La modernisation de la gestion de la Fonction publique dans le cadre de la Réforme de l’État
Le renouveau de la gestion des ressources humaines constitue l’un des principaux chantiers de la Réforme de l’État. L’encadrement supérieur de l’État a pour sa part, dans la conduite de la réforme, une responsabilité éminente. Les méthodes de recrutement, la formation initiale et continue, les parcours de carrière, les rémunérations des cadres de la Fonction publique doivent être adaptés à cette exigence.
Deux principes devront guider l’évolution nécessaire de la haute fonction publique. Elle doit s’ouvrir davantage pour attirer à elle et rechercher, sans exclusive, le professionnalisme dont elle a besoin.
Elle doit également être davantage incitée à contribuer résolument à une plus grande efficacité de l’action publique et à la Réforme de l’État. Au-delà, c’est l’ensemble de la gestion de la Fonction publique qui doit évoluer dans les prochaines années.
Plus encore que les autres chantiers de la Réforme de l’État, la gestion de la Fonction publique doit être sous-tendue par une certaine conception de notre société et de notre vie sociale : il ne s’agit pas, ou pas seulement, d’une question juridique ou de l’application de théories managériales ; il s’agit d’une philosophie. Le gouvernement a choisi d’aborder par l’encadrement supérieur ce chantier, tant le rôle des cadres est déterminant dans le bon fonctionnement des institutions. La communication que j’ai faite devant le Conseil des ministres le 22 octobre dernier est un plan d’action cohérent et ambitieux. L’année 2004 sera celle du lancement d’une réforme plus générale de la fonction publique, s’accompagnant d’un projet de loi en cours d’élaboration.
La gestion publique des ressources humaines
Je suis convaincu qu’il y a aujourd’hui une extraordinaire réserve de potentialités et d’intelligence au sein de notre administration. Il y a quelquefois des procédures, attitudes ou cultures qui sont un peu stérilisantes, neutralisantes et qui méritent que chacun y réfléchisse, y compris en se mettant soi-même en cause. J’ai une autre conviction : une part importante de la compétitivité de nos systèmes économiques est directement liée à la performance ou à la qualité des services publics. Plus la mondialisation des marchés s’impose, plus cette qualité est nécessaire. Dans le domaine de l’économie marchande, la productivité de ceux qui créeront des richesses sera directement liée à la qualité des services publics apportés. Aujourd’hui la performance du service public est une formidable exigence pour nos concitoyens et pour notre économie.
Nous avons en même temps à relever un autre défi, celui de l’évolution des comportements de nos concitoyens, qui se positionnent de moins en moins citoyens et de plus en plus consommateurs. Il faut que nous, dans l’administration, fassions attention à ce que nous ne devenions pas uniquement des prestataires de services. Derrière le service public, il y a les valeurs de la République, d’égalité, d’accès, d’équité, de probité, d’honnêteté, qui doivent être associées à la qualité du service rendu. Nous avons donc aujourd’hui, par la performance du service public et la qualité irréprochable du service rendu, à réintroduire, dans l’esprit de nos concitoyens qui bénéficient de ce service public, toutes les valeurs de la République.
Cela passe notamment par une réforme totale de la chaîne de commandement. Difficile d’imaginer aujourd’hui que la réactivité, la sécurité juridique, la fiabilité technique des décisions à prendre puissent se faire avec une hiérarchie verticalisée, pyramidale, où toutes les décisions remontent en haut. Il faut imaginer des dispositifs déconcentrés, favoriser la prise de responsabilités avec des contrats d’objectifs. L’administration de carrière ne doit pas signifier la linéarité d’une carrière récompensée à l’ancienneté ; cela peut être la reconnaissance de compétences, avec des accélérations pour celles et ceux qui ont des capacités d’exercer demain des responsabilités, avec des systèmes d’évaluation permettant de corriger, sanctionner, soutenir. On s’aperçoit que la vraie richesse d’un territoire, d’une entreprise comme d’une administration, ce sont les hommes et les femmes qui y vivent ; on a la chance d’avoir des fonctionnaires passionnés par le service public, qui pour un certain nombre de responsables travaillent bien plus de 35 heures. Comment faire en sorte que cette passion, cette vocation, puisse trouver sa capacité totale d’expression et son épanouissement ? Voilà l’un des enjeux de la réforme de l’État.
La réforme de l’encadrement supérieur
Renforcer l’accessibilité de la haute fonction publique aux meilleures compétences, fonder le management sur la définition d’objectifs et l’évaluation des résultats : telle est donc l’ambition de la réforme que j’ai annoncée le 22 octobre dernier. Les mesures comportent quatre grands points.
Il convient tout d’abord d’attirer les compétences et de diversifier l’expérience professionnelle : les concours internes seront recentrés sur leur vocation de promotion professionnelle. Le recrutement par le » tour extérieur » dans tous les corps issus de l’Ena sera élargi. Ensuite la mobilité sous ses différents volets sera facilitée : il deviendra plus facile de recourir à des cadres du secteur privé pour une mission déterminée au service de l’État.
Dans la même optique, les fonctionnaires pourront acquérir une expérience professionnelle dans le privé. Troisièmement seront créées des passerelles entre fonctions publiques et sera rendue possible, pour un membre de l’encadrement, l’affectation à une administration étrangère, une entreprise ou une association (pour deux ans). Cette mesure est surtout le moyen d’une meilleure prise en compte dans le cursus professionnel d’une expérience en Europe ou en relation avec l’Union européenne. Enfin l’évaluation sera renforcée : un bilan professionnel pourra être conduit pour les cadres pouvant prétendre aux emplois de direction avant qu’ils ne remplissent la condition d’ancienneté requise. Avant toute nomination à un emploi supérieur de l’État, un responsable de la gestion des cadres dirigeants proposera plusieurs profils de compétences. Les titulaires d’emplois à la décision du gouvernement (et, dans un second temps, pour les autres emplois de l’encadrement supérieur) recevront une » lettre d’objectifs « , indiquant les résultats sur lesquels ils seront évalués et, sur cette base, la rémunération au mérite sera mise en œuvre : quelque 15 à 20 % de la rémunération totale. Par ailleurs, les fonctionnaires titulaires de mandats politiques à temps complet seront désormais placés en position de disponibilité et non plus de détachement.
La réforme de l’École nationale d’administration (Ena) est par ailleurs une composante significative de ce plan. Trois orientations guident cette réforme : redonner à l’Ena sa vocation d’école d’application, en renforçant l’expérience de terrain (stages en administration et en entreprise sur l’administration des territoires, l’Europe, la gestion publique) ; élargir son champ d’action vers la fonction publique territoriale et l’Europe (l’État proposera au Centre national de la fonction publique territoriale une convention pour organiser un parcours commun de formation initiale des administrateurs territoriaux et des élèves de l’Ena, par ailleurs le Centre des études européennes de Strasbourg deviendra le pôle européen de l’école et les ressortissants communautaires pourront en passer les concours) ; enfin, l’école sera regroupée pour l’essentiel à Strasbourg. Dans un souci de meilleure gestion, un contrat d’établissement la liant à l’État fixera ses objectifs pour trois ans.
Rénover la fonction publique et le dialogue social
Il est essentiel que l’État soit » un bon employeur pour permettre à chaque fonctionnaire de donner le meilleur de lui-même au service de nos concitoyens. Dans les dix années qui viennent, la fonction publique connaîtra un renouvellement sans précédent de ses agents. Près de la moitié partiront à la retraite. L’État ne pourra continuer à attirer vers lui les jeunes les mieux formés que s’ils sont assurés d’y trouver des métiers intéressants et de bonnes conditions de travail. » Cet objectif stratégique a ainsi été clairement affirmé par le Président de la République dans son discours des vœux aux corps constitués, le 7 janvier dernier.
Il importe d’abord de se donner les moyens d’une gestion individualisée de la carrière des agents publics. Cela passe par une déconcentration des actes de gestion : il n’est en effet pas normal que les décisions concernant la carrière d’un fonctionnaire, son avancement ou son affectation, soient prises à l’échelon central par des personnes qui n’ont pas été en mesure d’apprécier directement son travail et de discuter avec elle ou avec lui de ses souhaits. Le mouvement de déconcentration engagé pour la gestion des ressources humaines sera intensifié :
- il est nécessaire que les actes les plus courants et les plus simples de gestion du personnel soient intégralement déconcentrés ;
- s’agissant des actes nécessitant la consultation préalable des commissions administratives paritaires, il convient de développer les délégations de pouvoir aux échelons déconcentrés et de déconcentrer le dialogue social ;
- des efforts vigoureux doivent également être consentis en matière de fusions de corps dans la mesure où l’existence de nombreux corps comptant chacun un faible nombre d’agents est un obstacle à la déconcentration de la gestion.
Un véritable dialogue social sera institué au niveau local. Il importe d’établir avec les personnels un véritable contrat de confiance. La déconcentration de la gestion des ressources humaines devra être menée en concertation étroite avec les organisations syndicales, et devra prendre en compte la nouvelle organisation en pôles régionaux (notamment par la création de commissions administratives paritaires locales).
Il faut ensuite accélérer la fusion des corps, accroître la mobilité entre les fonctions publiques et favoriser les échanges avec le secteur privé. Les concours nationaux à recrutement local seront développés, pour mieux prendre en compte les aspirations des agents et les besoins de certaines régions. Il faut aussi permettre aux fonctionnaires de faire régulièrement le point sur leur parcours professionnel, notamment afin d’offrir à celles et à ceux qui le désirent une seconde carrière. Ces orientations se retrouveront, pour l’essentiel, dans le projet de loi sur la modernisation des fonctions publiques. En effet, ce texte reprendra les aspects strictement législatifs des travaux que nous menons depuis vingt mois pour adapter la fonction publique aux défis qu’elle doit relever : rareté démographique, choc des départs en retraite, élévation du niveau professionnel, réforme de l’État. Le projet comprendra deux types de dispositions :
- des mesures générales valables pour les trois fonctions publiques : modernisation des règles de recrutement, d’accompagnement de la mobilité, de formation, de déontologie ; transposition de directives notamment sur les contractuels pour respecter l’interdiction d’imposer des CDD à répétition ; ouverture de notre fonction publique à l’Europe ;
- des mesures propres à la fonction publique territoriale ; nous allons travailler sur les concours, la formation, les parcours de carrière, et aussi les institutions de la fonction publique territoriale.
Enfin, en parallèle, l’ambition du gouvernement est de rénover la fonction publique avec l’ensemble de ses agents, c’est-à-dire en menant un actif dialogue social. Ce dialogue, tant au niveau national qu’au niveau local (par l’intermédiaire des préfets) est essentiel pour conduire une semblable action réformatrice. Ce dialogue social, qui a été renoué début janvier avec les organisations syndicales, doit porter sur une grande variété de sujets : les dispositions du futur projet de loi, les conséquences de l’entrée en vigueur prochaine de la loi organique relative aux lois de finances, la réforme de l’administration territoriale de l’État, la rénovation des méthodes et des cadres du dialogue social…
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Je suis de ceux qui pensent que le service public a de beaux jours devant lui, à condition de répondre à la même question stratégique qui est livrée aujourd’hui à la classe politique : allons-nous subir un avenir qui sera écrit par les autres ou voulons-nous écrire notre propre avenir ? La réponse reposera sur la capacité qu’auront les administrations à s’adapter, à se réformer, à concilier l’intérêt de l’usager, l’épanouissement du fonctionnaire et la qualité du service public. C’est à ces conditions que nous pourrons renouveler un modèle français de service public pour concilier performance du secteur public et performance dans l’économie marchande.