Implantation des électrodes dans le cerveau

La modulation cérébrale implantée en psychiatrie

Dossier : Les NeurosciencesMagazine N°654 Avril 2010
Par Luc MALLET

Depuis quelques années, la pra­tique consis­tant à implan­ter des élec­trodes dans le cer­veau de patients pour soi­gner des mala­dies de Par­kin­son, des troubles obses­sion­nels com­pul­sifs ou des formes sévères de dépres­sion tend à se répandre. Cette tech­nique vise à modu­ler loca­le­ment l’ac­ti­vi­té ner­veuse dans des cir­cuits de neu­rones, res­pon­sables à la fois de notre état émo­tion­nel et de nos mou­ve­ments, dans le but de cor­ri­ger des symp­tômes qui seraient déter­mi­nés par un dys­fonc­tion­ne­ment de ces mêmes cir­cuits. Le tout, de façon réver­sible et avec un mini­mum d’ef­fets secondaires.


En illus­tra­tion : L’ensemble du crâne avec les noyaux cau­dés et deux élec­trodes implan­tées dans les noyaux sousthalamiques.
Image : Luc Mallet/Jérôme Yelnik/Éric Bardinet(Inserm, CNRS-INRIA).


Repères
La métho­do­lo­gie d’in­ves­ti­ga­tion neu­ro­phy­sio­lo­gique par sti­mu­la­tion élec­trique connaît un essor à par­tir de 1930 avec le neu­ro­chi­rur­gien Wil­der Pen­field. Avec la sti­mu­la­tion élec­trique, chaque cas de neu­ro­chi­rur­gie ouvre main­te­nant poten­tiel­le­ment un temps d’ex­plo­ra­tion fonc­tion­nelle. Lors d’in­ter­ven­tions neu­ro­chi­rur­gi­cales sur des épi­lep­tiques, on réa­lise sys­té­ma­ti­que­ment des séries de sti­mu­la­tion du cor­tex pro­vo­quant des signes cli­niques que le neu­ro­logue observe tout en inter­ro­geant le malade conscient. Cette métho­do­lo­gie du modèle expé­ri­men­tal humain de signes cli­niques trans­forme la tem­po­ra­li­té des observations.

Contrai­re­ment à la lésion, la sti­mu­la­tion élec­trique par sa réver­si­bi­li­té per­met la repro­duc­tion du modèle expé­ri­men­tal sur un même sujet humain ou ani­mal. C’est dans ces condi­tions empi­riques et expé­ri­men­tales d’une sti­mu­la­tion élec­trique comme tech­nique d’in­ves­ti­ga­tion cli­nique et de recherche dans une fina­li­té thé­ra­peu­tique qu’est née la sti­mu­la­tion céré­brale pro­fonde (SCP).

La décou­verte empi­rique dans les années soixante par plu­sieurs équipes que la sti­mu­la­tion à haute fré­quence du tha­la­mus dans le trem­ble­ment pos­sède les mêmes effets que la lésion ne trou­ve­ra son appli­ca­tion thé­ra­peu­tique que dans les années quatre-vingt avec l’in­ven­tion de la SCP par le neu­ro­chi­rur­gien fran­çais Alim Louis Bena­bid. Il sera le pre­mier, à par­tir de cette obser­va­tion, à pen­ser un sys­tème de sti­mu­la­tion chro­nique implan­té sur le malade.

La sti­mu­la­tion devien­dra alors chro­nique et pro­fonde, pre­nant le relais de la chi­rur­gie lésion­nelle dans le tremblement.

Implan­ta­tion stéréotaxique
Concrè­te­ment, une opé­ra­tion chi­rur­gi­cale est requise pour implan­ter géné­ra­le­ment une élec­trode dans chaque hémi­sphère céré­bral, les élec­trodes étant elles-mêmes rac­cor­dées à un boî­tier d’a­li­men­ta­tion, au moyen d’un câble pas­sant sous la peau du patient. Des impul­sions élec­triques d’une fré­quence géné­ra­le­ment com­prise entre 80 et 150 hertz sont ain­si déli­vrées à diverses zones du cer­veau, choi­sies en fonc­tion de leur impli­ca­tion dans le trouble concerné.

Une technique qui se répand

Les pro­grès de l’im­plan­ta­tion sté­réo­taxique (réa­li­sée à l’aide de sys­tèmes de coor­don­nées tri­di­men­sion­nelles per­met­tant de repé­rer avec fia­bi­li­té l’emplacement des diverses zones céré­brales chez un patient) ont per­mis d’ap­pli­quer ce prin­cipe à une foule de cas patho­lo­giques, de la mala­die de Par­kin­son au syn­drome de la Tou­rette, en pas­sant par les troubles obses­sion­nels com­pul­sifs ou la dépression.

Quels effets en retire-t-on ? Géné­ra­le­ment, une amé­lio­ra­tion assez nette de l’é­tat du patient. La ques­tion qui se pose aujourd’­hui est, entre autres, celle du lieu d’im­plan­ta­tion. Et cette ques­tion rejoint celle du modèle théo­rique sur lequel on s’ap­puie pour com­prendre divers troubles mêlant les symp­tômes moteurs et affec­tifs, voire cognitifs.

Des moyens d’action à plusieurs niveaux

Aujourd’­hui, le cadre théo­rique dans lequel on s’ins­crit pour com­prendre des patho­lo­gies aus­si diverses que le syn­drome de la Tou­rette, la mala­die de Par­kin­son ou les troubles obses­sion­nels com­pul­sifs fait inter­ve­nir des cir­cuits que l’on nomme cor­ti­co-sous-cor­ti­caux, c’est-à-dire reliant les divers ter­ri­toires du cor­tex à des zones plus pro­fondes du cerveau.

Ces mala­dies sont géné­ra­le­ment carac­té­ri­sées par des dif­fi­cul­tés d’exé­cu­tion des mou­ve­ments, par­fois accom­pa­gnées de troubles affec­tifs. Ce carac­tère com­po­site s’ex­plique si l’on part du point de vue que le contrôle des mou­ve­ments fait inter­ve­nir une part pure­ment motrice mais éga­le­ment une part affec­tive et un volet plus » men­tal » ou pure­ment cog­ni­tif. Ces trois aspects sont pris en charge par des cir­cuits en boucle dans le cer­veau reliant les divers cor­tex (cor­tex moteur pour la pré­pa­ra­tion des mou­ve­ments, cor­tex asso­cia­tif pour la prise en compte de l’en­vi­ron­ne­ment, cor­tex lim­bique » émo­tion­nel ») et les struc­tures profondes.


Image : Luc Mallet/Jérôme Yelnik/ Éric Bar­di­net (Inserm, CNRS-INRIA, CEA Orsay).

Ima­ge­rie fonctionnelle
Le PETs­can per­met de visua­li­ser les régions du cer­veau acti­vées (en rouge) ou désac­ti­vées (en vert) lors d’une condi­tion de sti­mu­la­tion élec­trique déclen­chant une modi­fi­ca­tion com­por­te­men­tale mar­quée par une exci­ta­tion (hypo­ma­nie). La par­tie infé­rieure montre les élec­trodes de sti­mu­la­tion implan­tées dans les noyaux sous-tha­la­miques. Les par­ties motrices, cog­ni­tives et émo­tion­nelles des noyaux sont repré­sen­tées res­pec­ti­ve­ment en vert, vio­let et jaune. Le noyau sous-tha­la­mique est agran­di pour mon­trer le contact rouge qui modi­fie l’hu­meur et le contact jaune qui amé­liore les symp­tômes moteurs de façon iden­tique sans entraî­ner de modi­fi­ca­tion comportementale.


La plu­part des opé­ra­tions de sti­mu­la­tion pro­fonde ciblent un des maillons de cette chaîne, qu’il s’a­gisse du pal­li­dum pour la mala­die de Gilles de la Tou­rette, du stria­tum ven­tral pour les addic­tions ou la dépres­sion, du noyau sub­tha­la­mique pour la mala­die de Par­kin­son ou les troubles obses­sion­nels compulsifs.

Com­ment inter­pré­ter cette varié­té de cibles, et leur spé­ci­fi­ci­té ? Le cas du noyau sub­tha­la­mique est par­ti­cu­liè­re­ment éclairant.

Dans une étude de cas de mala­die de Par­kin­son, nous avons consta­té que la sti­mu­la­tion du noyau sub­tha­la­mique au moyen d’élec­trodes implan­tées dans le cer­veau du patient avait des effets aus­si bien sur ses mou­ve­ments que sur son humeur. En outre, il était pos­sible de se concen­trer sur les effets moteurs en évi­tant les effets sur le plan de l’hu­meur, en fonc­tion de la pro­fon­deur à laquelle était déli­vré le cou­rant élec­trique, au mil­li­mètre près.

Cela sug­gé­rait que cer­taines par­ties du noyau sub­tha­la­mique (qui est pour­tant une struc­ture de petites dimen­sions) étaient impli­quées dans le contrôle des mou­ve­ments, alors que d’autres par­ti­ci­paient à l’é­tat affec­tif. Aujourd’­hui, l’on pense que l’en­semble de la boucle neu­ro­nale décrite plus haut com­porte trois sub­di­vi­sions paral­lèles, un cir­cuit émo­tion­nel, un cir­cuit moteur et un cir­cuit asso­cia­tif, enga­gés dans la prise de décision.

Ces trois cir­cuits sont en quelque sorte acco­lés les uns aux autres et convergent au niveau du noyau sub­tha­la­mique, ce qui fait de ce der­nier un levier d’ac­tion pri­vi­lé­gié où il est pos­sible d’a­gir sur ces trois ver­sants du psy­chisme que sont la cog­ni­tion, l’é­mo­tion et la motricité.


Gan­glions de base

L’or­ga­ni­sa­tion des gan­glions de la base peut être sché­ma­ti­sée. Les gan­glions de la base reçoivent leur infor­ma­tion des trois ter­ri­toires fonc­tion­nels du cor­tex céré­bral, sen­so­ri­mo­teur (en vert), asso­cia­tif (en vio­let), lim­bique (en jaune). L’in­for­ma­tion est reçue par les neu­rones épi­neux du stria­tum qui ont de petites arbo­ri­sa­tions den­dri­tiques sphé­riques, qui pré­servent la spé­ci­fi­ci­té fonc­tion­nelle. Dans le glo­bus pal­li­dus, les neu­rones sont 100 fois moins nom­breux et ont des arbo­ri­sa­tions den­dri­tiques apla­ties et très éten­dues (rec­tangles), ce qui rend la trans­mis­sion de l’in­for­ma­tion stria­tale vers les neu­rones pal­li­daux hau­te­ment conver­gente. Dans le noyau sub­tha­la­mique l’in­for­ma­tion pro­vient des trois ter­ri­toires fonc­tion­nels du glo­bus pal­li­dus, mais aus­si direc­te­ment des cor­tex moteurs, ce qui donne à ce noyau un rôle de noeud de confluence au sein du circuit.


Des avancées thérapeutiques considérables

Récem­ment, l’i­den­ti­fi­ca­tion de dys­fonc­tion­ne­ment de cir­cuits céré­braux pro­fonds dans le trouble obses­sion­nel com­pul­sif (TOC), qui touche 2 % de la popu­la­tion, a conduit à pro­po­ser des trai­te­ments chi­rur­gi­caux au moyen de tech­niques de modu­la­tion céré­brale implan­tée pour les patients les plus atteints. Suite à des avan­cées récentes por­tant sur l’or­ga­ni­sa­tion fonc­tion­nelle des gan­glions de la base, nous avons éla­bo­ré un pro­to­cole mul­ti­cen­trique contrô­lé éva­luant l’ef­fi­ca­ci­té de la sti­mu­la­tion à haute fré­quence du noyau sous-tha­la­mique et mon­tré que cette tech­nique pour­rait repré­sen­ter une alter­na­tive thé­ra­peu­tique pour ces patients à très fort han­di­cap, repré­sen­tant envi­ron 12 000 per­sonnes en France.

Les défis du futur

Mal­gré ses résul­tats pro­met­teurs, la tech­nique de sti­mu­la­tion pro­fonde reste entou­rée de nom­breuses incon­nues. Quelle est l’ac­tion pré­cise du cou­rant élec­trique sur les neu­rones des dif­fé­rentes zones céré­brales ciblées ? Comme toute tech­nique pion­nière, celle-ci offre tout à la fois un béné­fice thé­ra­peu­tique et de nou­velles direc­tions de com­pré­hen­sion des fonc­tions céré­brales et psy­chiques. C’est en par­tie grâce à la sti­mu­la­tion pro­fonde que l’on conçoit aujourd’­hui l’af­fect et l’ac­tion comme étroi­te­ment liés, et que l’on peut pro­po­ser des hypo­thèses de dys­fonc­tion­ne­ment neu­ro­nal pour expli­quer les obses­sions. Quant à savoir exac­te­ment pour­quoi l’in­jec­tion d’un cou­rant élec­trique arti­fi­ciel dans une boucle neu­ro­nale de ce type concourt à réta­blir l’é­qui­libre sub­til sur lequel repose l’har­mo­nie entre les pen­sées, les actes et les émo­tions, c’est sans doute un des plus grands défis qui nous reste à rele­ver, pour lequel des avan­cées tech­no­lo­giques res­tent à concrétiser.

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