La modélisation du transport de polluants dans l’atmosphère
L’actualité fournit de nombreux exemples de transport de polluants dans l’atmosphère : les émissions des volcans peuvent paralyser la circulation aérienne dans une vaste région, les incendies de forêt faire augmenter la mortalité dans des villes parfois assez éloignées… La modélisation de la diffusion de ces polluants est donc d’une utilité reconnue pour prendre les mesures de prévention nécessaires lors de tels événements. Les progrès sont avérés en la matière.
Lorsqu’on passe à grande échelle spatiale, on ne cherche plus simplement à caractériser un pic de pollution local : on ajoute la dimension du transport et de la chimie sur des milliers de kilomètres et on passe d’un problème à court terme à un problème pouvant durer sur plusieurs jours ou semaines. Les projets de modélisation réalisés se focalisent sur la troposphère, c’est-à-dire les dix premiers kilomètres de l’atmosphère. Ils couvrent différents types de phénomènes, liés aux activités humaines mais également à des sources naturelles ponctuelles et potentiellement extrêmement intenses, comme les soulèvements d’aérosols désertiques, les éruptions volcaniques et les feux de biomasse. La quantification et la prévision de ces sources et des panaches associés restent actuellement un défi majeur pour la communauté scientifique, qui fait l’objet de plusieurs projets dédiés au LMD.
REPÈRES
Le laboratoire de météorologie dynamique (LMD) de l’École polytechnique étudie un grand nombre de processus physique et chimique présents dans l’atmosphère. Cela couvre les processus qui vont de la petite échelle, comme une ville, à la circulation globale ; les échelles de temps de la seconde (turbulence) au millénaire (le climat). Parmi ces études, l’équipe InTro développe (avec l’Institut Ineris) le modèle de chimie-transport Chimere. C’est un outil numérique qui permet de calculer l’évolution spatiotemporelle de concentrations chimiques en fonction des conditions météorologiques et d’émission de précurseurs de ces polluants. Cet outil a été développé pour des études de pollution tout d’abord à l’échelle régionale (c’est le modèle de prévision à Airparif et AtmoPaca, par exemple), puis à l’échelle nationale (avec le système Prev’Air), puis européenne (avec CAMS-Copernicus). Plus récemment, il a été étendu à de plus grandes échelles spatiales, jusqu’à simuler le transport à l’échelle hémisphérique.
Le cas des aérosols désertiques
Les aérosols désertiques sont quasi inertes chimiquement mais représentent la plus forte contribution au bilan de masse global des aérosols. Ils sont émis par érosion éolienne là où la surface terrestre est sèche et érodable : principalement les régions désertiques. Leur mise en suspension dans l’atmosphère est un processus turbulent délicat à simuler car il faut représenter des surfaces à petite échelle, leur texture, leur rugosité, la végétation et la turbulence en surface, pour déterminer si l’aérosol minéral va être mis en suspension ou non.
Une fois la mise en suspension identifiée, il faut représenter sa distribution en taille (en général de 0,1 à 40,0 µm) et ses propriétés optiques, les aérosols pouvant faire un écran très efficace au rayonnement solaire. Les derniers travaux sur le sujet ont concerné tout d’abord le thème général de la variabilité sous-maille : pour représenter un processus de petite échelle dans un domaine à grande échelle, on pourrait utiliser une résolution fine mais cela serait trop coûteux en temps de calcul. On va plutôt privilégier des distributions sous-maille des processus clés que l’on doit représenter. Le vent étant un déclencheur majeur de l’émission de ces aérosols, le modèle a été enrichi de distributions sous-maille sur le relief et la rugosité, permettant d’obtenir une meilleure précision dans le calcul.
Afin d’enrichir l’information sur la constitution de ces aérosols, la minéralogie des sols est aussi, depuis peu, prise en compte : la différenciation des aérosols permettra d’avoir des informations plus précises sur le transport, mais permettra aussi de mieux renseigner les modèles de biogéochimie marine, ces derniers ayant besoin de connaître la minéralogie des dépôts sur l’océan pour mieux modéliser la croissance planctonique. Les données des sols permettent de connaître la part relative de quartz dans le limon. Cela permet ensuite, lors de l’émission puis du transport, de suivre la composante quartz de la poussière. On peut maintenant utiliser une grande variabilité des informations lors du calcul : on passe d’une espèce moyenne dust à l’ensemble des minéraux composant ces poussières désertiques.
Le cas des émissions volcaniques
Autre source naturelle de polluants atmosphériques, les volcans. Par exemple, au cœur de la Méditerranée l’Etna est une source substantielle de dioxyde de soufre, SO2, et ses émissions sont de deux types. Une partie des émissions est due au dégazage passif, qui se traduit par un flux continu de SO2 tout au long de l’année vers la basse troposphère. Le reste se produit au cours d’explosions brèves et spectaculaires, qui adviennent à raison d’un ou plusieurs événements par mois au cours des périodes de forte activité du volcan. Ces explosions injectent des masses très importantes de SO2 dans la troposphère libre, voire dans la basse stratosphère, sur des périodes de temps de quelques heures.
Outre leur impact économique et sanitaire, ces injections se traduisent par d’importants panaches de SO2 qui ont une signature extrêmement claire sur les mesures du satellite IASI (entre autres), ce qui permet d’observer leur structure horizontale avec une finesse spatiale de quelques kilomètres, mais aussi de fournir des informations sur leur altitude.
Du point de vue du développement d’un modèle de chimie-transport, cette caractéristique est une véritable aubaine. En effet, si les modèles eulériens de chimie-transport sont utilisés régulièrement pour représenter des panaches issus de toutes sortes d’événements (éruptions volcaniques, accidents industriels, etc.), ils continuent à se heurter à une difficulté majeure : la diffusion numérique due aux schémas de transport utilisés dans les modèles.
La modélisation des panaches de l’Etna, dont on connaît très finement la source dans le temps et dans l’espace (explosions très surveillées) et dont on est capable de suivre durant plusieurs jours la trajectoire par satellite, permet de tester les capacités des modèles et d’apporter la preuve de la valeur ajoutée de nouvelles stratégies de transport (utilisation de schémas dits « antidiffusifs » par exemple) en comparaison avec la réalité. C’est l’objectif du projet TROMPET (TRanspOrt en Méditerranée des Panaches volcaniques de l’ETna), mis en œuvre au LMD grâce au soutien de la direction générale de l’armement. Ce travail devrait permettre d’améliorer à l’avenir la finesse de la représentation du transport d’autres types de traceurs chimiques (issus d’accidents industriels par exemple), qui eux ne sont pas observables par satellite.
“Les grandes quantités de polluants émis par
les incendies altèrent considérablement la qualité
de l’air sur de grandes régions.”
Le cas des feux de forêt
Les feux de biomasse représentent une source majeure de nombreux gaz à l’état de traces et de particules fines. À l’échelle du globe, les feux de biomasse sont particulièrement intenses et fréquents dans les régions tropicales, souvent en lien avec les activités agricoles (déforestation, culture sur brûlis). Ils sont plus variables aux moyennes latitudes et dans les régions boréales. En dehors des feux agricoles, récurrents, les feux sont fortement liés aux conditions météorologiques et hydrologiques, à la quantité de végétation disponible et à la sécheresse du combustible. Une vague de chaleur et des vents violents vont favoriser la propagation d’un incendie. Cependant, le déclenchement est très souvent d’origine anthropique (négligence, déclenchement volontaire…) ; en Europe dans plus de 90 % des cas.
Dans le cas d’incendies particulièrement intenses (« mégafeux »), les feux peuvent aussi générer leur propre météorologie, avec le développement de la convection liée à la chaleur dégagée par le feu par exemple (pyroconvection) et d’orages. Les conditions de propagation de l’incendie sont alors modifiées, rendant le feu particulièrement difficile à contrôler, par exemple pendant les feux de brousse en Australie 2019–2020. La dispersion des panaches de polluants associés est également modifiée. Ainsi, même si le risque météorologique peut être calculé, une prévision réaliste à court terme des incendies est impossible. La surveillance par satellite apporte alors un soutien important puisqu’elle permet un suivi en temps réel des points chauds et des surfaces brûlées.
Les grandes quantités de polluants émis par les incendies altèrent considérablement la qualité de l’air sur de grandes régions. Par exemple, des concentrations en particules fines supérieures à 200 µg/m3 (le seuil d’alerte réglementaire étant fixé à 80 µg/m3) ont été relevées pendant plusieurs jours à San Francisco ou à Lisbonne pendant des épisodes de feux ces dernières années, villes pourtant situées à plusieurs centaines de kilomètres, ce qui paralyse l’activité dans de grandes zones urbaines. Lors de mégafeux, comme en Australie cet hiver, des panaches extrêmement denses, composés notamment de dioxyde de carbone (CO2), de monoxyde de carbone (CO) et de particules fines (aérosols organiques en majorité), peuvent avoir un impact à l’échelle de tout l’hémisphère.
Pour prendre en compte cette source majeure, le LMD développe un modèle de calcul des émissions fondé sur la détection par satellite et associant un type de végétation brûlée, une densité de biomasse correspondante et des facteurs d’émission pour différentes espèces chimiques. Malgré les incertitudes importantes liées au caractère peu prévisible des feux, au manque d’observations et à certains processus encore mal représentés, prendre en compte ces émissions pour l’étude de la pollution atmosphérique est indispensable, ce d’autant plus qu’on s’attend à une augmentation du risque d’incendie dans tout l’hémisphère Nord en raison du changement climatique.
Des modèles en constante amélioration
L’ensemble de ces modélisations reste en développement, de nombreux processus restant mal expliqués et donc mal représentés dans le modèle, d’autres n’étant pas encore représentés du tout. Par exemple, tout récemment les premières études de couplage entre la météorologie et la chimie ont été implantées dans ce modèle. L’impact des polluants sur la météorologie est maintenant pris en compte à haute fréquence temporelle (quelques minutes). L’effet dit « direct » des aérosols sur l’atténuation du rayonnement va entraîner une modification de la température près de la surface, puis de la turbulence, du vent et donc du transport.
L’effet dit « indirect » va moduler la formation des nuages en fonction de la présence et des caractéristiques des aérosols pouvant servir de noyau de condensation. Ces effets se cumulent dans le temps et il faut donc un outil numérique assez précis pour les décrire sur le court terme, mais aussi pour calculer ces effets sur de longues périodes et bien quantifier leur impact à long terme. Encore bien loin d’être parfaits, ces modèles sont en constante amélioration et leur utilisation devient de plus en plus robuste pour la prévision de la pollution, mais aussi pour les scénarios futurs concernant les variations possibles du climat et des émissions.
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