La (nouvelle) industrie, condition de la transition écologique

La (nouvelle) industrie, condition de la transition écologique

Dossier : RéindustrialisationMagazine N°799 Novembre 2024
Par Nicolas CRUAUD (X16)

La prise en compte du coût du CO2 va révo­lu­tion­ner l’industrie. Cette trans­for­ma­tion est à l’œuvre tant en France que dans le monde déve­lop­pé. C’est une occa­sion pour les jeunes ingé­nieurs, notam­ment poly­tech­ni­ciens, de par­ti­ci­per à la fois à des inno­va­tions pas­sion­nantes et à une ambi­tion natio­nale stimulante.

L’industrie, c’est la recherche per­ma­nente de l’optimisation. Sans contrainte, l’industrie mini­mise les salaires, tout comme la sécu­ri­té des sala­riés, et coupe à tra­vers champ sur les sujets sani­taires et envi­ron­ne­men­taux. Heu­reu­se­ment, notre socié­té impose des contraintes à la logique indus­trielle, qui sont autant de nou­veaux para­mètres à inté­grer à l’équation pour trou­ver un nou­vel opti­mum. Ces contraintes ont pro­gres­si­ve­ment été des salaires mini­ma, des normes de pol­lu­tion, un droit du tra­vail et, der­niè­re­ment, pour cer­tains sec­teurs indus­triels, un prix du CO2.

Une contrainte révolutionnaire

Cette der­nière contrainte est peut-être plus révolu­tionnaire encore que les pré­cé­dentes. Impo­ser un prix du CO2 (modu­lo une taxe car­bone aux fron­tières) va rendre cer­tains pro­cé­dés indus­triels com­plè­te­ment obso­lètes, hors de tout prix de mar­ché. France Stra­té­gie, rat­ta­chée au Pre­mier ministre, estime que le coût pour la socié­té d’une tonne de CO2 en 2050 serait de 775 €/t. Si l’on impo­sait une telle taxe au CAC 40 actuel, il per­drait 180 % de son béné­fice, ren­dant par consé­quent défi­ci­taire la majo­ri­té des grands groupes français.

À ceux qui pensent que c’est une contrainte impos­sible, que cela coû­te­rait trop cher, rap­pe­lez-vous que ce prix du CO2 n’est pas une taxe volon­taire. C’est ce qu’on paie déjà en tant que socié­té pour chaque tonne de CO2 émise dans l’atmosphère. Pire, vu que cer­tains effets mettent des décen­nies à se faire sen­tir, ce coût devient une dette, qui nous tom­be­ra des­sus par à‑coups lors d’événements cli­ma­tiques futurs. Donc, si vous consi­dé­rez que cela coû­te­rait trop cher, dites-vous que nous allons quoi qu’il arrive devoir payer, donc il fau­dra bien trou­ver l’argent.

Une occasion à saisir !

Avec une nou­velle contrainte si impor­tante, l’industrie va cher­cher un nou­vel opti­mum et repen­ser la grande majo­ri­té de ses pro­cé­dés. Cer­taines entre­prises ver­ront leurs actifs les plus pro­fi­tables deve­nir en quelques années des actifs échoués et d’autres, inca­pables de faire la tran­si­tion radi­cale deman­dée, devront rendre l’argent à leurs action­naires et mettre la clé sous la porte. C’est cette occa­sion que les jeunes ingé­nieurs doivent sai­sir. Tous les équi­libres sur les­quels se sont construites nos indus­tries modernes sont bous­cu­lés, et cela ouvre une très grande place à l’innovation de rup­ture sur des pro­cé­dés plus écologiques.

Un boom des start-up industrielles françaises

D’un point de vue macro, cela se tra­duit déjà par une nette crois­sance du sec­teur des start-up indus­trielles. Aujourd’hui, les start-up indus­trielles repré­sentent 0,5 % des entre­prises indus­trielles en France, mais 20 % des ouver­tures d’usine et 50 % des levées de fonds du sec­teur de la tech (les start-up ne sont plus seule­ment des open spaces avec baby-foot !). L’État fran­çais sou­tient éga­le­ment cette dyna­mique, avec un fonds de 4 Md€ pour le déploie­ment de pre­mières usines chez les start-up indus­trielles. Aujourd’hui ce sont déjà 78 start-up qui ont été lau­réates de ce dis­po­si­tif inédit en France.

Une dynamique internationale

À l’échelle mon­diale, on peut noter le déploie­ment du fameux Infla­tion Reduc­tion Act aux USA, qui per­met d’injecter 400 Md€ dans les nou­velles indus­tries éner­gie et cli­mat, pro­vo­quant une relo­ca­li­sa­tion mas­sive et l’émergence de beau­coup d’entreprises pion­nières dans le sec­teur de la tran­si­tion éco­lo­gique. L’UE de son côté a dégai­né le Net Zero Indus­try Act, favo­ri­sant l’émergence de tech­no­lo­gies et d’usines dans les sec­teurs clés de la tran­si­tion, comme les éner­gies renou­ve­lables, l’hydrogène vert, la pro­duc­tion de bat­te­ries, les pompes à cha­leur ou la séques­tra­tion car­bone. Enfin, il est évident aujourd’hui que la Chine a pris des mesures fortes pour être pion­nier sur cer­taines tech­no­lo­gies de tran­si­tion, comme les pan­neaux solaires et la voi­ture élec­trique. La ten­dance du moment en tant que nation et conti­nent est donc au déve­lop­pe­ment rapide et fort de cette nou­velle indus­trie essen­tielle à notre souveraineté.

“Une nouvelle industrie essentielle à notre souveraineté.”

Il faut plus d’entre­preneurs pour lancer des projets, plus d’ingénieurs pour les réaliser…
Il faut plus d’entre­preneurs pour lan­cer des pro­jets, plus d’ingénieurs pour les réaliser…

Polytechniciens, encore un effort !

Il est impé­ra­tif que les jeunes ingé­nieurs par­ti­cipent à l’effort col­lec­tif et cherchent à déve­lop­per de nou­velles tech­no­lo­gies de rup­ture. C’est déjà la voie prise par de nom­breux jeunes (ou moins jeunes) entre­pre­neurs poly­tech­ni­ciens. Je peux citer Sarah Lamai­son de Dioxycle, X12, qui déve­loppe une tech­no­lo­gie de recy­clage de CO2 en élé­ments chi­miques, ou Antoine Guyot de Jim­my, X13, qui déve­loppe des petits réac­teurs nucléaires pour faire de la cha­leur industrielle. 

Pour ma part, Néo­lithe traite les déchets avec un pro­cé­dé qui stocke du CO2 au lieu d’en émettre. Ces pro­jets ont à eux trois le poten­tiel de réduire de l’ordre de 15 % les émis­sions de CO2 fran­çaises, ce n’est pas négli­geable. Mais il en faut plus : plus d’entrepreneurs pour lan­cer des pro­jets, plus d’ingénieurs pour les réa­li­ser, plus d’investisseurs pour les finan­cer, plus de hauts fonc­tion­naires pour chan­ger les normes et contraindre au chan­ge­ment, et plus de cher­cheurs pour créer les briques tech­no­lo­giques fon­da­men­tales de ces nou­veaux procédés.

Néolithe met en place une approche circulaire pour la gestion des déchets, offrant une alternative à l’enfouissement et à l’incinération.
Néo­lithe met en place une approche cir­cu­laire pour la ges­tion des déchets, offrant une alter­na­tive à l’enfouissement et à l’incinération.

Des compétences et une volonté

Ces com­pé­tences, les jeunes poly­tech­ni­ciens les ont. Je pense qu’ils ont éga­le­ment démon­tré qu’ils avaient envie de par­ti­ci­per à cette révo­lu­tion éco­lo­gique. Leur envie ne doit pas seule­ment se tra­duire par un mili­tan­tisme poli­tique ou bien par une prise de dis­tance avec la socié­té. En effet, la France a inves­ti beau­coup trop d’argent sur nous pour que nous déser­tions ou que nous nous conten­tions de limi­ter notre empreinte car­bone per­son­nelle en man­geant végé­ta­rien ou en allant au bureau à vélo, bien que cela soit une sobrié­té néces­saire. L’industrie, c’est un outil, un bras de levier incroyable pour avoir un impact consi­dé­rable sur le monde. C’est la pos­si­bi­li­té, en une quin­zaine d’années, de trans­for­mer un sec­teur d’activité et de chan­ger les méthodes de consom­ma­tion, de dépla­ce­ment ou de chauf­fage de mil­liards de personnes.

Néolithe transforme les déchets en granulats.
Néo­lithe trans­forme les déchets en granulats.

Un devoir moral

Je pense qu’il est du devoir moral de chaque élève ayant choi­si d’intégrer l’X de cher­cher à être utile à la socié­té à la hau­teur de l’ambition que la nation a pla­cée en nous, sinon il fal­lait lais­ser sa place à plus méri­tant. Il y a bien sûr de mul­tiples façons d’être utiles à la socié­té, mais je peux vous assu­rer qu’en cher­chant à contri­buer à la créa­tion d’une nou­velle indus­trie éco­lo­gique, qui rend sou­te­nable notre socié­té et qui place la France comme fer de lance de la révo­lu­tion à venir, vous n’aurez pas per­du votre talent. Les défis sont immenses, incroyable­ment sti­mu­lants, et tout reste à faire. 

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