La participation des usagers-clients-citoyens
Il est banal de souligner l’importance des mutations et transformations qui s’opèrent dans la société. Ces mutations touchent tout à la fois les sphères de l’économie, du social, du culturel et nos modes de vie.
L’Europe s’impose de plus en plus comme une nouvelle frontière et comme un nouvel espace où vont s’élaborer nos règles du vivre ensemble.
Jean KASPAR : Consultant en Stratégies sociales (gérant de J. K Consultant), ancien Conseiller social à l’ambassade de France à Washington et ancien Secrétaire général de la CFDT.
La mondialisation de l’économie, des échanges et l’interdépendance croissante de nos destins nationaux imposent la mise en place de nouvelles règles pour réguler le marché et permettre un développement durable et solidaire. Le fantastique développement des technologies de la communication, le progrès de la science et des techniques nous ouvrent de nouveaux espaces et dans le même temps nous obligent à de singulières remises en cause dans nos façons de vivre, de travailler et de vivre ensemble.
Ces évolutions et ces mutations obligent les personnes mais aussi tous les systèmes d’organisation (État, entreprises, collectivités territoriales, organisations syndicales, partis politiques, associations, etc.) à une refondation de leur mode de pensée, de leurs objectifs et de leur stratégie. Dans une telle situation, l’État-nation ne peut plus être le seul lieu de la régulation économique, sociale et politique. Il ne peut rester en dehors de cet indispensable effort de redéfinition de son rôle, de ses missions, d’adaptation, de modernisation pour répondre aux grands défis de la période, pour démontrer son utilité et confirmer son rôle irremplaçable afin de favoriser la cohésion sociale, garantir les libertés individuelles et collectives et exercer ses fonctions régaliennes.
L’amélioration de la qualité des services publics : une exigence économique, sociale et démocratique
Dans ce contexte de mutations, les services publics et services d’intérêt général continuent à apporter une contribution essentielle à la qualité de vie de chacun à travers les services qu’ils rendent (eau, éducation, sécurité, transports, santé…) mais aussi à la société tout entière par leurs contributions à la cohésion territoriale, économique et sociale. Cette cohésion est indispensable pour permettre un fonctionnement solidaire et démocratique de la société. L’évolution continue de la qualité de ces services, c’est-à-dire leur adaptation permanente à l’évolution des besoins et des attentes des usagers-clients-citoyens notamment des plus fragiles, est un enjeu majeur en France comme en Europe.
Pour réussir cette nécessaire évolution, il faut mobiliser et impliquer tous les acteurs qui y contribuent : les élus, les managers de ces services, les agents, leurs représentants, le milieu associatif mais aussi et surtout les usagers-clients-citoyens des services qu’ils soient des particuliers, des entreprises ou d’autres organismes publics. Il n’y a pas, en effet, sur le long terme, de sécurité, de propreté, de santé, d’éducation, de respect de l’environnement sans cette implication active. Il n’y a pas d’amélioration significative sans prise en compte de leurs critiques, de leurs attentes et de leurs propositions. Il n’y a pas de conception de services adaptés aux besoins sans association des utilisateurs.
Comités de quartier, conseils d’administration, débat public, commissions consultatives, groupes de travail, budget participatif, évaluation de la satisfaction, les formules de participation sont nombreuses et variées. Elles sont mises en place, parfois à l’initiative des élus, des administrations ou de leurs services, des citoyens, et, dans certains cas, rendues obligatoires par la loi. Cette participation peut passer par l’information, la consultation, la concertation et la formalisation d’un partenariat qui peut s’inscrire dans le temps.
Nous constatons que l’information et la consultation ne suffisent plus. Les attentes vont au-delà car s’arrêter à la seule information et consultation relève encore d’une attitude de souveraineté où les décideurs publics déterminent le contenu de la relation et où les usagers-clients-citoyens sont amenés à émettre un avis sans être certains d’être entendus. Il faut promouvoir des processus de concertation qui favorisent une réelle participation car elle permet de travailler ensemble à un problème commun, de définir les axes de changement d’évolution et d’amélioration. La solution au problème s’élabore alors dans un processus de coconstruction et de coélaboration. Elle n’est pas imposée par une hiérarchie ou un pouvoir. Elle peut donner de la place à la négociation et donc à une réelle responsabilisation des acteurs.
En tout état de cause, une évidence s’impose. Le temps où les techniciens dictaient leur point de vue, où les élus et les responsables administratifs décidaient sans associer les utilisateurs, les personnels et leurs représentants, est révolu. Et c’est tant mieux. La prise en compte des besoins, l’efficacité technique et économique rendent incontournable un approfondissement de la démocratie. En effet, la démocratie représentative doit s’enrichir d’une dimension participative permettant le dialogue et le développement de stratégies de partenariat et de coopération entre tous les acteurs de la qualité publique. S’il est clair, par exemple, que les élus sont choisis pour décider des orientations politiques, ils ne le sont pas pour représenter et exercer la fonction d’usage. Les élus, et ils sont de plus en plus nombreux, qui ont intégré cette dimension y trouvent un gain d’efficacité et de légitimité.
Les associations d’usagers qui agissent avec beaucoup de bonnes volontés, souvent avec peu de moyens et d’expertises, doivent être soutenues pour être en mesure d’apporter leur indispensable contribution. Ce soutien doit porter à la fois sur le développement de leur expertise et sur leur mode de financement. L’État, les administrations, les collectivités territoriales mais aussi les politiques doivent apprendre à travailler avec le milieu associatif, les organisations syndicales, les citoyens. L’onction du suffrage universel ne suffit plus pour justifier des modes de décisions d’un autre âge. La démocratie représentative doit s’enrichir de l’implication des citoyens et de la participation des multiples corps intermédiaires.
Se donner les moyens d’une démocratie plus participative
Les associations d’usagers-consommateurs-citoyens doivent aussi, au niveau national, régional et local, s’organiser de façon transversale pour faire circuler l’expérience, mutualiser leurs compétences et développer leurs spécificités. L’élection de représentants de la fonction d’usage, comme cela existe par exemple pour les parents d’élèves, peut être une façon de contribuer au débat, à la légitimité et à une plus grande représentativité de ces associations. Ce mode de désignation ne remet en cause ni l’élection à la fonction politique de gestion de la cité ni celle des représentants du personnel, elle leur est complémentaire.
Le personnel et ses représentants doivent être impliqués par des processus d’information, de concertation et de négociation. Cela implique aussi des changements significatifs dans le mode de management des services publics. La compétence technique ou les diplômes ne suffisent plus. Les managers des services publics doivent avoir une compétence multidimensionnelle (économique, organisationnelle, sociale et managériale). La négociation doit trouver dans l’administration, toute sa place, pour gérer les changements qu’elle doit opérer.
C’est donc ensemble, dans de nouvelles formes de partenariat qu’il nous faut travailler pour répondre très concrètement aux enjeux de la qualité publique en prenant conscience qu’aucun des acteurs seuls n’est capable de relever ce défi. Il y va de l’avenir des services publics et d’intérêt général et plus profondément de la qualité démocratique de notre société.