La place de l’hydroélectricité pour relever les défis de la transition

Au cours de la COP28 de Dubaï, les gouvernements se sont engagés à « tripler » la capacité de renouvelable à l’horizon 2030. L’énergie hydraulique a un rôle à jouer dans ce défi pour l’augmentation de la production, mais surtout pour sa flexibilité. L’IEA (Agence internationale de l’énergie) préconise le doublement de la capacité d’hydroélectricité à l’horizon 2050. La France est bien placée au niveau mondial dans ce domaine et son potentiel de développement en la matière est important, tant en termes technologiques qu’en termes industriels et géographiques.
L’initiative de réaliser un dossier argumenté sur l’hydroélectricité dans La Jaune et la Rouge est partagée entre plusieurs experts énergéticiens et Hydro21. Cette association regroupe plus d’une centaine d’entreprises de l’hydroélectricité et a été créée à l’initiative d’Alstom (Maryse Xausa François et Maurice Pradel) en 2002, avec comme membres fondateurs Alstom, Artelia, GEG, EDF, la ville de Grenoble, INPG et d’autres universités, sous la présidence Jean-Marie Martin-Amouroux.
Un système industriel exceptionnel
Les Alpes françaises constituent le premier pôle hydroélectrique en Europe. Elles concentrent en effet (cf. l’encadré ci-dessous) une densité d’ouvrages sans équivalent et toutes les compétences et les entreprises nécessaires à la maîtrise des expertises de cette filière : études géophysiques et environnementales des sites, génie civil et construction des ouvrages, R & D et construction des machines hydrauliques et électromécaniques, systèmes d’information et de commande, analyse et réduction des impacts, et enfin exploitation des installations en synergie avec leur territoire d’accueil. C’est un cas rare de chaîne industrielle qui n’est pas délocalisable et dont la France a réussi à garder la souveraineté. Cette filière contribue depuis près de 150 ans à la capacité de notre pays à répondre efficacement au triple défi du développement de son potentiel industriel tout d’abord, de sa souveraineté énergétique ensuite et désormais de la décarbonation de sa production d’électricité.
Chiffres clés de la filière hydro
- 2 600 centrales pour 26 GW de puissance installée.
- 10 à 12 % de la production annuelle d’électricité et une capacité à couvrir 20 % à 25 % lors des pics de consommation.
- 5 GW de puissance installée de stockage via les STEP.
- 1,8 GW : puissance installée de la STEP de Grand’Maison, la plus puissante d’Europe.
- Emplois directs : 20 000 en France.
- Grands groupes mondiaux : EDF Hydro, GE Hydro, Artelia, CNR, etc.
- Plusieurs milliers de TPE et PME.
- Institut Carnot « Énergies du futur » : 1 400 chercheurs.
- Grenoble INP-énergie eau-environnement : 1 200 étudiants.
De précieuses qualités intrinsèques
L’hydroélectricité demeure sur le podium des énergies les plus efficaces et respectueuses de l’environnement. Elle coche en effet la plupart des avantages que l’on recherche. Tout d’abord, son niveau d’émissions de gaz à effet de serre (GES, entre 6 et 11 gCO₂ eq/kWh) sur l’ensemble du cycle de vie des infrastructures est comparable à l’éolien et au nucléaire, et bien inférieur au solaire photovoltaïque, sans mentionner les énergies fossiles qui émettent environ 100 fois plus de GES. Ensuite son emprise au sol, exprimée en kilowatts par mètre carré, est comparable aux autres filières renouvelables. De plus, son empreinte matière (0,038 kg/kWh) est la plus faible de toutes les filières de production. Enfin, son taux de retour énergétique (TRE, en anglais EROI) élevé (de l’ordre de 80) place l’hydroélectricité au meilleur niveau des filières électriques, au-dessus des autres filières renouvelables.
La production hydroélectrique est pilotable et flexible. Les centrales de lac permettent de la réserve saisonnière. Les centrales au fil de l’eau ont souvent aussi des possibilités de stockage de quelques heures. Une part importante du parc installé avec un niveau de flexibilité très attrayant est utilisé pour répondre aux pointes de consommation, comme aux pics et creux de production des énergies intermittentes. Elle couvre actuellement la majorité des besoins d’électricité utilisés pour l’équilibrage du réseau électrique, au niveau local comme au niveau national. Elle possède enfin des externalités qui en font une filière énergétique exceptionnelle, car elle rend des services d’intérêt général à la population : gestion du partage de la ressource en eau, impact positif en termes de tourisme, lissage des crues et réduction des périodes d’étiage, etc.
Une production de base et de pointe
La France a déjà une électricité hautement décarbonée (32 gCO₂ eq/kWh en 2023) et une bonne maîtrise des filières énergétiques industrielles, en particulier grâce au nucléaire et à l’hydraulique. Elle est ainsi le pays de plus de trente millions d’habitants ayant le mix électrique le plus décarboné au monde.
Dans le futur, cette excellence française doit pouvoir bénéficier des atouts procurés par la filière hydraulique qui continuera de jouer un rôle de premier plan. D’abord dans la production d’électricité de base et de pointe. Avec 26 GW de puissance installée en France, l’hydraulique fournit en moyenne 12 % de la production électrique nationale. C’est une source de flexibilité recherchée pour le réseau grâce à la réactivité de la moitié de son parc, qui peut adapter en quelques minutes la puissance produite à la demande pour fournir entre 20 % et 25 % de la demande lors des pics de consommation hivernaux.
Ce besoin de flexibilité nécessaire à la sécurité du réseau électrique est voué à augmenter avec le développement programmé des parcs éoliens et solaires producteurs d’une énergie fatale et intermittente, au gré de l’intensité des flux naturels solaires et éoliens décorrélés de la demande. L’hydroélectricité, seule énergie renouvelable qui soit décarbonée, locale, prévisible et pilotable, jouera un rôle crucial dans le bon fonctionnement du système électrique français et sa stabilité.
Le stockage et les STEP
Dans sa prospective pour les scénarios du futur, RTE prévoit un besoin de capacités flexibles de 33 GW. Les mesures prises pour que les consommateurs adaptent leur consommation ne suffiront pas, ni les échanges avec les pays voisins où les phases de surplus et de pénurie de soleil et de vent sont corrélées. Aussi l’essentiel de ce besoin en capacités flexibles sera assuré par notre capacité à développer le stockage, indispensable à la gestion du réseau.
Les STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) sont aujourd’hui la première source de stockage. Elles sont efficaces, économiques pour des stockages de quelques heures à quelques jours, n’utilisent pas de matériaux rares et ont besoin de moins de foncier que les batteries à volume de stockage équivalent. En France les STEP représentent aujourd’hui une puissance installée de 5 GW et le potentiel de développement reste important. Au niveau mondial de nombreux projets de STEP sont en construction ou en préparation.
Le développement économique des territoires
En plus de fournir de l’énergie, l’hydroélectricité est la matrice du développement économique, de l’aménagement et de l’attractivité des territoires. Outre les retombées fiscales locales significatives, la filière est un moteur pour l’économie et l’emploi local (exploitation et maintenance des installations, sous-traitance, recherche, formations, etc.).
C’est ainsi que les lacs de barrage (Serre-Ponçon, Mont-Cenis, Le Sautet, Monteynard, etc.) sont devenus de véritables pôles d’attractivité touristique. L’hydroélectricité contribue enfin à la gestion de la ressource en eau. Une part des eaux de surface en France est stockée dans les barrages hydroélectriques. Ce stockage garantit la continuité des usages de l’eau, permet le lissage des crues, la réduction des périodes d’étiage, etc.
Ces externalités positives constituent des services d’intérêt général rendus aux territoires desservis. Ils confèrent à l’hydroélectricité un rôle stratégique dès aujourd’hui et à l’avenir dans l’adaptation au changement climatique des territoires de montagne et des cours d’eau équipés.
Et demain ?
Les Alpes françaises ont été le berceau de la houille blanche. Nous nous apprêtons à célébrer en 2025 le centenaire de l’Exposition internationale de la houille blanche et du tourisme qui fut organisée à Grenoble et a accueilli à l’époque plus d’un million de visiteurs. Aujourd’hui, nos montagnes demeurent la première région hydraulique européenne, avec une concentration unique de centres universitaires, d’industries et d’ouvrages autour desquels se greffent des activités économiques et touristiques. Demain encore plus qu’aujourd’hui, la filière hydroélectrique alpine sera le camp de base français et européen de l’innovation et de la conquête des marchés à l’international.