La nouvelle réglementation financière doit améliorer le fonctionnement des marchés
La crise financière a dévoilé les forces et faiblesses structurelles des différents marchés. L’identification des faiblesses permet de définir des axes de réglementation en vue de prévenir de nouvelles crises, ou à tout le moins d’en limiter les effets.
Les objectifs recherchés par les investisseurs, corrélés à la nature des produits négociés sur les marchés, déterminent largement le fonctionnement des marchés. L’investisseur particulier place son épargne en vue d’obtenir un rendement ou une plus-value tandis que l’investisseur institutionnel pourra également rechercher la couverture de ses différents risques économiques.
Repères
Tous les marchés ont leur dynamique propre, insufflée par les investisseurs et mise en musique par les intermédiaires et, le cas échéant, par des infrastructures (de marché, voire de compensation). Avec la crise, certains marchés ont été dénaturés.
Des dynamiques propres
Marchés de financement pour les émetteurs, les marchés de valeurs mobilières répondent à des logiques de rendement pour les investisseurs. Rendement aléatoire, sans horizon temporel prédéfini, avec exposition à un risque de marché sur les marchés actions. Rendement contractuel, prédéfini, avec un horizon temporel et un risque de crédit sur l’émetteur sur les marchés obligataires.
Diminuer les risques grâce au CDS
Le CDS, ou Credit Default Swap, est un contrat financier entre acheteur et vendeur. L’acheteur paie une prime régulière au vendeur, qui s’engage à rembourser la perte au cas où » l’actif de référence » (entreprise, institution financière, voire État) perdrait tout ou partie de sa valeur. C’est une sorte de contrat d’assurance.
Les marchés de titrisation ont aussi pour base un rendement prédéfini, une maturité, une exposition à un risque de crédit. Mais à la différence des marchés obligataires, d’une part ils ne servent pas le financement de l’émetteur, d’autre part le risque de crédit n’évolue pas en fonction de la vie de l’émetteur mais en fonction d’un portefeuille d’actifs titrisés au regard duquel cet émetteur est passif.
Les marchés d’instruments dérivés sont, quant à eux, des marchés destinés à la couverture des risques (risques de crédit, de taux, de change, etc.).
Un marché dénaturé
C’est la notion même de marché qui a été déformée ces dernières années.
Tout d’abord, elle a été étendue abusivement à des produits qui n’étaient pas destinés à être échangés de manière régulière entre les différents acteurs mais à être conservés jusqu’à leur maturité. Des titres de créance, sans doute, mais pas des produits de marché. La titrisation en a montré de nombreux exemples.
L’obscurité des dark pools
Les dark pools sont des systèmes alternatifs aux grandes Bourses réglementées qui permettent des transactions financières entre acteurs anonymes, sans influer sur les cours de Bourse. Un dark pool doit être autorisé par le régulateur de son pays (en France, l’Autorité des marchés financiers).
Ensuite, alors que la rencontre d’une multitude d’acteurs doit permettre une dissémination du risque, certains marchés ont, au contraire, permis la concentration de risques systémiques.
Parmi les dérivés de crédit, les CDS ont traduit ce phénomène.
Les Bourses, en revanche, bien que volatiles, ont démontré une robustesse et une profondeur remarquables. C’est leur fragmentation qui inquiète.
La re-réglementation des marchés pourrait être forte : transparence accrue en vue d’accroître la liquidité, redéfinition des conditions acceptables de la découverte des prix pour faire obstacle aux pools de liquidité opaques, dark pools, sur les marchés des actions, compensation systématiquement centralisée des produits dérivés standardisés, voire négociation centralisée.
Le fonctionnement des marchés dépend des objectifs des investisseurs
La mise en œuvre de telles réformes doit être envisagée avec sérieux mais aussi avec lucidité, car la réglementation des marchés doit être adaptée aux nécessités des acteurs, et notamment des investisseurs. Dans un contexte de renforcement des exigences de fonds propres des banques qui pourrait limiter leur capacité à financer l’économie, personne ne pourra se passer des marchés.
Mais cette re-réglementation doit revenir à une définition de base des marchés : un marché suppose des transactions.
S’appuyer sur la notion de marché
L’un des mérites du G20 est d’envisager une réforme d’ensemble des marchés et de vouloir mettre sous la férule des régulateurs l’ensemble des produits.
Presque toujours, et la directive MIF du 21 avril 2004, dernier texte européen en date sur les marchés, le démontre avec éloquence, la réglementation a été centrée sur les marchés des actions.
Un marché suppose des transactions
La philosophie en était simple : le monopole des marchés réglementés ne permettant pas aux investisseurs de bénéficier de baisses des coûts d’intermédiation observées avec la dématérialisation des échanges, il était jugé nécessaire de mettre lesdits marchés réglementés en concurrence avec d’autres acteurs. Antienne européenne bien connue : la concurrence est la clé d’un service de meilleure qualité et à moindre coût, et la réglementation est là pour stimuler la concurrence.
La contrepartie de cette ouverture à la concurrence était la transparence, pré et postnégociation, organisée dans certaines limites.
Pallier les insuffisances
Cette réglementation, dont on retrouvait à travers le monde des équivalents, est apparue insuffisante dans le contexte de la crise financière.
Protégés par la MIF
La directive européenne sur les marchés d’instruments financiers, dite » directive MIF « , permet aux entreprises qui fournissent des services d’investissement (banques ou entreprises spécialisées) d’offrir leurs services dans tous les pays d’Europe. Elle renforce la surveillance des marchés et la protection des épargnants.
Insuffisante pour le bon fonctionnement des marchés actions, dans la mesure où une fraction de la liquidité peut échapper à la transparence via des dark pools. Ceux-ci, s’ils détournent une fraction significative de la liquidité et traitent à un prix spécifique non public, altèrent la référence que constituent les Bourses. Ce phénomène est important aux États-Unis. Il est moins aigu en Europe mais mérite néanmoins de trouver une réponse dans la réforme à venir de la directive MIF.
Insuffisante également sur les marchés obligataires, où une transparence postnégociation calibrée pourrait permettre d’améliorer la faible liquidité sur le marché secondaire. Ces marchés n’ont pas vocation à fonctionner comme les marchés actions, car la nature des titres incite les investisseurs à les conserver jusqu’à maturité. Néanmoins, le reclassement doit être possible dans de bonnes conditions et une transparence postnégociation pourrait y aider.
La transparence
De nouveaux risques
Tous les acteurs ont besoin de marchés efficients de la titrisation : c’est parce que les banques peuvent se défaire de leurs risques qu’ils ont la capacité à en prendre de nouveaux.
Sur les marchés de titrisation, l’enjeu est bien plus la transparence des produits que celle des transactions : faute de la première, il n’y a plus de transactions et la deuxième devient sans objet.
La transparence des produits est la condition sine qua non de l’existence d’un marché. La transparence postnégociation des transactions peut seulement être un relais.
La prévention
La situation des marchés de produits dérivés, enfin, est plus complexe.
Pas de généralisation
La standardisation des instruments ne peut être générale : nécessaire pour les dérivés de crédit, elle est en revanche contestable pour les dérivés actions ou les dérivés de taux.
Pas question ici de rencontre centralisée d’une multitude d’intérêts, mais de contrats bilatéraux. Il n’est pas question de transparence ni de liquidité, mais de prévention du risque systémique généré par le fait que certains acteurs sont exposés, en compte propre, sur une multitude de contreparties. L’accroissement des fonds propres des acteurs est une tentation, mais pas une solution. L’interposition, pour les instruments standardisés, d’une contrepartie centrale de compensation qui, par le mécanisme de la subrogation, libère le porteur du risque auquel il est exposé, est bien plus efficace.
Les deux mécanismes pourraient être complémentaires en ce sens que le traitement prudentiel des instruments dépendrait de leur compensation centralisée.
Une contrainte réglementaire inadaptée n’est pas une solution
Pour atteindre l’objectif de prévention du risque systémique, il est souhaitable que la contrepartie centrale soit supervisée par la Banque centrale qui émet la monnaie dans laquelle les instruments sont libellés. Ce n’est toutefois pas à ce stade l’option privilégiée en Europe par la Commission européenne.
Enfin, la centralisation au niveau de la négociation, voire la cotation des produits dérivés, n’est pas une réponse adaptée au besoin de prévenir les risques systémiques.
Rester digeste
Au final, le menu des réformes réglementaires à venir sur les marchés est copieux mais doit rester digeste. Les marchés sont indispensables au bon fonctionnement de l’économie et les étouffer par une contrainte réglementaire inadaptée ne peut être la solution.