La planification urbaine peut-elle conduire à une mobilité durable ?

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997
Par Vincent FOUCHIER

Une des ques­tions clé du débat est de savoir si l’on sou­haite limi­ter la place de l’automobile dans nos agglo­mé­ra­tions. Cette ques­tion dépasse lar­ge­ment les aspects tech­ni­co-envi­ron­ne­men­taux (pol­lu­tion, nui­sances, coûts, etc.) : elle concerne un choix de socié­té (modes de vie, pay­sages, équi­té, etc.) . La réponse à cette ques­tion de la place accor­dée à l’automobile est lourde de consé­quences quant aux déci­sions de pla­ni­fi­ca­tion urbaine. Nous illus­tre­rons nos pro­pos avec l’exemple de l’Îlede-France et de quelques éclai­rages tirés de l’étranger.

La densité peut limiter la dépendance à l’automobile

Plu­sieurs recherches rela­ti­ve­ment récentes ont confor­té les connais­sances sur le lien entre den­si­té urbaine et dépla­ce­ments. Par­mi celles-ci, une fameuse com­pa­rai­son inter­na­tio­nale, réa­li­sée par P. New­man et J. Ken­wor­thy1, a livré des résul­tats signi­fi­ca­tifs. Ces deux cher­cheurs aus­tra­liens ont mon­tré que l’usage de l’automobile dans les agglo­mé­ra­tions est d’autant plus impor­tant que les den­si­tés urbaines sont faibles.

Ils ont éga­le­ment mis en évi­dence la cor­ré­la­tion entre den­si­té et consom­ma­tion d’énergie dans les trans­ports par habi­tant. La pré­ser­va­tion des res­sources éner­gé­tiques pas­se­rait ain­si par des formes urbaines plus com­pactes. À ce titre, les villes asia­tiques, telles que Tokyo ou Hong Kong, mais aus­si les villes euro­péennes, y com­pris Paris et Ber­lin, seraient moins dis­pen­dieuses en éner­gie que leurs homo­logues américaines.

Ces tra­vaux, por­tant sur 31 grandes villes mon­diales, à par­tir de don­nées agré­gées, ont influen­cé des poli­tiques de “ déve­lop­pe­ment durable ” dans les ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales, ONU, OCDE, Union euro­péenne, etc., ain­si que dans cer­tains pays, en par­ti­cu­lier d’Europe du Nord. Il est ain­si pré­co­ni­sé de pra­ti­quer un déve­lop­pe­ment urbain plus dense (et mixte), jugé seul garant d’une dépen­dance limi­tée envers l’automobile.

Nos tra­vaux sur les taux de moto­ri­sa­tion et sur les dépla­ce­ments ont confir­mé, à l’échelle de l’Île-de-France et sur une base désa­gré­gée, la rela­tion mise en évi­dence par P. New­man et J. Ken­wor­thy. Ain­si, à l’échelle régio­nale, la com­pa­rai­son des taux de moto­ri­sa­tion des ménages selon la den­si­té humaine nette (popu­la­tion plus emplois par hec­tare urbain), pour les 1 300 com­munes, est claire : plus les com­munes sont denses, moins les ménages sont motorisés.

On pour­rait pen­ser que le fac­teur de la dis­tance au centre de Paris est aus­si déter­mi­nant, voire plus, que la den­si­té pour expli­quer les écarts de taux de moto­ri­sa­tion. Il n’en est rien : les taux de moto­ri­sa­tion sont deux fois plus sen­sibles aux den­si­tés qu’à la dis­tance au centre de Paris. En effet, le cœf­fi­cient de cor­ré­la­tion du taux de moto­ri­sa­tion avec la den­si­té humaine nette (r = – 0,62) est beau­coup plus fort que celui avec la dis­tance au centre de Paris (r = + 0,31). Il existe donc un “ effet den­si­té ” (qui reste à croi­ser avec la com­po­si­tion socio-éco­no­mique de la population).

Les taux de moto­ri­sa­tion sont infé­rieurs à une voi­ture par ménage uni­que­ment à Paris et dans les com­munes de la proche ban­lieue2. À l’opposé, les 673 com­munes rurales de la région (370 000 habi­tants) ont 1,31 voi­ture par ménage. La dif­fé­rence entre ces sec­teurs est atté­nuée, même si elle reste vraie, si l’on observe le taux de moto­ri­sa­tion par habi­tant (on sait que les ménages sont plus petits à Paris qu’ailleurs) : on compte 0,27 voi­ture par habi­tant à Paris, contre 0,45 dans les com­munes rurales.

Entre ces deux extrêmes, on trouve tout un spectre de taux de moto­ri­sa­tion. Les carac­té­ris­tiques com­mu­nales, à la fois géo­gra­phiques, mor­pho­lo­giques, socioé­co­no­miques, etc., peuvent faire varier consi­dé­ra­ble­ment les taux de moto­ri­sa­tion, même pour une den­si­té iden­tique. L’éloignement de Paris, les dis­tances rela­ti­ve­ment longues entre ori­gines et des­ti­na­tions de dépla­ce­ments, la faible des­serte en trans­ports en com­mun et la faci­li­té de cir­cu­la­tion auto­mo­bile et de sta­tion­ne­ment rendent l’automobile par­ti­cu­liè­re­ment pra­tique dans les sec­teurs les moins den­sé­ment bâtis ; elle y est même ren­due qua­si obli­ga­toire. La situa­tion est tota­le­ment inverse dans les sec­teurs les plus denses, où la pos­ses­sion et l’usage de l’automobile sont très contraints (coûts et rare­té du sta­tion­ne­ment, conges­tion, etc.), alors que les trans­ports en com­mun sont attractifs.

Le taux de mono-moto­ri­sa­tion est peu variable, quel que soit le sec­teur ; il y a par­tout pra­ti­que­ment la moi­tié des ménages qui pos­sèdent une seule voi­ture, sauf à Paris où cette part est de 40 %. Les varia­tions du taux de moto­ri­sa­tion viennent alors des parts res­pec­tives de non-moto­ri­sa­tion et de mul­ti-moto­ri­sa­tion, qui témoignent l’une d’une dépen­dance aux trans­ports col­lec­tifs et à la marche, l’autre à l’automobile. On observe ain­si que la den­si­té est davan­tage cor­ré­lée à la non-moto­ri­sa­tion (r = + 0,71) qu’au taux de moto­ri­sa­tion moyen : ceci confirme que la den­si­té offre la pos­si­bi­li­té de se pas­ser de voiture.

La part des ménages non-moto­ri­sés connaît pra­ti­que­ment un écart de 1 à 6 entre les den­si­tés les plus faibles et les den­si­tés les plus fortes, à nombre d’habitants et d’emplois équivalents.

Les voitures se desserrent plus vite que les habitants

La loca­li­sa­tion du déve­lop­pe­ment urbain et sa den­si­té prennent une res­pon­sa­bi­li­té dans le taux de moto­ri­sa­tion. Il est donc inté­res­sant de mesu­rer les ten­dances récentes de la répar­ti­tion spa­tiale de la popu­la­tion, en termes de densités.

Nous avons obser­vé une crois­sance rapide des com­munes dans les tranches de den­si­tés les plus faibles. À l’inverse, les tranches de plus forte den­si­té (Paris et la très proche cou­ronne) n’ont pas connu de varia­tion signi­fi­ca­tive de leur population.

La crois­sance plus rapide de popu­la­tion dans les com­munes peu denses se tra­duit néces­sai­re­ment par une pré­sence accen­tuée de voi­tures dans ces com­munes, puisqu’on a vu que leurs taux de moto­ri­sa­tion sont plus éle­vés qu’ailleurs.

Les dépla­ce­ments effec­tifs et leurs répar­ti­tions modales, entre 1976 et 1991, viennent confir­mer cette ten­dance. La mobi­li­té indi­vi­duelle du Fran­ci­lien moyen a évo­lué ain­si (d’après l’enquête glo­bale Trans­port de 1991 (EGT), trai­te­ment INRETS) :
– dis­tance totale parcourue/personne/ jour : + 17 %,
– temps de déplacement/personne/ jour : – 5 %,
– dis­tance par­cou­rue en voiture/personne (conducteur)/jour : + 36 %.

Dans cette même période, la marche a vu sa part modale dimi­nuer de 11 % sur le nombre de dépla­ce­ments. De telles ten­dances régio­nales, net­te­ment défa­vo­rables aux modes de “ cir­cu­la­tion douce ”, révé­lant un rôle crois­sant de l’automobile, sont l’aboutissement de pro­ces­sus com­plexes, mêlant les condi­tions du déve­lop­pe­ment urbain évo­quées ci-des­sus à des ten­dances socio-éco­no­miques mul­tiples. La res­pon­sa­bi­li­té prise par les den­si­tés doit être mino­rée, mais elle est clai­re­ment vérifiée.

Nous avons en effet cal­cu­lé que les indi­vi­dus qui résident dans les com­munes de den­si­tés humaines nettes les plus faibles par­courent quo­ti­dien­ne­ment des dis­tances 2,3 fois plus grandes que ceux qui résident en forte den­si­té : 35 km par jour contre 15. La part modale de l’automobile est beau­coup plus éle­vée dans le pre­mier cas que dans le deuxième.

La sépa­ra­tion des fonc­tions dans le tis­su urbain, corol­laire des exten­sions de faible den­si­té, est éga­le­ment res­pon­sable de la place accrue de l’automobile dans les dépla­ce­ments. La des­serte en trans­ports en com­mun de zones uni-fonc­tion­nelles (parcs d’activités, par exemple) ne sera jamais suf­fi­sante pour être attrac­tive vis-àvis de l’automobile. Or, une large part des urba­ni­sa­tions récentes consiste en des délo­ca­li­sa­tions d’équipements ou de lieux d’activités autre­fois loca­li­sés dans des sec­teurs plus denses et mieux des­ser­vis en trans­ports en commun.

Ces nou­velles loca­li­sa­tions sont une concur­rence à celles qui res­tent en centre-ville. Les créa­tions de com­plexes de ciné­mas péri­phé­riques, après celles des centres com­mer­ciaux, contri­buent à ren­for­cer la place de l’automobile dans les agglo­mé­ra­tions : leur acces­si­bi­li­té est bien meilleure pour les per­sonnes moto­ri­sées que pour les autres. C’est donc un urba­nisme qui exclut les per­sonnes non-moto­ri­sées. La dis­per­sion dans l’espace des fonc­tions (com­merce, ser­vices, emploi…), qui main­te­naient un centre-ville, et l’étalement urbain peu dense se com­binent alors pour expli­quer le déve­lop­pe­ment de l’usage de l’automobile.

La “durabilité environnementale”

La rela­tion inverse entre den­si­té et place de la voi­ture vient d’être confir­mée. On peut alors tirer des conclu­sions quant à l’impact éco­lo­gique de la mobi­li­té selon le contexte de densité.

L’automobile est beau­coup plus créa­trice de nui­sances par per­sonne trans­por­tée que les trans­ports en com­mun, cha­cun le sait. Ce constat peut être fait dans des domaines variés (bruit, pol­lu­tions, consom­ma­tion éner­gé­tique, occu­pa­tion de l’espace, etc.), et pour des échelles spa­tio-tem­po­relles mul­tiples (de l’impact local de très court terme à l’impact mon­dial de très long terme). On peut faire un bilan éco­lo­gique de la mobi­li­té selon la densité.

Nous avons mesu­ré l’écart des valeurs cor­res­pon­dant aux tranches de den­si­tés (popu­la­tion plus emploi par hec­tare urbain) mini­males et maxi­males, pour cha­cun des cri­tères ci-des­sous concer­nant les prin­ci­paux indi­ca­teurs de pol­lu­tion occa­sion­nés par les dépla­ce­ments (INRETS et Dense Cité : C. Gal­lez et V. Fou­chier, résul­tats d’étape) :

– dis­tance par­cou­rue x 2,3
– consom­ma­tion éner­gé­tique x 3,2
– CO2 x 4,4
– CO x 4,4
– hydro­car­bures x 4,2
– NOx x 6,0
– par­ti­cules en sus­pen­sion x 2,7

À la lec­ture de ces chiffres, on ne peut pas dire que les den­si­tés n’ont pas d’impact éco­lo­gique, en matière de trans­port… Les dis­tances par­cou­rues quo­ti­dien­ne­ment par indi­vi­du varient d’un fac­teur 2,3 entre la tranche de den­si­té la plus faible et la tranche de den­si­té la plus forte, on l’a déjà dit. Mais les parts modales, ain­si que les vitesses de dépla­ce­ment, étant de sur­croît dif­fé­rentes selon la den­si­té, on mesure que les consom­ma­tions éner­gé­tiques (bud­get éner­gie­trans­port) et les émis­sions de pol­luants varient dans des pro­por­tions beau­coup plus impor­tantes. Le résul­tat est que plus la den­si­té de la com­mune de rési­dence est forte, moins l’individu porte atteinte à l’environnement par ses dépla­ce­ments (et ce quel que soit le cri­tère de den­si­té uti­li­sé). Les dif­fé­rences dans les émis­sions de pol­luants sont essen­tiel­le­ment dues à la part modale domi­nante de l’automobile.

Certes la ville dense pro­duit moins de pol­lu­tion par indi­vi­du en dépla­ce­ment, mais la concen­tra­tion d’un grand nombre d’individus dans un espace limi­té se tra­duit par une concen­tra­tion des nuisances.

En effet, nous pou­vons mon­trer que les taux de moto­ri­sa­tion faibles dans le centre de l’agglomération pari­sienne n’empêchent pas une forte den­si­té de voi­tures, beau­coup plus forte que dans les autres sec­teurs de la région. Les sources de nui­sances sont donc concen­trées. Les per­sonnes direc­te­ment expo­sées à ces nui­sances sont éga­le­ment plus nom­breuses. La ville dense est donc moins pol­luante, mais plus pol­luée que sa péri­phé­rie peu dense.

Ce bilan éco­lo­gique est sou­vent rela­ti­vi­sé, voire nié, en par­ti­cu­lier dans les milieux “ pro-rou­tiers ”, avec des argu­ments par­fois dis­cu­tables. On lui oppose un bilan éco­no­mique (la voi­ture rap­por­te­rait à la col­lec­ti­vi­té plus qu’elle ne lui coûte), fonc­tion­nel (l’accessibilité auto­mo­bile serait plus effi­cace que l’accessibilité en trans­ports col­lec­tifs), tech­nique (le pro­grès devrait éli­mi­ner les nui­sances dans un ave­nir proche), idéo­lo­gique (“ c’est ce que veulent les gens ”), ou “ éco­lo scep­tique ” (on n’est pas cer­tain des consé­quences de l’automobile, ni sur l’effet de serre, ni sur les atteintes à la san­té, ni sur l’incapacité d’adaptation à la dis­pa­ri­tion des res­sources non renouvelables).

Cela explique que les options de déve­lop­pe­ment urbain peuvent prendre des direc­tions oppo­sées, en par­ti­cu­lier dans la manière de com­bi­ner urba­nisme et transport.

Deux options différentes de combiner transports et densités

Aujourd’hui, la tech­nique nous offre un choix pour lequel aucune déci­sion consen­suelle et expli­cite n’est prise : sou­haite-t-on étendre les villes, au risque de rompre les liens de proxi­mi­té phy­sique, au béné­fice d’une mobi­li­té accrue (en auto­mo­bile) et de télé-actions plus nom­breuses, ou sou­haite-t-on den­si­fier les villes pour valo­ri­ser les cen­tra­li­tés et les proxi­mi­tés, et auto­ri­ser un usage accru des trans­ports en com­mun et des modes doux ?

Une grande agglo­mé­ra­tion, telle que l’agglomération pari­sienne, ne peut pas être consi­dé­rée comme un tout homo­gène, dont le déve­lop­pe­ment dans les vingt-cinq pro­chaines années se fera par homo­thé­tie. L’action publique peut faire en sorte de favo­ri­ser cer­tains sec­teurs pour en accé­lé­rer le déve­lop­pe­ment aux dépens d’autres sec­teurs, dans la pers­pec­tive de répondre à quelques objec­tifs prioritaires.

C’est la défi­ni­tion de ces objec­tifs qui déter­mine les grandes orien­ta­tions de stra­té­gie urbaine. Or, les poli­tiques dites de déve­lop­pe­ment durable mises en oeuvre dans plu­sieurs pays, évo­quées plus haut, ne se fixent pas les mêmes prio­ri­tés que le sché­ma direc­teur de la région d’Île-de-France. Quelles sont les différences ?

L’option du développement durable : l’urbanisme contre l’automobile ?

Influen­cées par les conclu­sions de P. New­man et J. Ken­wor­thy, reprises ensuite par l’Union euro­péenne, les auto­ri­tés publiques locales et natio­nales bri­tan­niques, hol­lan­daises, nor­vé­giennes, etc., ont mis en place des poli­tiques urbaines visant à limi­ter la mobi­li­té auto­mo­bile. Elles ont ain­si défi­ni comme objec­tif prio­ri­taire de la pla­ni­fi­ca­tion une cer­taine den­si­fi­ca­tion des tis­sus urbains, sup­po­sée évi­ter une bana­li­sa­tion exces­sive de l’automobile et donc une large part des nui­sances en ville et au-delà.

NOMBRE DE VOITURES PAR HABITANT SELON LA TRANCHE DE DENSITÉ HUMAINE NETTE COMMUNALE EN ÎLE-DE-FRANCE
* Les tranches sont indi­quées par leur den­si­té consolidée.

Le Livre vert sur l’environnement urbain de la CEE (1990) syn­thé­tise ces prin­cipes : “ Les stra­té­gies qui pré­co­nisent des affec­ta­tions mixtes et un déve­lop­pe­ment plus dense sont les plus aptes à rap­pro­cher les gens de leur lieu de tra­vail et des ser­vices néces­saires à leur vie quo­ti­dienne. La voi­ture pour­rait alors deve­nir un choix plus qu’une néces­si­té. ” La sépa­ra­tion des fonc­tions et les faibles den­si­tés sont très clai­re­ment dési­gnées comme res­pon­sables de la crois­sance de la mobi­li­té auto­mo­bile. Et la voi­ture est elle-même accu­sée de dégra­der l’environnement ; il ne faut donc pas en rendre l’usage qua­si obli­ga­toire par un déve­lop­pe­ment urbain inadapté.

Dans cet esprit, le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique a publié une direc­tive natio­nale, la Plan­ning Poli­cy Gui­dance n°13 (mars 1994) : celle-ci fixe l’objectif natio­nal de limi­ta­tion des dépla­ce­ments auto­mo­biles et indique qu’un urba­nisme dense et mixte autour des sta­tions de trans­ports publics per­met de l’atteindre. Les auto­ri­tés publiques de rangs infé­rieurs doivent res­pec­ter cette direc­tive. Il s’agit ici d’un prin­cipe et non d’actions concrètes de la part du gouvernement.

Aux Pays-Bas, en revanche, le gou­ver­ne­ment ne s’arrête pas aux prin­cipes géné­raux, mais orga­nise lui-même le déve­lop­pe­ment urbain selon des prin­cipes iden­tiques à ceux des Bri­tan­niques. Le plan d’aménagement du ter­ri­toire de 1991 ambi­tionne de dis­sua­der l’usage de l’automobile, en par­ti­cu­lier pour les dépla­ce­ments domi­cile- tra­vail. Plu­sieurs moyens sont mis en oeuvre pour atteindre cet objec­tif. Outre des mesures de régle­men­ta­tion du sta­tion­ne­ment, de péage urbain, une poli­tique de loca­li­sa­tion des “ géné­ra­teurs de dépla­ce­ments ” a été lan­cée : la poli­tique de l’ABC. Elle consiste à “ pla­cer la bonne entre­prise au bon endroit ”. Les dif­fé­rentes par­ties du ter­ri­toire sont clas­sées en trois caté­go­ries, en fonc­tion de leur accessibilité :

– pro­fil A : acti­vi­tés ter­tiaires ou équi­pe­ments ayant beau­coup d’employés ou atti­rant de nom­breux visi­teurs, dont la loca­li­sa­tion sera de type centre-ville, béné­fi­ciant de tous les trans­ports publics ;

– pro­fil B : acti­vi­tés atti­rant moins de per­sonnes, mais qui doivent res­ter acces­sibles par auto­mo­bile (pro­duc­tion, dis­tri­bu­tion), dont la loca­li­sa­tion devra com­bi­ner une double des­serte auto­mo­bile et trans­ports publics, plus loin des centres ;

– pro­fil C : acti­vi­tés dépen­dant uni­que­ment du trans­port rou­tier, dont la loca­li­sa­tion sera périphérique.

Une démarche par­te­na­riale a été enga­gée, non seule­ment avec la par­ti­ci­pa­tion de dif­fé­rents minis­tères, mais aus­si avec des acteurs pri­vés. C’est ain­si un ensemble de mesures conver­gentes qui doivent concou­rir à ce projet.

L’option du gain d’espace individuel : l’urbanisme avec l’automobile ?

Dans le cas du sché­ma direc­teur de la région d’Île-de-France (SDRIF), les objec­tifs sont sen­si­ble­ment dif­fé­rents de ceux du déve­lop­pe­ment durable. Ils reposent certes sur une com­bi­nai­son des poli­tiques de trans­ports et d’urbanisme, mais la fina­li­té recher­chée n’est pas la même.

L’objectif anti-voi­ture n’est pas mis en avant, ce qui consti­tue une dif­fé­rence fon­da­men­tale avec les poli­tiques de déve­lop­pe­ment durable que l’on vient de pré­sen­ter. D’autre part, le direc­teur régio­nal de l’équipement, res­pon­sable de l’application du SDRIF, Jean Pou­lit, consi­dère comme très posi­tif le fait que l’agglomération pari­sienne s’étende et que les den­si­tés dimi­nuent : “ Les rési­dents veulent plus d’espace pour vivre tout en pré­ser­vant la capa­ci­té d’accéder à la ville. Ils veulent gagner sur ces deux tableaux. Ce phé­no­mène majeur est irré­ver­sible. ”3

Par consé­quent, il est pré­vu d’urbaniser 44 000 hec­tares d’ici 2015, qui devront répondre à cette quête d’espace des indi­vi­dus et des entre­prises, esti­mée irré­pres­sible. Tout le fonc­tion­ne­ment de cette agglo­mé­ra­tion éten­due dépen­dra donc d’une acces­si­bi­li­té amé­lio­rée, en par­ti­cu­lier grâce à l’automobile pour les liai­sons ban­lieue-ban­lieue (puisque c’est là que l’on porte le développement).

Les par­ties du dis­cours du SDRIF sur les ambi­tions de den­si­fi­ca­tion et de déve­lop­pe­ment des trans­ports col­lec­tifs ne sont pas faci­le­ment com­pa­tibles avec cette option du “ gain d’espace individuel ”.

Le SDRIF annonce une volon­té de recon­quête de la proche cou­ronne, qui pour­rait être rap­pro­chée des prin­cipes du déve­lop­pe­ment durable. Elle concerne prin­ci­pa­le­ment les sec­teurs dési­gnés comme sites stra­té­giques ; elle doit d’une part requa­li­fier des espaces en déshé­rence, d’autre part com­pen­ser la déden­si­fi­ca­tion des autres sec­teurs. En fait, la recon­quête de la proche cou­ronne est une den­si­fi­ca­tion par défaut. Mais la réa­li­sa­tion des ambi­tions affi­chées semble com­pro­mise par le manque de moyens finan­ciers affec­tés aux sec­teurs concer­nés : peu d’actions fon­cières anti­ci­pa­trices, des équipes coor­di­na­trices exsangues, peu d’autorité de l’État face aux col­lec­ti­vi­tés locales, etc. On voit mal com­ment les objec­tifs de den­si­fi­ca­tion pour­ront être atteints.

Face à cela, les contraintes fixées au déve­lop­pe­ment péri­phé­rique sont moins nom­breuses. Le SDRIF n’a pas obli­gé de den­si­té mini­male pour les nou­velles urba­ni­sa­tions, qui aurait per­mis de réduire en par­tie la dépen­dance à l’automobile. Les amé­na­geurs locaux ne portent aucune res­pon­sa­bi­li­té vis-à-vis des dépla­ce­ments (nui­sances et coûts) que génèrent leurs pro­jets urbains. Il n’est donc dit nulle part que l’allongement des dis­tances par­cou­rues en voi­ture est un pro­blème à résoudre par l’urbanisme.

Comparaison des deux scénarios

Cha­cune des deux logiques pré­sen­tées forme un tout cohé­rent et déve­loppe un cercle ver­tueux qui lui est propre. Les objec­tifs ini­tiaux n’étant pas les mêmes, les villes qui résul­te­raient théo­ri­que­ment de ces deux sché­mas seraient très différentes.

Que ce soit dans le scé­na­rio “ déve­lop­pe­ment durable ”, ou dans celui du “gain d’espace ”, une par­tie du rai­son­ne­ment est occul­tée, ou mini­mi­sée. Dans le pre­mier cas, l’impact éco­no­mique (créa­tion de richesse par l’accessibilité) n’est pas vrai­ment pris en compte. Plus exac­te­ment, on lui attri­bue une valeur moindre que la pré­ser­va­tion de l’environnement dans le long terme. Dans le second cas, le coût de l’impact éco­lo­gique est consi­dé­ré comme mineur par rap­port aux enjeux éco­no­miques de l’accroissement de la mobi­li­té auto­mo­bile : les coûts de répa­ra­tion sont négli­geables en regard des béné­fices de la mobi­li­té (mais cer­tains coûts impor­tants ne sont pas pris en compte).

Le rai­son­ne­ment du déve­lop­pe­ment durable sup­pose d’une part que l’augmentation de den­si­té aura un impact signi­fi­ca­tif sur l’usage de l’automobile, et d’autre part que les éco­no­mies d’énergie et les pol­lu­tions évi­tées sont suf­fi­santes pour jus­ti­fier la densification.

Le rai­son­ne­ment du gain d’espace sup­pose quant à lui que la consom­ma­tion d’espaces natu­rels par l’urbanisation n’est pas un pro­blème majeur, que la tech­no­lo­gie sait résoudre la plu­part des nui­sances de l’automobile et que l’économique prime l’écologique.

Il n’y a sans doute pas de véri­té simple. Une poli­tique de com­pro­mis entre l’option du déve­lop­pe­ment durable et celle du gain d’espace serait-elle garante d’une sécu­ri­té pour le long terme ?

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1. Peter NEWMAN et Jef­frey KENWORTHY, Cities and auto­mo­bile depen­dance : an inter­na­tio­nal sour­ce­book. Alder­shot : Gower, 1989, 388 p.
2. Vincent FOUCHIER, “ Quel trans­port, pour quelle ville ? ”, in Urba­nisme, n° 289, juillet-août 1996, p. 66–74.
3. “ Deux logiques d’aménagement s’affrontent ”, in L’Environnement Maga­zine, n° 1530, sep­tembre 1994, p. 24–31.

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