La Bourse de Paris

La nouvelle réglementation financière doit améliorer le fonctionnement des marchés

Dossier : Le nouvel espace financierMagazine N°652 Février 2010
Par Pierre de LAUZUN (69)

La crise finan­cière a dévoi­lé les forces et fai­blesses struc­tu­relles des dif­fé­rents mar­chés. L’i­den­ti­fi­ca­tion des fai­blesses per­met de défi­nir des axes de régle­men­ta­tion en vue de pré­ve­nir de nou­velles crises, ou à tout le moins d’en limi­ter les effets.

Les objec­tifs recher­chés par les inves­tis­seurs, cor­ré­lés à la nature des pro­duits négo­ciés sur les mar­chés, déter­minent lar­ge­ment le fonc­tion­ne­ment des mar­chés. L’in­ves­tis­seur par­ti­cu­lier place son épargne en vue d’ob­te­nir un ren­de­ment ou une plus-value tan­dis que l’in­ves­tis­seur ins­ti­tu­tion­nel pour­ra éga­le­ment recher­cher la cou­ver­ture de ses dif­fé­rents risques économiques.

Repères
Tous les mar­chés ont leur dyna­mique propre, insuf­flée par les inves­tis­seurs et mise en musique par les inter­mé­diaires et, le cas échéant, par des infra­struc­tures (de mar­ché, voire de com­pen­sa­tion). Avec la crise, cer­tains mar­chés ont été dénaturés.

Des dynamiques propres

Mar­chés de finan­ce­ment pour les émet­teurs, les mar­chés de valeurs mobi­lières répondent à des logiques de ren­de­ment pour les inves­tis­seurs. Ren­de­ment aléa­toire, sans hori­zon tem­po­rel pré­dé­fi­ni, avec expo­si­tion à un risque de mar­ché sur les mar­chés actions. Ren­de­ment contrac­tuel, pré­dé­fi­ni, avec un hori­zon tem­po­rel et un risque de cré­dit sur l’é­met­teur sur les mar­chés obligataires.

Dimi­nuer les risques grâce au CDS
Le CDS, ou Cre­dit Default Swap, est un contrat finan­cier entre ache­teur et ven­deur. L’a­che­teur paie une prime régu­lière au ven­deur, qui s’en­gage à rem­bour­ser la perte au cas où » l’ac­tif de réfé­rence » (entre­prise, ins­ti­tu­tion finan­cière, voire État) per­drait tout ou par­tie de sa valeur. C’est une sorte de contrat d’assurance.

Les mar­chés de titri­sa­tion ont aus­si pour base un ren­de­ment pré­dé­fi­ni, une matu­ri­té, une expo­si­tion à un risque de cré­dit. Mais à la dif­fé­rence des mar­chés obli­ga­taires, d’une part ils ne servent pas le finan­ce­ment de l’é­met­teur, d’autre part le risque de cré­dit n’é­vo­lue pas en fonc­tion de la vie de l’é­met­teur mais en fonc­tion d’un por­te­feuille d’ac­tifs titri­sés au regard duquel cet émet­teur est passif.

Les mar­chés d’ins­tru­ments déri­vés sont, quant à eux, des mar­chés des­ti­nés à la cou­ver­ture des risques (risques de cré­dit, de taux, de change, etc.).

Un marché dénaturé

C’est la notion même de mar­ché qui a été défor­mée ces der­nières années.

Tout d’a­bord, elle a été éten­due abu­si­ve­ment à des pro­duits qui n’é­taient pas des­ti­nés à être échan­gés de manière régu­lière entre les dif­fé­rents acteurs mais à être conser­vés jus­qu’à leur matu­ri­té. Des titres de créance, sans doute, mais pas des pro­duits de mar­ché. La titri­sa­tion en a mon­tré de nom­breux exemples.

L’obs­cu­ri­té des dark pools
Les dark pools sont des sys­tèmes alter­na­tifs aux grandes Bourses régle­men­tées qui per­mettent des tran­sac­tions finan­cières entre acteurs ano­nymes, sans influer sur les cours de Bourse. Un dark pool doit être auto­ri­sé par le régu­la­teur de son pays (en France, l’Au­to­ri­té des mar­chés financiers).

Ensuite, alors que la ren­contre d’une mul­ti­tude d’ac­teurs doit per­mettre une dis­sé­mi­na­tion du risque, cer­tains mar­chés ont, au contraire, per­mis la concen­tra­tion de risques systémiques.

Par­mi les déri­vés de cré­dit, les CDS ont tra­duit ce phénomène.

Les Bourses, en revanche, bien que vola­tiles, ont démon­tré une robus­tesse et une pro­fon­deur remar­quables. C’est leur frag­men­ta­tion qui inquiète.

La re-régle­men­ta­tion des mar­chés pour­rait être forte : trans­pa­rence accrue en vue d’ac­croître la liqui­di­té, redé­fi­ni­tion des condi­tions accep­tables de la décou­verte des prix pour faire obs­tacle aux pools de liqui­di­té opaques, dark pools, sur les mar­chés des actions, com­pen­sa­tion sys­té­ma­ti­que­ment cen­tra­li­sée des pro­duits déri­vés stan­dar­di­sés, voire négo­cia­tion centralisée.

Le fonc­tion­ne­ment des mar­chés dépend des objec­tifs des investisseurs

La mise en œuvre de telles réformes doit être envi­sa­gée avec sérieux mais aus­si avec luci­di­té, car la régle­men­ta­tion des mar­chés doit être adap­tée aux néces­si­tés des acteurs, et notam­ment des inves­tis­seurs. Dans un contexte de ren­for­ce­ment des exi­gences de fonds propres des banques qui pour­rait limi­ter leur capa­ci­té à finan­cer l’é­co­no­mie, per­sonne ne pour­ra se pas­ser des marchés.

Mais cette re-régle­men­ta­tion doit reve­nir à une défi­ni­tion de base des mar­chés : un mar­ché sup­pose des transactions.

S’appuyer sur la notion de marché

L’un des mérites du G20 est d’en­vi­sa­ger une réforme d’en­semble des mar­chés et de vou­loir mettre sous la férule des régu­la­teurs l’en­semble des produits.

Presque tou­jours, et la direc­tive MIF du 21 avril 2004, der­nier texte euro­péen en date sur les mar­chés, le démontre avec élo­quence, la régle­men­ta­tion a été cen­trée sur les mar­chés des actions.

Un mar­ché sup­pose des transactions

La phi­lo­so­phie en était simple : le mono­pole des mar­chés régle­men­tés ne per­met­tant pas aux inves­tis­seurs de béné­fi­cier de baisses des coûts d’in­ter­mé­dia­tion obser­vées avec la déma­té­ria­li­sa­tion des échanges, il était jugé néces­saire de mettre les­dits mar­chés régle­men­tés en concur­rence avec d’autres acteurs. Antienne euro­péenne bien connue : la concur­rence est la clé d’un ser­vice de meilleure qua­li­té et à moindre coût, et la régle­men­ta­tion est là pour sti­mu­ler la concurrence.

La contre­par­tie de cette ouver­ture à la concur­rence était la trans­pa­rence, pré et post­né­go­cia­tion, orga­ni­sée dans cer­taines limites.

Pallier les insuffisances

Cette régle­men­ta­tion, dont on retrou­vait à tra­vers le monde des équi­va­lents, est appa­rue insuf­fi­sante dans le contexte de la crise financière.

Pro­té­gés par la MIF
La direc­tive euro­péenne sur les mar­chés d’ins­tru­ments finan­ciers, dite » direc­tive MIF « , per­met aux entre­prises qui four­nissent des ser­vices d’in­ves­tis­se­ment (banques ou entre­prises spé­cia­li­sées) d’of­frir leurs ser­vices dans tous les pays d’Eu­rope. Elle ren­force la sur­veillance des mar­chés et la pro­tec­tion des épargnants.

Insuf­fi­sante pour le bon fonc­tion­ne­ment des mar­chés actions, dans la mesure où une frac­tion de la liqui­di­té peut échap­per à la trans­pa­rence via des dark pools. Ceux-ci, s’ils détournent une frac­tion signi­fi­ca­tive de la liqui­di­té et traitent à un prix spé­ci­fique non public, altèrent la réfé­rence que consti­tuent les Bourses. Ce phé­no­mène est impor­tant aux États-Unis. Il est moins aigu en Europe mais mérite néan­moins de trou­ver une réponse dans la réforme à venir de la direc­tive MIF.

Insuf­fi­sante éga­le­ment sur les mar­chés obli­ga­taires, où une trans­pa­rence post­né­go­cia­tion cali­brée pour­rait per­mettre d’a­mé­lio­rer la faible liqui­di­té sur le mar­ché secon­daire. Ces mar­chés n’ont pas voca­tion à fonc­tion­ner comme les mar­chés actions, car la nature des titres incite les inves­tis­seurs à les conser­ver jus­qu’à matu­ri­té. Néan­moins, le reclas­se­ment doit être pos­sible dans de bonnes condi­tions et une trans­pa­rence post­né­go­cia­tion pour­rait y aider.

La transparence

De nou­veaux risques
Tous les acteurs ont besoin de mar­chés effi­cients de la titri­sa­tion : c’est parce que les banques peuvent se défaire de leurs risques qu’ils ont la capa­ci­té à en prendre de nouveaux.

Sur les mar­chés de titri­sa­tion, l’en­jeu est bien plus la trans­pa­rence des pro­duits que celle des tran­sac­tions : faute de la pre­mière, il n’y a plus de tran­sac­tions et la deuxième devient sans objet.

La trans­pa­rence des pro­duits est la condi­tion sine qua non de l’exis­tence d’un mar­ché. La trans­pa­rence post­né­go­cia­tion des tran­sac­tions peut seule­ment être un relais.

La prévention

La situa­tion des mar­chés de pro­duits déri­vés, enfin, est plus complexe.

Pas de généralisation
La stan­dar­di­sa­tion des ins­tru­ments ne peut être géné­rale : néces­saire pour les déri­vés de cré­dit, elle est en revanche contes­table pour les déri­vés actions ou les déri­vés de taux.

Pas ques­tion ici de ren­contre cen­tra­li­sée d’une mul­ti­tude d’in­té­rêts, mais de contrats bila­té­raux. Il n’est pas ques­tion de trans­pa­rence ni de liqui­di­té, mais de pré­ven­tion du risque sys­té­mique géné­ré par le fait que cer­tains acteurs sont expo­sés, en compte propre, sur une mul­ti­tude de contre­par­ties. L’ac­crois­se­ment des fonds propres des acteurs est une ten­ta­tion, mais pas une solu­tion. L’in­ter­po­si­tion, pour les ins­tru­ments stan­dar­di­sés, d’une contre­par­tie cen­trale de com­pen­sa­tion qui, par le méca­nisme de la subro­ga­tion, libère le por­teur du risque auquel il est expo­sé, est bien plus efficace.

Les deux méca­nismes pour­raient être com­plé­men­taires en ce sens que le trai­te­ment pru­den­tiel des ins­tru­ments dépen­drait de leur com­pen­sa­tion centralisée.

Une contrainte régle­men­taire inadap­tée n’est pas une solution

Pour atteindre l’ob­jec­tif de pré­ven­tion du risque sys­té­mique, il est sou­hai­table que la contre­par­tie cen­trale soit super­vi­sée par la Banque cen­trale qui émet la mon­naie dans laquelle les ins­tru­ments sont libel­lés. Ce n’est tou­te­fois pas à ce stade l’op­tion pri­vi­lé­giée en Europe par la Com­mis­sion européenne.

Enfin, la cen­tra­li­sa­tion au niveau de la négo­cia­tion, voire la cota­tion des pro­duits déri­vés, n’est pas une réponse adap­tée au besoin de pré­ve­nir les risques systémiques.

Rester digeste

Au final, le menu des réformes régle­men­taires à venir sur les mar­chés est copieux mais doit res­ter digeste. Les mar­chés sont indis­pen­sables au bon fonc­tion­ne­ment de l’é­co­no­mie et les étouf­fer par une contrainte régle­men­taire inadap­tée ne peut être la solution.

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