La mutation du service public
La justice, symbolisée par le roi Saint-Louis assis sous son chêne, appliquait à la notion de service public un pouvoir essentiellement régalien, fortement encadré. En créant les premiers relais de poste au quinzième siècle, ancêtres de notre Poste moderne, Louis XI lançait un fournisseur de services vitaux, qui ne transportait au début que la correspondance du roi, mais devait se transformer plus tard en véritable service public lui aussi, mais tenu de fournir à ses utilisateurs les services auxquels ils aspirent, respectant les lois de la qualité et du prix.
Alors, service public ou service du public ? La question n’est certes pas nouvelle. Il y a vingt ans, le colloque organisé par Marcel Boiteux, président d’EDF, faisait ressortir que le service public, bien évidemment au service de la collectivité, se présente effectivement de deux manières. Sa vocation à apporter de la cohérence dans les mécanismes de la société lui vaut la possession d’une fraction de pouvoir régalien. Mais sa vocation de producteur le met dans l’obligation de se soumettre aux règles de l’entreprise : adaptation à la demande des usagers, qualité de la fourniture, prix de revient compétitif. La proportion entre ces deux vocations est très inégale d’un domaine à l’autre.
On a observé une forte contagion de la fonction régalienne dans la fonction productive. Sous la poussée de l’esprit de concurrence et de l’ouverture des frontières, la fonction production s’émancipe et échappe progressivement à cette contagion. Cette évolution perturbe très sensiblement le mode de gestion du service public, dans sa fonction de production, surtout lorsque ses « clients » sont bien identifiés.
Dans le passé, le principal objectif du personnel, même haut placé, était d’appliquer équitablement une réglementation peu évolutive ; ce qui demandait de la rigueur, de l’attention et du dévouement. En échange, ce personnel recevait beaucoup de sécurité, et divers privilèges. Son environnement était stable, il était « chez lui ».
Aujourd’hui la proximité du concurrent jointe aux innovations techniques modifie la mentalité. On y parle de marketing et de prix de revient ; des équipes commerciales prennent la place des poinçonneurs de tickets.
Né sous la IIIe République et élargi à la Libération, le service public à la française repose de nos jours sur trois principes de base : égalité de traitement des usagers ; continuité, notion qui comprend le maintien d’une certaine qualité du service ; mutabilité, c’est-à-dire capacité d’adaptation à l’évolution de l’environnement, technique et économique, dans lequel s’exerce le service.
La construction européenne, les évolutions sociales et technologiques, et les contraintes budgétaires conduisent à revoir ces bases et à imaginer de nouvelles formes d’organisation et de distribution de ces services.
Sans prétention d’exhaustivité, le dossier proposé dans le présent numéro montre la nature des défis auxquels sont confrontés les services publics et les mutations qui s’y opèrent.