La pêche entre surexploitation et surcapacités
Les progrès constants des moyens de pêche ont conduit à une grave diminution de l’abondance des stocks naturels. Contrôler cette évolution exige des mesures délicates à définir car efficacité et acceptabilité ne vont pas souvent ensemble. Dans ce domaine, l’Union européenne peine à trouver les bons compromis. Une nouvelle dynamique est néanmoins nécessaire pour préserver l’avenir.
REPÈRES
En combinant pêche, aquaculture, transformation et commercialisation, le secteur a généré, en 2003, 65 000 emplois en équivalent temps plein (Eurostat). La pêche n’est pas un secteur économique majeur. Elle suscite pourtant beaucoup de débats : son poids médiatique et politique dépasse son importance économique. L’image favorable dont bénéficient les pêcheurs leur permet de donner à leurs requêtes un écho important. Les implications internationales amplifient les aspects politiques.
Depuis trente-cinq ans la pêche a connu d’importants bouleversements non seulement au niveau des techniques mises en oeuvre, mais aussi du cadre réglementaire. Avant 1976 les eaux (internationales) étaient ouvertes à tous au-delà des 12 milles côtiers. Des Zones économiques exclusives (ZEE) ont depuis été instituées qui, sauf exception (cf. Méditerranée), s’étendent vers le large jusqu’à 200 milles marins au bénéfice des pays riverains. Les ZEE englobent l’essentiel des ressources halieutiques, à l’exception des grands migrateurs (thons). Au sein de la Communauté européenne, une Politique commune des pêches (PCP) intégrée est en place depuis 1983.
Une subvention qui abaisse les seuils de rentabilité alimente à terme la surexploitation
Tout en réservant, sauf exception, les 12 premiers milles aux flottes riveraines elle met en commun les ZEE des États membres (EM) pour former les eaux dites communautaires. Des outils de gestion ont été mis en place. Pour chaque stock (une espèce dans une région géographique délimitée) couvert par le régime dit des TAC et quotas, un Total admissible des captures (TAC) est fixé chaque année pour l’année suivante. Il est réparti en quotas nationaux en appliquant des clés fixes de répartition entre EM, le débat annuel portant sur le niveau du TAC. Une politique de gestion des flottes de pêche a été décidée. Elle avait pour priorité initiale la modernisation des navires. D’autres outils, non directement liés au présent propos, complètent le dispositif. La PCP n’a pourtant pas abouti à un équilibre durable entre les flottes de pêche et les ressources disponibles.
Des effets difficiles à anticiper
La difficile évaluation des stocks
Les scientifiques, pour préparer les décisions sur les quotas, ajustent en temps réel les diagnostics sur les stocks. On ne peut toutefois pas dénombrer les poissons dans le milieu. Les techniques scientifiques majeures reposent sur le suivi de la composition démographique des captures. Efficaces pour reconstituer l’histoire d’une classe d’âge à la fin de son parcours, et pour établir un diagnostic structurel sur les intensités d’exploitation, elles laissent subsister de fortes incertitudes sur les diagnostics en temps réel sur l’abondance des stocks. C’est une source majeure de contestation des propositions restrictives, qui a beaucoup handicapé les efforts de gestion.
Tout progrès technique, ou toute diminution du coût de l’énergie, accroît l’efficacité de la flotte de pêche et aggrave la surexploitation. Une subvention qui abaisse les seuils de rentabilité alimente à terme la surexploitation ! Les plans de gestion s’attachent à l’inverse à ramener l’intensité d’exploitation vers un optimum.
Mais, lorsque des mesures de gestion sont prises pour réduire l’exploitation, il faut un délai avant d’en toucher les dividendes, le délai étant d’autant plus long que la longévité de l’espèce exploitée est grande. C’est une source majeure de procrastination.
Autre difficulté : les gains d’efficacité induits par le progrès occultent la raréfaction des ressources.
Les pêcheurs peuvent être sceptiques quant aux diagnostics de raréfaction des ressources quand leurs rendements leur paraissent presque stables : ils peuvent refuser le diagnostic de surcapacités en mettant en avant la diminution » nominale » du nombre de navires ou du tonnage total des flottes de pêche.
Cette situation rend prioritaire la lutte contre les surcapacités des flottes.
Dans l’urgence il n’est hélas en général possible que de plafonner les captures par des TAC ou de limiter l’activité des navires, ce qui est un traitement plus symptomatique que curatif.
L’absence de droits de propriétés individuels est une question cruciale : l’intérêt immédiat de chaque pêcheur est de capturer tout poisson disponible pouvant être vendu, même si l’intérêt général à terme conduit à épargner ce poisson pour qu’il puisse grandir ou se reproduire. Même si un pêcheur ne souhaite pas investir pour se doter d’un navire plus efficace, si les autres le font il peut être amené à augmenter son efficacité pour résister à la concurrence.
Gérer des » droits de pêche »
Mieux contrôler les fraudes
Les fraudes sont souvent importantes et rarement combattues efficacement au sein de la PCP : difficile collecte de preuves juridiquement recevables, en particulier en mer ; contrôles coûteux, etc. Les régimes d’inspection et de sanctions sont en Europe globalement insuffisants et hétérogènes entre pays, question qui doit faire dans les mois à venir l’objet de nouveaux débats au titre de la PCP. Des progrès décisifs sont indispensables, qui pourront s’appuyer sur la prise de conscience observée.
Une répartition fine des droits de pêche peut être envisagée comme remède. Plusieurs pays ont mis en place des systèmes dits de quotas individuels transférables, qui garantissent à un détenteur de droits une fraction connue des captures à venir par stock, intéressant directement le bénéficiaire à la bonne santé future des ressources. La possibilité de vendre et de transmettre les droits de pêche devrait conduire ces droits vers les pêcheurs les mieux places pour en tirer des profits, et permettre à ceux qui quittent la pêche de partir avec un pécule. Les opposants dénoncent une privatisation des ressources publiques que sont les stocks, et avancent les risques de concentration des droits de pêche dans les mains d’oligopoles. La PCP répartit les droits de pêche entre EM, mais chaque EM peut garder à ces droits le statut de ressource commune, ou les répartir entre groupes ou entre pêcheurs individuels, autoriser ou non les transferts entre détenteurs de droits (et assortir les règles de transfert de mécanismes de prévention des concentrations excessives). La situation est très variable d’un EM à l’autre, mais le débat est d’une grande acuité, et les professionnels français se sont ainsi récemment opposés à la mise en place d’un régime de quotas individuels transférables.
Inventer une nouvelle dynamique
Un archétype des navires de pêche modernes et efficaces : un thonier senneur qui pêche les thons tropicaux (ressources heureusement plus robustes que d’autres). Un navire de ce type peut en une année capturer plus de dix mille tonnes avec un équipage de 20 à 25 personnes. Les thoniers senneurs océaniques du type de celui-ci encerclent les thons avec des sennes qui font de 1500–1800 mètres de long et 250–300 m de hauteur |
Les difficultés ne doivent pas faire conclure que la pêche serait sans avenir. Il n’est pas étonnant que la pêche, où jusqu’en 1976 les ressources majeures étaient en accès ouvert à l’échelle mondiale, n’ait pas trouvé en à peine trente ans un équilibre de croisière. La pêche peut générer des profits considérables, à partir de ressources renouvelables. Le réchauffement climatique peut modifier le cortège des espèces disponibles, mais rien ne permet objectivement de prévoir globalement une régression majeure des ressources. Si l’aquaculture est appelée à accroître sa production, elle ne rendra pas la pêche obsolète dans les décennies à venir, d’autant que, pour une même espèce, produits de la pêche et de l’aquaculture peuvent cohabiter dans des niches commerciales distinctes.
La pêche peut générer des profits considérables
La pêche est en outre très bien placée pour trouver sa place dans une économie plus respectueuse de l’environnement. Elle devra réduire sa consommation d’énergie pour diminuer les intensités d’exploitation, ce qui, paradoxe propre à la pêche, permettra une augmentation des productions durables. Il est en outre possible d’accroître massivement le recours à des techniques plus sélectives et d’un impact réduit sur les habitats. Les difficultés rencontrées ont conduit les esprits à évoluer. Des structures ont été mises en place pour faciliter les débats entre toutes les parties concernées dont l’adhésion est nécessaire au succès de la gestion à venir. On peut espérer dans les années à venir des progrès qui seraient cette fois plus rapides que les gains d’efficacité des navires de pêche. Ils ne sont pas pour autant acquis.
Pour en savoir plus sans s’ennuyer
Un livre prioritaire : La fabuleuse histoire de la Morue de Mark Kurlansky (Cod A Biography of the Fish That Changed the World).