La nouvelle géographie des vins français

Dossier : La France et ses vinsMagazine N°612 Février 2006
Par Jean-Robert PITTE

Jean-Robert Pitte est connu du grand public par des ouvrages remar­quables consa­crés à la gas­tro­no­mie (Gas­tro­no­mie fran­çaise. His­toire et géo­gra­phie d’une pas­sion) et à l’œ­no­phi­lie (Le vin et le divin).
Il vient de ter­mi­ner un ouvrage sur les vins de Bor­deaux et de Bour­gogne qui est paru cet été, qui donne les clés des rap­ports sou­vent pas­sion­nels que les Fran­çais entre­tiennent avec ces deux vins.
Dans cet article, remar­qua­ble­ment docu­men­té, notam­ment au plan his­to­rique, il explique les choix aux­quels la viti­cul­ture fran­çaise se trouve confron­tée face à la concur­rence des vins du « Nou­veau Monde ».

L’I­ta­lie antique a été la pre­mière région du monde à éla­bo­rer, dès l’An­ti­qui­té, de bons vins, voire de grands vins, expor­tables. La France a repris ce flam­beau au Moyen Âge et s’est main­te­nue jus­qu’à nos jours au pre­mier rang mon­dial de la pro­duc­tion de vins fins à ori­gine garan­tie, res­sem­blant à leur ter­roir phy­sique et humain, ain­si qu’au mil­lé­sime qui les a vus naître, c’est-à-dire de vins que l’on peut qua­li­fier de géo­gra­phiques. Il est admis par tous les oeno­logues et tous les ama­teurs que l’on ne peut pro­duire un bon vin géo­gra­phique au-delà d’un ren­de­ment de 50 hl/ha.

Le contexte mondial de la viticulture française

Tous les pays viti­coles ont appris à éla­bo­rer des vins géo­gra­phiques au cours de ces der­nières décen­nies, sou­vent sous l’im­pul­sion de l’œ­no­lo­gie fran­çaise. Les régions plus évi­dem­ment favo­ri­sées telles que les pays médi­ter­ra­néens, la Cali­for­nie, l’Ouest argen­tin, le Chi­li cen­tral, la région du Cap en Afrique du Sud, le sud de l’Aus­tra­lie, la Nou­velle-Zélande pro­duisent d’ex­cel­lents vins de qua­li­té, mais mino­ri­taires au sein d’une pro­duc­tion de vins de cépages à haut ren­de­ment, sou­vent issus de vignes irri­guées. Les vins ont pour fré­quente carac­té­ris­tique de conte­nir une pro­por­tion non négli­geable de sucre rési­duel, y com­pris les rouges, ce qui les dif­fé­ren­cie net­te­ment des vins éla­bo­rés dans la plu­part des pays euro­péens, en dehors des ven­danges tar­dives et des vins doux natu­rels (mutés à l’alcool).

Mar­gaux, Châ­teau Rau­san-Segla, argent.

La nou­velle pla­nète des vins est aujourd’­hui par­ta­gée entre deux voies prin­ci­pales : celle des vins de cépages et celle des vins de ter­roir. La pre­mière béné­fi­cie d’a­van­tages éco­no­miques impor­tants. Elle est sur­tout choi­sie par les régions où la terre ne coûte pas très cher, où le soleil est géné­reux, les plan­ta­tions non régle­men­tées et l’ir­ri­ga­tion pos­sible. La fai­blesse des pentes y per­met une méca­ni­sa­tion très pous­sée. Dans cer­tains pays, en outre, la main-d’oeuvre est très peu oné­reuse, en com­pa­rai­son de sa cher­té dans les pays de l’U­nion euro­péenne ou aux États-Unis. Les vins qui en sont issus sont bon mar­ché et trouvent pre­neurs dans le pays de pro­duc­tion ou dans le monde anglo-saxon (États-Unis, Cana­da, Royaume- Uni) et sa mouvance.

Cha­cun boit ce qu’il veut et s’il existe un mar­ché pour de tels vins, les pro­duc­teurs auraient tort de se pri­ver d’en éla­bo­rer. En revanche, dans la plu­part des pays d’an­cienne viti­cul­ture d’Eu­rope, la main-d’oeuvre et la terre sont chères, les exploi­ta­tions sont sou­vent petites et mor­ce­lées. C’est le cas de la France qui n’a aucun inté­rêt à se pla­cer en concur­rence avec les pro­duc­teurs de vins de cépages. En France même, le contexte natio­nal a beau­coup évo­lué depuis quelques décen­nies. Chaque Fran­çais buvait en moyenne 91 litres de vin par an en 1980 ; il n’en buvait plus que 57 litres en 1999. En même temps, la consom­ma­tion de vin ordi­naire a autant bais­sé en pro­por­tion que celle de vin de qua­li­té a augmenté.

En dehors du com­bat d’ar­rière-garde que mènent cer­tains viti­cul­teurs du Midi, com­mer­cia­li­sant par l’in­ter­mé­diaire de caves coopé­ra­tives, la viti­cul­ture fran­çaise est en pro­grès dans la plu­part des régions, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait plus aucune marche à gra­vir. Si l’on tente une typo­lo­gie, on dis­tingue plu­sieurs caté­go­ries, ce qui est une chance pour les pro­duc­teurs qui peuvent tou­cher des clien­tèles variées, tant par leur goût que par leurs moyens financiers.

Les vignobles à forte image de marque nationale et internationale, gloires de la France

Trois régions béné­fi­cient d’un pres­tige mon­dial ancien : le Bor­de­lais, la Bour­gogne et la Champagne.


Graves, Châ­teau Haut-Brion.


Saint-Émi­lion, Châ­teau Figeac.

Elles illus­trent par­fai­te­ment le modèle naguère éta­bli par Roger Dion (1959), repre­nant le prin­cipe édic­té en 1601 par l’a­gro­nome Oli­vier de Serres : » Si n’êtes en lieu pour vendre votre vin, que ferez-vous d’un grand vignoble ? » Leur répu­ta­tion est née de leur proxi­mi­té d’un mar­ché de consom­ma­tion aris­to­cra­tique (ducs de Bour­gogne, comtes de Cham­pagne, cour royale de France et d’An­gle­terre), ecclé­sias­tique (abbayes bour­gui­gnonnes et cham­pe­noises) ou de la pos­si­bi­li­té pour les vins d’être expor­tés vers des mar­chés loin­tains, grâce à la pré­sence d’un port tel que Bor­deaux. Ce sont ces clien­tèles, locales ou loin­taines, mais raf­fi­nées et exi­geantes, qui expliquent le sou­ci per­ma­nent de per­fec­tion­ner le produit.

• Le Bor­de­lais avec 115 000 ha de vignes qui pro­duisent 7 mil­lions d’hec­to­litres de vin (soit, en moyenne, 60 hl/ha), est de loin le pre­mier vignoble de qua­li­té en France. Compte tenu du cli­mat chaud, il est pos­sible d’y culti­ver la vigne en ter­rain plat.

La pente bien expo­sée au soleil n’y est pas une néces­si­té comme dans le nord de la France, d’au­tant plus que ses pla­teaux sont lar­ge­ment recou­verts d’al­lu­vions flu­vio­gla­ciaires anciennes, les graves, qui per­mettent un bon drai­nage. C’est d’elles que sont issus les meilleurs vins. Leur épais­seur est direc­te­ment pro­por­tion­nelle à la qua­li­té du cru. Les châ­teaux du Médoc et du Sau­ter­nais sont clas­sés en cinq caté­go­ries depuis 1855. Les Graves furent clas­sés en 1953 et 1959. Les vins de Saint-Émi­lion ont été clas­sés en 1953, et sont main­te­nant reclas­sés tous les dix ans. La hié­rar­chie ain­si éta­blie demeure lar­ge­ment sub­jec­tive, mais com­mande les prix, même si cer­tains vins y échappent, du fait d’une réelle qua­li­té obte­nue grâce à un pro­prié­taire éclairé.

Le Bor­de­lais connaît le même pro­blème que beau­coup d’autres vignobles fran­çais. Cer­tains viti­cul­teurs ne res­pectent les règles éta­blies par l’I­nao que du bout des lèvres. Ils dépassent allé­gre­ment les ren­de­ments auto­ri­sés et obtiennent des déro­ga­tions, ce qu’on appelle le pla­fond limite de clas­se­ment ou PLC, trop géné­reu­se­ment accor­dé. Il faut savoir qu’au-delà de 50 hl/ha il est impos­sible qu’un vin res­semble à son ter­roir. Si le viti­cul­teur est malin, son vin pour­ra res­sem­bler à son cépage ou, au mieux, avoir le style régional.

Beaune, Les Hospices.

Comme le monde poli­tique, le milieu du vin est pério­di­que­ment secoué par des scan­dales. Bor­deaux en a connu de nom­breux. Ceux-ci ne se pro­dui­ront plus, dès lors que le consom­ma­teur sera éclai­ré et que l’é­ti­quette cor­res­pon­dra au conte­nu de la bou­teille. C’est un long pro­ces­sus, mais il est en cours.

• La Bour­gogne connaît regret­ta­ble­ment les mêmes pro­blèmes de laxisme que le Bor­de­lais. Ils sont aggra­vés par le fait que la super­fi­cie des vignobles n’est que de 27000 ha et la pro­duc­tion de 1,5 mil­lion d’hec­to­litres (soit une moyenne de 55 hl/ha, donc encore trop), soit cinq fois moindre que celle du Bor­de­lais, avec une répu­ta­tion équi­va­lente et donc une pres­sion des consom­ma­teurs fran­çais ou étran­gers plus forte.


Clos de Vougeot.

Le cli­mat bour­gui­gnon est, par ailleurs, plus capri­cieux, connaît des gels de prin­temps, des étés ou des automnes par­fois plu­vieux, des attaques d’oï­dium ou de mil­diou. La struc­ture fon­cière du vignoble n’est guère pro­pice à la rigueur. En effet, la plu­part des exploi­ta­tions sont de petite taille, très mor­ce­lées en de nom­breuses micro-par­celles, répar­ties sur des appel­la­tions mul­tiples, tout spé­cia­le­ment au cœur du vignoble, c’est-à-dire en Côte-d’Or. Il est pos­sible de trou­ver dans la grande dis­tri­bu­tion des bou­teilles de bor­deaux dont le rap­port qua­li­té-prix est hon­nête. C’est raris­sime et presque mira­cu­leux au rayon des bour­gognes. On a le droit de cri­ti­quer les char­don­nays et les pinots des vignobles du Nou­veau Monde ou de l’hé­mi­sphère Sud, mais il faut juger avec hon­nê­te­té la pro­duc­tion bour­gui­gnonne. Est-il rai­son­nable, sur des ter­roirs aus­si somp­tueux que ceux du Mâcon­nais, de pous­ser des char­don­nays jus­qu’à 70 hl/ha, PLC non compris ?

Les cri­tiques ici émises ne font que mettre en valeur les magni­fiques vins éla­bo­rés par les châ­teaux bor­de­lais ou les domaines bour­gui­gnons qui res­pectent leurs clients et donc se res­pectent eux-mêmes. Il y en a beau­coup, heu­reu­se­ment. Ils méritent d’être encou­ra­gés dans leur voie, la seule qui ait un ave­nir. En éco­no­mie, comme dans d’autres domaines, le laxisme se ter­mine tou­jours mal.

Cham­pagne Dom Pérignon.

• La Cham­pagne repré­sente un cas un peu dif­fé­rent. Le vin pro­duit dans cette région (1,9 mil­lion d’hec­to­litres sur 30 000 ha, soit 63 hl/ha, en moyenne) est presque exclu­si­ve­ment « cham­pa­gni­sé « , c’est-à-dire trai­té de telle manière qu’il devienne mous­seux. Le prix d’une bou­teille tient notam­ment à la com­plexi­té du pro­ces­sus de fabri­ca­tion, à l’ha­billage de la bou­teille et à la publi­ci­té. Les cham­pagnes doivent res­sem­bler d’une année sur l’autre au goût de la marque, c’est-à- dire être constants. Certes, il existe de grandes cuvées mil­lé­si­mées dans toutes les mai­sons, voire des cham­pagnes issus d’un seul petit ter­roir, mais leur prix de vente est éle­vé. Depuis le XVIIe siècle, le suc­cès du vin de Cham­pagne pro­vient du fait qu’il est asso­cié à la fête, à l’a­mour, à l’é­lé­gance. Il accom­pagne les vic­toires mili­taires ou spor­tives, les céré­mo­nies diplo­ma­tiques offi­cielles, les grands évé­ne­ments de la vie des familles et ce dans tous les pays riches de la pla­nète. La puis­sance évo­ca­trice de l’ef­fer­ves­cence est telle que ceux qui n’ont pas les moyens de s’of­frir du vrai cham­pagne se rabattent sur des imi­ta­tions plus ou moins nobles pro­duites en France ou à l’étranger.


Cham­pagne Perrier-Jouët.


Cham­pagne Dom Ruinart.

Les trois vignobles les plus répu­tés de France ne sont donc nul­le­ment assu­rés de se main­te­nir éter­nel­le­ment sur un pié­des­tal. Ils ont connu des crises graves de mévente – dans l’entre-deux- guerres, par exemple – et doivent se tour­ner réso­lu­ment vers une poli­tique de qua­li­té ou, plu­tôt, réflé­chir au bon rap­port qua­li­té-prix, compte tenu de la concur­rence inter­na­tio­nale et de l’at­tente des consom­ma­teurs du monde entier.

Les autres vignobles producteurs d’une gamme complète de vins

Quatre autres régions impor­tantes sont enga­gées à des degrés divers et dans des pro­por­tions variables sur le che­min de la qua­li­té : l’Al­sace, le Val de Loire, le Midi et le Sud-Ouest aqui­tain en amont du Bor­de­lais. La plu­part de leurs vins ne jouis­saient pas, jadis, de la même répu­ta­tion que les pro­duits des trois gloires de la France qui viennent d’être évo­quées. Ils étaient consom­més sur place ou ven­dus à l’ex­té­rieur avec la répu­ta­tion de vins sym­pa­thiques, agréables en accom­pa­gne­ment des plats cui­si­nés de leur région (le cahors avec le cas­sou­let, le ries­ling d’Al­sace avec la choucroute…).

Sauf excep­tion, ils étaient peu expor­tés. Ils ont connu une heu­reuse évo­lu­tion depuis quelques décen­nies. Leurs vigne­rons se sont per­fec­tion­nés, tant sur le plan de l’a­gro­no­mie et de la viti­cul­ture, que sur celui de l’oe­no­lo­gie et celui des tech­niques de com­mer­cia­li­sa­tion. Cer­tains ont acquis une telle répu­ta­tion qu’ils ont pu se per­mettre de res­treindre for­te­ment leurs ren­de­ments et d’at­teindre le niveau de qua­li­té des grands crus du Bor­de­lais ou de la Bour­gogne. Comme les grands viti­cul­teurs de Meur­sault, de Puli­gny ou de Chas­sagne, ils jouent même à gui­chet fer­mé, n’ac­cep­tant aucun nou­veau client et ne ven­dant leurs bou­teilles qu’en quan­ti­té limi­tée. S’i­ma­gi­nant être par­ve­nus au nir­va­na, cer­tains pensent qu’en com­mer­cia­li­sant leurs vins à un prix très éle­vé, ils peuvent atti­rer des clients naïfs.


Alsace, Rique­wihr.

• L’Al­sace pro­dui­sait jusque dans les années 1950 des vins de cépages bien typés, exo­tiques pour la majo­ri­té des Fran­çais qui les buvaient dans les bras­se­ries alsa­ciennes. La pros­pé­ri­té suisse et alle­mande les a tirés vers le haut, en même temps que l’hô­tel­le­rie et la res­tau­ra­tion de la région. Consta­tant l’é­vo­lu­tion du mar­ché ger­ma­nique, quelques viti­cul­teurs ont misé sur la haute qua­li­té et sont deve­nus les loco­mo­tives de la pro­fes­sion. On songe à Hugel, Trim­bach, Beyer, Hum­brecht, Deiss, Lorentz, Blanck… Ce sont eux qui ont pous­sé l’I­NAO à accep­ter de dis­tin­guer les meilleurs ter­roirs pour les hono­rer de l’ap­pel­la­tion « grand cru », de défi­nir les « ven­danges tar­dives » et les » sélec­tions de grains nobles « , issus de rai­sins atteints par la pour­ri­ture noble. L’Al­sace est une région qui tente des expé­riences, débat et avance dans la direc­tion d’une meilleure mise en valeur de ses potentialités.

• Le Val de Loire pro­duit des vins depuis Saint-Pour­çain, en Auvergne, jus­qu’à Nantes, à quelques enca­blures de la mer. Leur mar­ché tra­di­tion­nel était celui des villes et des châ­teaux qui s’é­grènent le long de la val­lée, mais aus­si Paris et la cour royale. C’est une rue de 70 000 ha de vignobles très variés qui s’al­longent sur près de 500 km et pro­duisent 3,8 mil­lions d’hec­to­litres chaque année (soit le ren­de­ment rai­son­nable moyen de 54 hl/ha). À de rares excep­tions près, les vins ont pour carac­té­ris­tique d’être légers, sou­vent vifs (c’est-à-dire un peu aci­du­lés, en lan­gage œno­lo­gique) et par­fu­més. Leurs prix sont en géné­ral abor­dables. Comme les autres grandes régions viti­vi­ni­coles fran­çaises, le Val de Loire a diver­si­fié son encé­pa­ge­ment et ses types de vins, échap­pant ain­si à la concur­rence interne : blancs secs à base de sau­vi­gnon (san­cerre, pouilly, quin­cy) ou de melon (mus­ca­det), blancs moel­leux ou liquo­reux à base de che­nin (mont­louis, vou­vray, anjou), rouges légers à base de gamay ou de caber­net franc (saint-pour­çain, bour­gueil, sau­mur) ou plus cor­sés (chi­non). Les pro­grès qua­li­ta­tifs y sont sen­sibles depuis des années. Si les vins conservent leur esprit et leur légè­re­té, on peut leur pré­dire un suc­cès durable, dans la mesure où peu de régions viti­coles du monde se sont posi­tion­nées sur ce créneau.

• Le Midi médi­ter­ra­néen et sa mou­vance rho­da­nienne est la région qui a le plus for­te­ment évo­lué depuis la Seconde Guerre mon­diale. Il y a encore un demi-siècle, seuls les vins pro­duits sur ses marges étaient orien­tés vers la qualité :


Côtes de Pro­vence, Châ­teau de la Mascaronne.

les Côtes du Rhône sep­ten­trio­nales (her­mi­tage, condrieu, côte-rôtie), une petite par­tie des vins doux natu­rels du Rous­sillon (banyuls, mau­ry, rive­saltes), les trois anciennes AOC pro­ven­çales (cas­sis, ban­dol, bel­let) et, au cœur de cet immense vignoble de 500 000 ha, château-neuf-du-pape.

C’est de là qu’est par­tie la recon­quête qua­li­ta­tive dans les années 1930, sous l’im­pul­sion du baron Le Roy, fon­da­teur de l’Ins­ti­tut natio­nal des appel­la­tions d’o­ri­gine. Petit à petit, les cépages trop pro­duc­tifs et insi­pides ont été arra­chés pour être rem­pla­cés par les cépages anciens, à petits ren­de­ments et dont les vins sont hauts en cou­leur et en saveur : gre­nache, syrah, mour­vèdre, cin­sault, clai­rette, mus­cat… La pro­duc­tion actuelle est de 26 mil­lions d’hec­to­litres, soit un ren­de­ment moyen de 52 hl/ha qui recouvre les trop forts ren­de­ments des der­niers vins de table et ceux, très rai­son­nables, des appel­la­tions d’o­ri­gine contrô­lée. La séche­resse esti­vale est ici une chance mer­veilleuse en ce qu’elle limite natu­rel­le­ment la pro­duc­tion et oblige les vignes à enfon­cer pro­fon­dé­ment leurs racines dans le sol et à y pui­ser de la matière orga­nique et miné­rale, puisque l’ir­ri­ga­tion est interdite.

• Aujourd’­hui, le Lan­gue­doc est deve­nu la deuxième région expor­ta­trice de vins, der­rière le Bor­de­lais. Les risques que pré­sente l’o­rien­ta­tion d’une par­tie des viti­cul­teurs vers les vins de cépages et l’ar­chaïsme des der­niers pro­duc­teurs de vins de table sont réels. Les autres pro­duc­teurs devraient être assu­rés d’un suc­cès natio­nal et inter­na­tio­nal durable. Tous les grands som­me­liers du monde recom­mandent désor­mais à leurs clients des vins rouges du Lan­gue­doc, cor­sés, ori­gi­naux, aux saveurs épi­cées, sup­por­tant toutes les cui­sines, même les plus rele­vées, et pour la plu­part finan­ciè­re­ment abordables.

• Le Bas­sin aqui­tain a souf­fert pen­dant des siècles – de 1241 à 1776 – du pri­vi­lège de Bor­deaux qui a inter­dit aux vins de l’a­mont d’être ven­dus avant Noël. Ceux-ci n’a­vaient donc aucune chance d’être ache­tés et expor­tés vers l’An­gle­terre et l’Eu­rope du Nord. C’est la rai­son pour laquelle le Bor­de­lais a béné­fi­cié d’un mar­ché garan­ti qui lui a per­mis d’ac­com­plir les inves­tis­se­ments néces­saires à l’é­la­bo­ra­tion de grands vins.


Ber­ge­rac-Mon­ba­zillac, Michel de Montaigne.

Les ter­roirs de l’a­mont sont poten­tiel­le­ment aus­si bons, tant sur le plan pédo­lo­gique que sur celui du cli­mat et des micro­cli­mats. Les débou­chés de ces vignobles res­tèrent locaux. Seuls cer­tains accé­dèrent à des mar­chés loin­tains : par exemple le cahors ; appré­cié des tsars et ven­du au XVIIIe siècle comme vin de messe de l’É­glise orthodoxe.

L’o­rien­ta­tion vers la qua­li­té est plus lente ici, qu’ailleurs. C’est le cas, par exemple, dans la val­lée de la Garonne où sub­siste une poly­cul­ture asso­ciant la vigne au maïs, aux arbres frui­tiers, aux tomates et à l’é­le­vage bovin. Dans ces condi­tions, il est très dif­fi­cile de pro­duire du bon vin. Mais de louables efforts ont été accom­plis dans les zones d’ap­pel­la­tion de Ber­ge­rac, Mon­ba­zillac, Cahors, Gaillac, Juran­çon, Madi­ran… Il faut s’at­tendre à de bonnes sur­prises dans cette région, si le mar­ché des vins de ter­roir se déve­loppe en France et à l’é­tran­ger. En tout cas, il y a pour le moment de très bonnes affaires à y réaliser.

Conclusion

L’a­gri­cul­ture pro­duc­ti­viste est en crise dans le monde entier. Les mar­chés des pays riches sont satu­rés et ceux des pays pauvres insol­vables. Il faut donc ima­gi­ner une autre solu­tion : celle de la pro­duc­tion géo­gra­phique. Elle est pos­sible sous toutes les lati­tudes et dans toutes les aires cultu­relles, quel que soit le niveau de reve­nus de la population.

Elle seule per­met la sor­tie de crise et, à terme, l’é­change inter­na­tio­nal de pro­duits dif­fé­rents les uns des autres qui ne se concur­rencent donc plus. La viti­cul­ture consti­tue l’a­vant-garde de cette révo­lu­tion néces­saire, l’Eu­rope et tout par­ti­cu­liè­re­ment la France, les pre­mières lignes de cette avant-garde. Il faut donc ces­ser d’ai­der la viti­cul­ture de masse, encou­ra­ger les pro­duc­tions de qualité.

Elles seules sont ren­tables à court ou moyen terme. Elles seules peuvent pro­cu­rer à des consom­ma­teurs un peu éclai­rés de véri­tables émo­tions, leur faire pen­ser aux magni­fiques pay­sages qu’en­gendre la viti­cul­ture de qua­li­té et aux vigne­rons talen­tueux qui s’ex­priment dans leurs vins.

Il faut se féli­ci­ter que l’U­nes­co ait clas­sé patri­moine mon­dial de l’hu­ma­ni­té les vignobles ita­liens de Cinque Terre et fran­çais de Saint-Émi­lion. C’est un encou­ra­ge­ment pour de belles régions viti­coles qui pro­duisent de bons vins à forte typi­ci­té et tirent de ceux-ci pros­pé­ri­té et joie de vivre.

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