La Paix
Les lecteurs ont dû remarquer que ces colonnes contiennent parfois des sortes de réserves à l’égard des metteurs en scène contemporains. Il ne s’agit pourtant pas d’un parti pris et on y lira aujourd’hui tout le bien qui se peut exprimer sur le travail accompli par Mme Stéphanie Tesson en montant La Paix d’Aristophane, en fait un montage à partir de deux textes de l’auteur : Les Acharniens (425 av. J.-C.) et La Paix (421 av. J.-C.).
Aristophane n’avait pas beaucoup plus d’une vingtaine d’années lorsqu’il écrivit ces deux comédies, en pleine guerre du Péloponnèse. Doué d’un vigoureux bon sens et sans doute personnellement réticent à l’égard de la démocratie démagogique et va-t-en-guerre de son athénienne patrie, mais surtout conscient, en homme de théâtre, de tout le parti comique à tirer des aberrations du système politique de son temps, il imagine dans Les Acharniens qu’un certain Dikéopolis, habitant du dème d’Acharnes – dont les citoyens ne passaient pas pour intellectuellement doués – décide de conclure une paix séparée avec Sparte.
Cette paix personnelle lui permet de retrouver l’abondance et de ripailler et baiser à loisir, à la colère indignée du chœur – les marchands de charbon du lieu – et surtout au nez et à la barbe d’un matamore fait général par la voix des urnes, grandiloquent lors de son départ au combat, mais en revenant fort éclopé et tout piteux.
Dans La Paix, Aristophane raconte les mésaventures du paysan Trygée qui, fatigué de la guerre – toujours celle du Péloponnèse – s’envole vers l’Olympe à califourchon sur un scarabée géant, préalablement suralimenté de crottes, afin de demander à Zeus de mettre un peu de plomb dans la cervelle des belligérants.
Manque de pot, le dieu suprême et sa suite ayant déménagé au fin fond du ciel pour ne plus voir le spectacle de la bêtise humaine, il ne trouve qu’Hermès, laissé sur place à la garde du mobilier et de la vaisselle. D’abord hargneux, Hermès se laisse séduire par l’offrande d’un beau morceau de viande de sacrifice et révèle l’endroit où est cachée la Paix : au fond d’un puits, enfouie sous un monceau de pierres. Après diverses péripéties et aidé d’autres paysans, Trygée parvient à dégager la Paix, la ramène sur terre et, malgré les imprécations des marchands de cuirasses et de lances, tout finit par des noces, des danses et des chansons.
Procédant à quelques allégements et coupures, redonnant à Trygée le nom de Dikéopolis, Stéphanie Tesson a fondu ces deux pièces en une seule, jouée au Théâtre Treize, et le résultat est un enchantement. Il s’agissait pourtant bien d’une gageure : Aristophane est difficile à monter. Ses comédies, surtout celles de sa jeunesse, sont presque totalement dépourvues de construction dramatique. Elles font plutôt penser à un enchaînement d’entrées de clowns, de saynètes de guignol, de brefs sketches, certes bâtis autour d’un thème unique mais sans gradation dans le déroulement de l’action, si tant est que l’on puisse parler d’action. En outre, pour répondre au goût du public athénien, il est un peu bien souvent question d’étrons, de pets, de culs à enfiler, et pas seulement de ceux des filles!…
Tout cela peut sans doute amuser des lecteurs érudits, prompts à goûter la plaisanterie attique, mais n’est guère facile à traduire en langage scénique contemporain. Sans parler des mots forgés, des onomatopées, ni surtout des incessantes allusions à l’actualité et aux travers des politiciens véreux qui s’abattirent sur Athènes après la mort de l’aristocratique Périclès. Il est malaisé, de nos jours, d’interpréter les textes d’une manière de chansonnier truculent du IVe siècle avant J.-C.
Appuyée d’abord sur l’excellente traduction d’une jeune universitaire, Malika Hammou, enseignant le grec à l’université de Toulouse et spécialiste du théâtre antique, Stéphanie Tesson y a mis tout son talent, en particulier son expérience du théâtre de marionnettes dont les impératifs de simplicité scénique s’accordent bien avec la juvénile spontanéité d’Aristophane, qui ne cherche pas “ midi à quatorze heures ”, et dit tout crûment ce qui passe dans sa tête imaginative et poétique. Sans lourdeur pourtant, de sorte qu’il ne se montre jamais vulgaire, pareil en cela à notre Rabelais.
Appuyée aussi sur des comédiens remarquables, dont en particulier Maxime Lombard, curieusement voué d’abord à l’enseignement – il est agrégé de linguistique – puis passé à bonne école, celle d’Ariane Mnouchkine et de la Cartoucherie – Théâtre du Soleil. Il joue Dikéopolis.
On regrettera seulement qu’une pareille merveille, créée en avril dernier à La Filature de Mulhouse, n’ait pu être jouée que deux mois à Paris. Un trop bref printemps