces résul­tats, on avait de bonnes rai­sons de pen­ser que le temps de ses mala­dies de jeu­nesse était révo­lu et que s’ou­vrait main­te­nant une phase par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante de sa vie. Son objec­tif prin­ci­pal demeure ce qu’il était à l’o­ri­gine. Il s’a­git d’ac­cu­mu­ler des connais­sances sur le fonc­tion­ne­ment pro­lon­gé d’une cen­trale à neu­trons rapides et à sodium, sur le com­por­te­ment de ses com­po­sants et en pre­mier lieu la tenue de son com­bus­tible sous de longues irra­dia­tions, en maî­tri­sant au fur et à mesure les pro­blèmes ren­con­trés. En met­tant un terme pré­ma­tu­ré au fonc­tion­ne­ment de Super­phé­nix, on se prive de pro­pos déli­bé­ré d’une expé­rience indus­trielle irrem­pla­çable dont on regret­te­ra amè­re­ment un jour de ne pas disposer.

Dès le départ on savait que Super­phé­nix, pro­to­type mon­dial dans une tech­no­lo­gie de pointe dif­fi­cile, coû­te­rait cher. Les dépenses directes de construc­tion se sont éle­vées à 18 mil­liards de francs, aux­quels il convient d’a­jou­ter jus­qu’à la fin de 1996 8 mil­liards de francs de frais finan­ciers cor­res­pon­dant au rem­bour­se­ment des emprunts contrac­tés. Ce coût d’in­ves­tis­se­ment a été com­pa­rable au total de celui des deux tranches nucléaires à eau de 1 300 MW élec­triques de Saint-Alban, construites en série à la même époque.

Ce coût éle­vé fut bien l’une des rai­sons qui condui­sit, à l’ins­ti­ga­tion d’EDF, plu­sieurs pro­duc­teurs d’élec­tri­ci­té euro­péens à se grou­per au sein de la socié­té NERSA afin de se répar­tir les charges finan­cières de sa construc­tion et de son exploi­ta­tion (à rai­son de 51 % pour EDF et 49 % pour ses par­te­naires). Du côté fran­çais la tota­li­té des dépenses de construc­tion a été sup­por­tée par EDF, sans recours au bud­get de l’État.

Au cours des dix der­nières années ont été éla­bo­rés dans un cadre euro­péen des pro­jets de cen­trales à neu­trons rapides ins­pi­rées de Super­phé­nix, en tenant compte de l’ex­pé­rience acquise entre-temps. Ces études ont mon­tré que le coût d’in­ves­tis­se­ment de la chau­dière nucléaire pou­vait être consi­dé­ra­ble­ment réduit, grâce à l’op­ti­mi­sa­tion de la concep­tion et au choix de com­po­sants aux per­for­mances très amé­lio­rées et beau­coup moins volu­mi­neux. À l’a­ve­nir, les avan­tages spé­ci­fiques des réac­teurs à neu­trons rapides en ce qui concerne l’u­ti­li­sa­tion du com­bus­tible devraient se tra­duire par des gains éco­no­miques sen­sibles et leur per­mettre un coût de pro­duc­tion du kilo­watt­heure com­pa­rable à celui des cen­trales à eau.

Les effets à court terme d’un arrêt de Superphénix

Voi­là une cen­trale qui est dis­po­nible, dont la sûre­té n’est abso­lu­ment pas mise en ques­tion, ni par les auto­ri­tés res­pon­sables, ni par le gou­ver­ne­ment. La charge finan­cière de l’in­ves­tis­se­ment est pour l’es­sen­tiel der­rière nous. Les assem­blages com­bus­tibles pré­sents dans le réac­teur n’y ont été consom­més qu’à moi­tié à ce jour. En maga­sin se trouve un deuxième cœur tout neuf. On dis­pose ain­si, déjà payé, du com­bus­tible nucléaire per­met­tant de pro­duire 24 mil­liards de kWh, ce qui cor­res­pond à plu­sieurs années de fonc­tion­ne­ment. À 25 cen­times le kWh, cela repré­sente 6 mil­liards de francs. La valeur de l’élec­tri­ci­té pro­duite, même avec un fac­teur de charge qui ne dépas­se­rait pas 40 %, couvre les frais d’ex­ploi­ta­tion. Arrê­ter aujourd’­hui cette cen­trale ne peut pas davan­tage se jus­ti­fier au point de vue finan­cier que sur le plan technique.

Un coup déli­bé­ré est por­té à l’emploi, que le gou­ver­ne­ment déclare mettre au pre­mier rang de ses pré­oc­cu­pa­tions. La région entou­rant la cen­trale de Creys-Mal­ville est la plus direc­te­ment tou­chée, mais là ne s’ar­rê­te­ront pas les emplois qui dis­pa­raî­tront, et que l’on peut chif­frer à plu­sieurs mil­liers. J’ai pu consta­ter, en dis­cu­tant sur place avec les tra­vailleurs de la cen­trale, à quel point la déci­sion prise, et les condi­tions dans les­quelles elle a été prise, sont res­sen­ties comme une mani­fes­ta­tion de mépris à l’é­gard du tra­vail et de la digni­té d’autrui.

Com­ment osons-nous trai­ter avec une pareille désin­vol­ture nos par­te­naires euro­péens, qui nous ont, pen­dant vingt-cinq ans, don­né tous les gages pos­sibles de leur esprit de coopé­ra­tion ? Quelles que soient leurs réac­tions dans le cas pré­sent, ne nous éton­nons pas si demain d’autres pays hésitent à s’en­ga­ger avec nous dans une entre­prise com­mune de grande enver­gure. C’est la cré­di­bi­li­té de la parole de la France qui est mise en question.

Les dépenses à faire à par­tir du moment où l’ar­rêt de Super­phé­nix est déci­dé sont éva­luées à une dou­zaine de mil­liards de francs. Leur mon­tant est tout à fait indé­pen­dant de la date de cet arrêt. Le plus élé­men­taire bon sens récla­me­rait de dépen­ser le plus tard pos­sible les sommes iné­luc­tables que néces­si­te­ront la mise à l’ar­rêt défi­ni­tif et le déman­tè­le­ment de cette centrale.

Le déman­tè­le­ment d’une ins­tal­la­tion nucléaire est une opé­ra­tion lourde, qu’il faut pla­ni­fier long­temps à l’a­vance pour satis­faire aux exi­gences de la sûre­té comme de l’é­co­no­mie. On entre­prend nor­ma­le­ment son étude cinq ans avant la fin pro­gram­mée de l’ex­ploi­ta­tion. Dans le cas de Super­phé­nix, où la déci­sion d’ar­rêt a été prise de façon inopi­née, l’é­tude détaillée du déman­tè­le­ment reste à faire, bien que le savoir-faire existe.

Avant de tou­cher à un seul assem­blage com­bus­tible, il faut com­men­cer par étu­dier les condi­tions de déchar­ge­ment de l’en­semble du cœur puis de la vidange du sodium, et sou­mettre le détail de ces opé­ra­tions à l’ap­pro­ba­tion de l’Au­to­ri­té de Sûre­té. Tous ces pré­pa­ra­tifs deman­de­ront des mois et des mois, que la cen­trale fonc­tionne ou non. La lais­ser immo­bi­li­sée tout ce temps revient à jeter de l’argent par les fenêtres et à mettre des gens au chô­mage pour le plaisir.

Répercussions à moyen terme

Par là j’en­tends l’an­née 2006, échéance fixée par la loi sur les déchets radio­ac­tifs que le Par­le­ment fran­çais a votée à l’u­na­ni­mi­té à la fin de 1991. Cette loi réclame que soient menés sur quinze ans un cer­tain nombre de pro­grammes de recherche. L’un des prin­ci­paux consiste à étu­dier dans quelles condi­tions il serait pos­sible de détruire par trans­mu­ta­tion nucléaire les acti­nides, sous-pro­duits inévi­tables du fonc­tion­ne­ment de tout réac­teur nucléaire.

Les experts sont una­nimes à recon­naître qu’un réac­teur à neu­trons rapides de grande puis­sance consti­tue le meilleur sinon le seul moyen de par­ve­nir à un tel objec­tif. C’est ce qu’ont fait res­sor­tir tous les rap­ports éta­blis à ce sujet ces der­nières années. Citons, dans l’ordre chro­no­lo­gique, celui du comi­té des appli­ca­tions de l’A­ca­dé­mie des sciences de mai 1992, celui du comi­té pré­si­dé par le pro­fes­seur Claude Détraz, dont les conclu­sions furent inté­gra­le­ment reprises par le ministre de la Recherche en décembre 1992, celui du Conseil éco­no­mique et social de novembre 1993, dont le rap­por­teur fut le pro­fes­seur Jean Teillac, celui éta­bli en juin 1996 par la com­mis­sion pré­si­dée par le pro­fes­seur Rai­mond Castaing.

Encore convient-il de s’en assu­rer par des essais sys­té­ma­tiques. Nous avons la chance de dis­po­ser avec Super­phé­nix de l’ou­til idéal pour les mener. C’est à cette fin que le décret de juillet 1994 assi­gna à ce réac­teur une mis­sion sup­plé­men­taire de recherche. Cette der­nière n’est nul­le­ment en oppo­si­tion avec la mis­sion pre­mière de Super­phé­nix, pro­to­type d’un nou­veau modèle de cen­trale élec­tro­nu­cléaire. En effet les essais et expé­riences à y pour­suivre néces­sitent des irra­dia­tions pro­lon­gées à une puis­sance aus­si éle­vée que pos­sible, ce qui implique ipso fac­to la pro­duc­tion régu­lière d’électricité.

Nous sommes déjà à mi-che­min du délai fixé par la loi de 1991, et il n’y a pas de temps à perdre. Toutes les dis­po­si­tions avaient été prises pour mener sur Super­phé­nix, à un coût mar­gi­nal, un pro­gramme de recherche cohé­rent des­ti­né à l’é­tude de la consom­ma­tion accé­lé­rée du plu­to­nium et des autres acti­nides. Bien enga­gé en 1996, ce pro­gramme se trouve brus­que­ment interrompu.

Certes des expé­riences por­tant sur la fis­sion et la trans­mu­ta­tion d’ac­ti­nides sous l’ac­tion des neu­trons rapides vont pou­voir main­te­nant être conduites dans Phé­nix. Cepen­dant il ne sera pas pos­sible d’y effec­tuer des essais à des condi­tions véri­ta­ble­ment indus­trielles. Phé­nix peut être à cette fin un utile com­plé­ment à Super­phé­nix, mais ce n’est pas un sub­sti­tut à ce dernier.

Conséquences à long terme

Que peut-on dire de l’a­ve­nir plus loin­tain, avec la pru­dence qu’im­pose toute pré­vi­sion à long terme ? Une chose est sûre. La quan­ti­té cumu­lée de plu­to­nium pro­duit par les réac­teurs à eau d’EDF et pré­sent dans les diverses ins­tal­la­tions du cycle de com­bus­tibles va conti­nuer à s’ac­croître régu­liè­re­ment. Elle est de l’ordre de 150 tonnes aujourd’­hui et elle aug­mente chaque année d’une dizaine de tonnes.

Il est vrai que depuis quelques années cette crois­sance est ralen­tie grâce au réem­ploi d’une par­tie du plu­to­nium pro­duit en lieu et place d’u­ra­nium enri­chi dans des réac­teurs à eau de 900 MW. Un cer­tain nombre d’entre eux sont déjà auto­ri­sés à rece­voir, dans un tiers de leur cœur, un com­bus­tible appe­lé mox, fait d’un mélange d’en­vi­ron 6 % d’oxyde de plu­to­nium et 94 % d’oxyde d’u­ra­nium appau­vri. Cepen­dant la situa­tion ne sera pas fon­da­men­ta­le­ment modi­fiée par l’in­tro­duc­tion pro­gres­sive du mox car, en sché­ma­ti­sant quelque peu, ce der­nier est impropre à une uti­li­sa­tion répé­tée dans des réac­teurs à eau. Il s’a­git d’une for­mule inté­res­sante, qui per­met de déve­lop­per la tech­no­lo­gie des com­bus­tibles au plu­to­nium, mais qui n’est pas de nature à résoudre com­plè­te­ment le pro­blème de son uti­li­sa­tion à longue échéance.

En revanche l’emploi dans une par­tie du parc de cen­trales nucléaires de réac­teurs à neu­trons rapides conçus de façon adé­quate per­met­trait de réduire peu à peu les stocks de plu­to­nium qui vont s’ac­cu­mu­ler. Il ne me semble pas rai­son­nable de s’in­ter­dire la pos­si­bi­li­té d’ex­ploi­ter intel­li­gem­ment cette mine de plu­to­nium, qui repré­sente un poten­tiel éner­gé­tique consi­dé­rable. Les mêmes réac­teurs à neu­trons rapides capables d’u­ti­li­ser ce plu­to­nium excé­den­taire sont éga­le­ment les mieux pla­cés pour faire dis­pa­raître les acti­nides mineurs pro­duits avec lui, en en tirant par sur­croît de l’éner­gie, et sans qu’on ait à recher­cher pour ce faire quelque autre expé­dient que ce soit.

Sur un plan plus vaste, c’est ma convic­tion pro­fonde que l’éner­gie nucléaire sera à nou­veau recon­nue, au cours du pro­chain siècle et dans l’en­semble du monde, comme une com­po­sante nor­male d’une saine poli­tique éner­gé­tique. Il suf­fit pour s’en assu­rer de prendre conscience de la crois­sance de la popu­la­tion du globe, de chif­frer l’aug­men­ta­tion iné­luc­table et néces­saire de ses besoins en éner­gie, et de faire le bilan des moyens de les satisfaire.

Le nombre total d’hommes vivant sur terre, qui n’at­tei­gnait pas 2 mil­liards en 1900, dépas­se­ra 6 mil­liards en 2000 et il devrait se sta­bi­li­ser aux alen­tours d’une dizaine de mil­liards à par­tir du milieu du pro­chain siècle. La consom­ma­tion mon­diale d’éner­gie repré­sente actuel­le­ment l’é­qui­valent d’une quin­zaine de mil­liards de tonnes de char­bon par an. Mais il existe d’é­normes dis­pa­ri­tés, qui dépassent un fac­teur 100 par habi­tant, entre la consom­ma­tion des pays les plus gour­mands et celle, proche de la disette, des moins bien pour­vus. On ne voit pas com­ment notre pla­nète pour­rait connaître une paix et une sta­bi­li­té durables tant que des inéga­li­tés aus­si cho­quantes n’au­ront pas disparu.

La liste des sources d’éner­gie qui sont dès à pré­sent uti­li­sables ou qui le seront dans les cent ans à venir est vite faite. Elle com­prend les com­bus­tibles fos­siles (char­bon, gaz et pétrole), l’éner­gie solaire (cap­tée direc­te­ment ou uti­li­sée par voies détour­nées telles que l’hy­drau­lique, la bio­masse, etc.) et l’éner­gie nucléaire de fis­sion. La pos­si­bi­li­té de tirer par­ti de la fusion nucléaire à des fins éner­gé­tiques est beau­coup trop aléa­toire pour être envi­sa­gée à cette échéance. Eu égard à l’im­men­si­té des besoins, les quelques res­sources aux­quelles on peut faire appel sont beau­coup plus com­plé­men­taires que concurrentes.

Cha­cune d’entre elles pré­sente des avan­tages et des incon­vé­nients. Son­geons au pro­blème de l’é­mis­sion sans cesse accrue des gaz à effet de serre, qui a été le thème cen­tral de la récente confé­rence de Kyo­to sur l’en­vi­ron­ne­ment. Tous les spé­cia­listes s’ac­cordent à recon­naître que l’ac­ti­vi­té humaine et en par­ti­cu­lier la com­bus­tion des hydro­car­bures sont en par­tie res­pon­sables des aug­men­ta­tions de tem­pé­ra­ture enre­gis­trées à la sur­face de notre pla­nète. Ain­si se trouve enclen­ché un méca­nisme dont on a toute rai­son de pen­ser qu’il va aller en s’am­pli­fiant et toute rai­son de craindre qu’il ait des consé­quences extrê­me­ment néfastes sur le cli­mat, sur notre envi­ron­ne­ment et en défi­ni­tive sur les condi­tions de vie de très nom­breux humains.

L’un des rares moyens dis­po­nibles pour réduire de façon signi­fi­ca­tive les émis­sions de gaz à effet de serre est de déve­lop­per mas­si­ve­ment l’u­sage de l’éner­gie nucléaire, comme l’exemple de la France le démontre de façon spec­ta­cu­laire. Les faits sont têtus, et si le diag­nos­tic actuel se confirme, la néces­si­té du trai­te­ment fini­ra par s’im­po­ser. Ne serait-ce que pour cette rai­son, il est fort pro­bable que le déve­lop­pe­ment de l’éner­gie nucléaire repren­dra à grande échelle dans le monde, peut-être beau­coup plus tôt que la plu­part ne l’i­ma­ginent aujourd’­hui. Alors les réac­teurs à neu­trons rapides, qu’on les uti­lise en pro­duc­teurs ou en consom­ma­teurs de plu­to­nium, revien­dront iné­luc­ta­ble­ment sur le devant de la scène. En tout cas il est inad­mis­sible que nous nous pri­vions déli­bé­ré­ment des moyens de nous pré­pa­rer à cette perspective.

Lorsque Super­phé­nix a été mis en ser­vice en 1986, on envi­sa­geait qu’il fonc­tionne envi­ron une tren­taine d’an­nées, soit jus­qu’à l’é­poque où se pose­ra la ques­tion du renou­vel­le­ment des pre­miers réac­teurs à eau du parc d’EDF actuel. Dieu sait ce qui peut se pas­ser d’i­ci là ! Tuer Super­phé­nix aujourd’­hui, c’est por­ter un coup fatal à une filière de réac­teurs qui joue un rôle essen­tiel dans une stra­té­gie éner­gé­tique sou­cieuse de l’a­ve­nir, comme l’ont bien com­pris tous les gou­ver­ne­ments qui se sont suc­cé­dé en France depuis qua­rante ans.

Alors que nous bais­sons les bras, d’autres pays pour­suivent leurs efforts sur la voie des réac­teurs à neu­trons rapides, tels la Rus­sie, le Japon et l’Inde, ou ils s’y engagent, telle la Chine. Le moment venu nous n’au­rons d’autre recours que de nous tour­ner vers ceux qui auront su mon­trer plus de clair­voyance et de per­sé­vé­rance que nous, et qui détien­dront alors des tech­niques que nous aurons déli­bé­ré­ment aban­don­nées alors que la place qu’oc­cupe encore aujourd’­hui la France dans ce domaine est recon­nue dans le monde entier.

La porte ouverte à d’autres abandons

Ne nous abu­sons pas. En fai­sant de Super­phé­nix leur cible pri­vi­lé­giée, les mou­ve­ments anti­nu­cléaires inter­na­tio­naux savent bien qu’ils attaquent au cœur le dis­po­si­tif nucléaire fran­çais. Trop d’entre nous ont ten­dance à emboî­ter le pas, par manque d’in­for­ma­tion objec­tive. On peut craindre que les assauts contre Super­phé­nix ne soient que le début d’une cam­pagne de grande enver­gure qui vise en fait l’ar­rêt du pro­gramme nucléaire natio­nal. Nous en voyons déjà les signes avant-cou­reurs avec les attaques contre La Hague, contre l’ins­tal­la­tion de labo­ra­toires sou­ter­rains. On voit bien se des­si­ner une vaste manœuvre pour remettre en cause l’u­ti­li­sa­tion du plu­to­nium, puis toute la poli­tique du cycle du com­bus­tible, afin de para­ly­ser par l’a­val le fonc­tion­ne­ment des cen­trales nucléaires elles-mêmes. Il fau­drait être aveugle et sourd pour ne pas per­ce­voir ces menaces. Tout aban­don en faci­lite et en appelle un autre.

Quoi qu’on puisse en pen­ser sur le fond, les condi­tions dans les­quelles l’ar­rêt de Super­phé­nix ont été déci­dées sont tout à fait cho­quantes. Il s’a­git d’un acte arbi­traire, sacri­fiant pour des rai­sons de cir­cons­tance un grand pro­gramme qui n’a de sens que dans la durée. Les déci­sions ont été prises sans concer­ta­tion ni pré­pa­ra­tion, en refu­sant tout débat par­le­men­taire préa­lable. Au-delà du sort de Super­phé­nix, du deve­nir de la filière des réac­teurs à neu­trons rapides, et même de la place du nucléaire dans l’en­semble de la poli­tique éner­gé­tique natio­nale, il y a là un pro­blème de fond pour le fonc­tion­ne­ment d’une démo­cra­tie moderne.

2 Commentaires

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dedelrerépondre
13 janvier 2014 à 21 h 55 min

Ouf, 6000tonnes de sodium, une catas­trophe nucléaire évitée 

Oubli des de sodium, qui bru­lent dans l’eau d’une fuite d’une cen­trale nucléaire, conçue par les super­mans des grands corps d’é­tats, qui se déclarent infaillibles !! Les hommes et même les super X, ne sont pas infaillibles à per­pé­tui­té et donc tôt ou tard, inévi­ta­ble­ment, une cen­trale nucléaire péte­ra en France, fai­sant éva­cuer toute une région, inha­bi­table pour des siècles, comme à Tcher­no­byl et Fuku­shi­ma, cou­lant éco­no­mi­que­ment la France, avec une perte de plu­sieurs mille mil­liards d”€ !!

Com­men­taire d’un X62 qui a honte de sor­tir de cette école de nucléo­crates fous !! Et ces nucléo­crates recom­mencent avec 16 miliards d”€ dans ITER, bien moins dan­ge­reux, voué à un échec total, et avec 9 mil­liards au lieu de 3 avec les EPR, eux aus­si dangereux.

Enfin, per­sonne, même éco­lo­giste, ne pro­pose de sup­pri­mer pro­gres­si­ve­ment 30 cen­trales nucléaires et autant en com­bus­tibles fos­siles, qui servent au chauf­fage et à la cli­ma­ti­sa­tion, en conser­vant la cha­leur solaire de l’é­té pour se chauf­fer en hiver de façon simple, comme fonc­tion­nant depuis 2007 à http://www.dlsc.ca, solu­tion sans CO2, sans radio­ac­ti­vi­té, sans pol­lu­tion, gra­tuite à l’u­sage per­pé­tuel­le­ment, et ne consom­mant rien !!

Vu la sim­pli­ci­té tech­no­lo­gique, on peut se bri­co­ler cette solu­tion de chauf­fage dans son jar­din avec un peu d’obs­ti­na­tion, et d’i­ma­gi­na­tion pour en réduire le prix, gra­tuit à l’u­sage, inusable, sans CO2, sans risques radio­ac­tifs, sans par­ti­cules, ne consom­mant plus rien après installation. !!

michel ardanrépondre
23 février 2014 à 4 h 56 min

@ dedeire : Voi­là qui est

@ dedeire : Voi­là qui est bien dit !… Je ne serai pas seul à me sen­tir atter­ré par les dis­cours raides sur le pli du pan­ta­lon de ce X‑Man arro­gant !… On peut ajou­ter que puisque lui et ses congé­nères tiennent tel­le­ment à l’in­dé­pen­dance éner­gé­tique de la France, pour­quoi avoir sys­té­ma­ti­que­ment sacri­fié la filière des réac­teurs au tho­rium, pour­tant plus facile, net­te­ment moins coû­teuse et ( sur­tout !) moins dangereuse !…

La réponse bien sûr est hélas évi­dente, loin des dis­cours offi­ciels : il s’a­git sur­tout de main­te­nir un contrôle des finan­ce­ments, tan­dis que les « experts » ne sont des potiches et des marion­nettes, et la filière au tho­rium aurait moins été ren­table pour les oli­gar­chies au pou­voir ( et notam­ment, les com­mis­sions et rétro-commissions ) !…

Rien que le fait que l’on ne peut pas contrô­ler les gise­ments de tho­rium plai­dait contre lui, puis­qu’on ne peut pas orga­ni­ser la rare­té à la source : il y en a par­tout, notre pla­nète est une boule de thorium !…

La fer­me­ture de Creys-Mal­ville ( que cer­tains avaient rebap­ti­sé « l’An­kou » … en Isère, à 800 kms des Monts d’Ar­rée ) fut sans doute, la pre­mière déci­sion poli­tique intel­li­gente dans notre pays depuis longtemps !…

Ce chau­dron d’En­fer aura été éteint avant de futures catas­trophes … ren­dant inha­bi­table en par­tie la val­lée du Rhône : les exemples de Tcher­no­byl et main­te­nant Fuku­shi­ma sont pour­tant assez édi­fiants !… Leurs bilans ( tou­jours pro­vi­soires, ce qu’on oublie trop vite, sur­tout pour l’U­kraine !…) aussi !…

Super­phé­nix n’é­tait inté­res­sant que comme labo­ra­toire … et donc tout à fait inutile, puisque Phé­nix fonc­tion­nait déjà : cette machine à faire les déchets les plus dan­ge­reux ( le plu­to­nium est un déchet ! )était la preuve que les lois de l’U­ni­vers ne nous sont que par­tiel­le­ment connues … ce qu’ont confir­mé depuis les der­nières avan­cées en Astro­phy­sique, avec la Matière et l’E­ner­gie Noire , et le fait que nous ne connais­sions plus que 5% de l’Univers !…

Et donc, il fal­lait pous­ser les expé­riences bien plus loin ( en les fai­sant par exemple sur la face cachée de la Lune, ce ne serait pas du luxe ! ) avant d’en­vi­sa­ger le pas­sage à un outil indus­triel !… ( Etran­ge­ment, dans les années 60, contem­po­rain donc de la mise en chan­tier des parcs des cen­trales nucléaires, c’est un autre outil indus­triel pro­met­teur, l’an­ti­gra­vi­ta­tion, qui « s’é­va­po­rait » sans expli­ca­tions ou presque, embar­ras­sées … et avec « poudre d’escampette » )

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