La place des femmes à l’X
Il y a un an, le journal des élèves consacrait un numéro spécial (IK au féminin) sur l’expérience des femmes au sein de l’École. Après une action immédiate du commandement, il a paru nécessaire d’élaborer une réflexion à plus long terme. C’est l’objet de ce rapport.
1972 : sept jeunes femmes franchissent les murs de Carva, premières polytechniciennes de l’histoire.
Près d’un demi-siècle plus tard, le paysage a changé. L’X a déserté la Montagne-Sainte-Geneviève et les femmes, bien que toujours nettement minoritaires, ne sont plus l’exception.
L’institution plus que bicentenaire s’est habituée à voir des étudiantes venir intégrer ses rangs.
L’impact de l’IK au féminin
En février 2017, des X décident d’écrire sur l’expérience des femmes au sein de l’École : le numéro spécial de l’Info Kès, rebaptisé pour l’occasion IK au féminin, voit le jour.
“L’IK au féminin a permis un changement progressif des mentalités”
Si les différents points de vue qui s’expriment dans ce hors-série brossent un portrait nuancé de la situation, le dernier article sort du lot. Plusieurs anciennes élèves y témoignent et relatent un quotidien de sexisme pouvant être, parfois, extrêmement violent, certains faits rapportés constituant même des infractions pénales graves.
Si cet IK amène évidemment des réactions immédiates, enquête de commandement menée par le chef de corps, plan d’action contre le sexisme adopté par le CA, il permet également de faire émerger la volonté d’une réflexion à plus long terme.
Inscrire une action dans la durée
En septembre 2017 se constitue un groupe de travail nommé « La place des femmes à l’X ». Celui-ci rassemble des membres de l’administration, des représentants élus des élèves et un ensemble de polytechniciennes et de polytechniciens volontaires des promotions 2015 et 2016.
Durant six mois, jusqu’au départ de la promotion 2015, le groupe s’est réuni de manière hebdomadaire avec pour objectifs d’identifier les problèmes liés à la place des femmes au sein de l’École, de proposer des solutions à ceux-ci et d’inscrire ces solutions dans la durée.
Ce dernier point est apparu particulièrement important, un dispositif de lutte contre le sexisme et les violences sexuelles ne devant pas reposer sur la seule implication ou motivation des personnes qui en ont la charge à un moment donné. En effet, ces dernières peuvent être amenées à changer de poste régulièrement, du fait des vagues de mutations.
Redéfinir les moyens de lutte et de vigilance
Le travail du groupe s’est, en premier lieu, focalisé sur les procédures administratives existant au sein de l’École. En effet, les divers incidents survenus récemment à l’X avaient mis au jour des carences claires dans ces procédures et l’urgence était de les pallier.
Cela a, entre autres, permis de revisiter le rôle de référent mixité, poste créé par la cellule Thémis de l’armée de Terre. En effet, celui-ci est pensé, à l’origine, pour des régiments dont les réalités quotidiennes sont assez éloignées des nôtres. La cellule Thémis se focalise quasi exclusivement sur les faits pénalement répréhensibles et les procédures judiciaires qui doivent en découler.
Cependant le groupe a considéré que le référent pouvait également intervenir en tant que médiateur dans le cas de faits non pénalement répréhensibles et plus généralement assurer un rôle de veille et de prévention pour empêcher la survenue d’incidents.
L’enjeu de ce travail était d’adapter des procédures militaires, élaborées à l’origine pour des régiments plutôt que pour le quotidien d’une école d’ingénieurs. Cela ne signifie pas pour autant ignorer le statut militaire de l’X : copier aveuglément un dispositif présent dans une grande école civile ne permettrait aucunement de prendre en compte des temps tels que La Courtine ou encore les particularités de la vie en section.
Un bilan de ce premier temps de travail a été présenté devant le comité exécutif de l’École, début décembre.
Nommer les besoins liés à la mixité à l’X
La réflexion du groupe a, ensuite, été élargie à un ensemble de problématiques liées aux relations femmes-hommes dans le contexte spécifique de l’X.
La réflexion du groupe a, ensuite, été élargie à un ensemble de problématiques liées aux relations femmes-hommes dans le contexte spécifique de l’X. © École polytechnique – J. Barande
En effet, l’isolement géographique, particulièrement ressenti par celles et ceux qui ne peuvent pas souvent rentrer dans leur famille, le relatif manque d’intimité inhérent à la vie en collectivité et le ratio femmes-hommes particulièrement déséquilibré peuvent représenter autant d’obstacles à l’épanouissement affectif et sexuel de chacun et de chacune et nuire, en dernier ressort, à de saines relations entre les femmes et les hommes.
Ainsi le groupe a organisé la venue d’une sexologue pour permettre une soirée de discussion autour des questions relatives à la sexualité. L’intérêt que cela a suscité nous a poussés à suggérer de réitérer de telles interventions durant le cursus polytechnicien.
Il est apparu qu’étudier la question de la mixité sous l’angle général des relations femmes-hommes dans le contexte de l’École permettait d’intéresser et d’impliquer dans notre travail des personnes qui, initialement, pouvaient se sentir assez étrangères aux problèmes de sexisme.
D’autres sujets ont également été abordés comme celui de l’enseignement et des choix d’orientation au sein de l’X.
Une prise de conscience positive
En tant qu’élève de la promotion 2015, je peux témoigner des changements que j’ai observés durant mon passage à l’X. L’IK au féminin a permis la libération d’une parole jusque-là tue mais également la mise en place d’une dynamique positive sur les sujets de sexisme et de violences sexuelles assortie d’un changement progressif des mentalités.
Des pratiques qui étaient encore monnaie courante il y a quelques années, ou même lors de mon arrivée à l’École, sont désormais proscrites. La contribution du groupe à tout cela est nécessairement limitée, d’une part parce que l’ensemble de nos discussions et de nos productions se sont effectuées sur le temps libre de chacun des membres du groupe, c’est-à-dire sur un temps limité, et d’autre part car le travail du groupe est encore trop récent pour pouvoir en observer toutes les retombées et les évaluer.
Néanmoins je crois que nous aurons pu participer non seulement à cette prise de conscience mais également à la réalisation d’actions concrètes.
Le devoir d’agir à l’X pour préparer l’après
Au-delà de la nécessité de faire appliquer la loi sur le campus de l’École polytechnique, en mettant tout en oeuvre pour empêcher les violences sexuelles et les dérives sexistes, s’intéresser à la place des femmes engage nécessairement une réflexion plus large.
Les récentes « unes » médiatiques ont montré qu’aucun milieu ne pouvait se prévaloir d’avoir éradiqué le sexisme et les violences sexuelles de ses rangs. Dans ce contexte, l’X a le devoir de participer à la sensibilisation des étudiants qu’elle prétend former.
Lutter dès à présent, sur notre campus, contre les violences sexuelles entre élèves, c’est contribuer à prévenir d’autres dérives dramatiques qui pourraient survenir dans un avenir proche ou lointain, en entreprise ou ailleurs, lorsque ces anciens élèves seront à des postes de responsabilité.