La musique : l’écouter ou en parler ?
… Que l’on pourrait adapter ainsi à notre sujet : d’abord écouter de la musique, ensuite, éventuellement, en parler. La frustration des auditeurs de France Musique devant l’afflux de paroles au détriment de la musique est un défi pour la présente chronique, en attendant peut-être, un jour, la diffusion d’extraits d’œuvres sur le site Internet de La Jaune et la Rouge.
La musique la plus abstraite est la mieux à même de communiquer des émotions à l’auditeur, car elle ne se réfère pas à une expérience explicitement vécue par le compositeur. La forme du quatuor est la plus pure, et les quatre Quatuors 3 à 6 de Nicolas Bacri, que vient d’enregistrer le Quatuor Psophos1, sont à cet égard exemplaires. Ni ayatollah de l’avant-garde radicale, ni émule d’un « revival » de styles passés, Bacri utilise un langage très personnel, très accessible et profondément émouvant, dont on n’avait pas entendu l’équivalent depuis les quatuors de Chostakovitch. Et les quatre belles instrumentistes du Quatuor Psophos, peut-être le meilleur quatuor français d’aujourd’hui, sont des intercesseurs de rêve pour cette musique nouvelle.
Le Quatuor Artemis, que l’on a pu entendre récemment au Théâtre des Champs-Élysées2, est allemand. Il nous présente, avec le pianiste Leif Ove Andsnes, les Quintettes avec piano de Schumann et Brahms3, archétypes du romantisme, qui peuvent pousser les interprètes à tous les excès. Parmi toutes les versions que nous avons entendues au cours du temps, celle-ci est l’absolue perfection : clarté, véhémence contrôlée et retenue à la fois – ah, le mouvement lent du Schumann, le 1er mouvement du Brahms ! – ce qui ne saurait étonner d’un ensemble qui est le disciple et l’héritier des Alban Berg et d’un pianiste au toucher aussi subtil que Andsnes.
Mélanger les genres, c’est prendre des risques. C’est ce que fait Zig-Zag en publiant sous le titre Bach-Coltrane un assemblage de pièces de Bach extraites de L’Art de la fugue, de cantates, de la Messe en si mineur, etc., et d’improvisations sur ces pièces, associant le Quatuor Manfred, Raphaël Imbert (saxos, clarinette basse), André Rossi (orgue), percussions, voix4. Le résultat est très intéressant, inégal, avec quelques gemmes comme le gospel They crucified my Lord accompagné par une sinfonia style Bach, un choral à l’orgue sur un thème de Coltrane : au total, un disque original qui pourra conquérir un public jeune et lui faire oublier certaines platitudes des « variétés » d’aujourd’hui.
Heitor Villa-Lobos et Aaron Copland, deux musiciens du XXe siècle, dont EMI publie deux anthologies : de Copland, des pièces descriptives s’adressant à un large public mais savamment orchestrées, parmi lesquelles les célèbres Appalachian Spring, Billy the Kid (sur des chansons de cow-boys), la musique du film The Red Pony5, pièces dans l’esprit de l’Amérique que l’on aime, sans complexe, un peu naïve, chaleureuse ; de Villa-Lobos, une musique inspirée des rythmes et des harmonies du folklore brésilien, avec Bachianas Brasileiras n° 3 et Momoprecoce, tous les deux pour piano et orchestre, la Fantaisie pour saxo soprano et orchestre, le très beau Concerto pour guitare avec une cadence qui défie les superlatifs, et des pièces pour piano6. Deux musiques « de terroir », rien moins qu’abstraites, qui ne visent pas à faire resurgir en vous des émotions enfouies, mais qui vous jettent au cœur l’âme de leurs deux pays.
On terminera par un recueil d’enregistrements d’anthologie de David Oïstrakh avec le Philharmonia de 1956 à 1959 : les Concertos n° 2 de Prokofiev et n° 3 de Mozart, le Triple Concerto de Beethoven avec Sviatoslav Knushevitzky et Lev Oborin, et le Double Concerto de Brahms avec Pierre Fournier au violoncelle7. Des interprétations aristocratiques qui coulent de source, et qu’il est urgent d’écouter plutôt que d’en parler.
1. 1 CD AR RE-SE.
2. Et dont un superbe enregistrement du 13e quatuor de Dvorak avait été cité dans ces colonnes en février 2007.</cité><//cité></><//>
3. 1 CD Virgin.
4. 1 CD ZIG-ZAG.
5. 2 CD EMI.
6. 2 CD EMI.
7. 2 CD EMI.