La politique des ressources humaines de la marine
Le contexte
La population active va vieillir, puis diminuer, au fur et à mesure que les générations franchiront l’âge de cessation d’activité, alors qu’entreront dans la vie active des générations moins nombreuses. Au cours des vingt-cinq dernières années le nombre de personnes ayant l’âge de la retraite a augmenté de 45 millions dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), mais dans le même temps la population d’âge actif s’est accrue de 120 millions. Le vieillissement démographique n’a par conséquent jusqu’ici posé aucun problème économique ou social. La situation va changer radicalement dans les vingt-cinq prochaines années. Le nombre de personnes en âge d’être à la retraite va croître de 70 millions, mais celui des actifs n’augmentera que de 5 millions. Le choc démographique qui résultera des départs à la retraite massifs des générations de baby-boomers, conjugués au non-renouvellement des générations, modifiera le marché de l’emploi.
Le recrutement et la fidélisation vont devenir les premiers enjeux stratégiques pour les entreprises. La concurrence dans ce domaine sera forte. Et nous la subirons en interne, au sein de la Fonction publique, où elle fera rage également. D’autant plus que la société évolue également dans d’autres domaines. Les contraintes, de tout ordre, sont moins acceptées alors que s’accroît l’exigence de lisibilité sur l’avenir. Dans le même temps, individualistes mais assistés, les individus sont tributaires d’un accompagnement social plus indispensable qu’autrefois.
Nos recrues ne s’engageront pas moins fermement qu’auparavant. Elles s’engageront en revanche davantage en vertu d’intérêts évalués et comparés. La motivation individuelle sera remise en question au gré des phases du parcours professionnel et des étapes de la sélection. Cette motivation deviendra d’autant plus variable que les mentalités et les évolutions sociologiques ne seront pas favorables à l’acceptation spontanée des caractéristiques réputées contraignantes du métier militaire.
L’attrait de la Marine devra être sans cesse mesuré. Elle devra mettre en évidence ce qui constitue son attractivité. Les jeunes générations sont bien informées et moins prêtes à accepter des contraintes dont la nécessité n’apparaît pas évidente. Elles savent distinguer le discours de la réalisation effective, et mesurent leur adhésion dès lors que l’écart se creuse entre ces deux réalités.
Les défis
Dans ce contexte, la politique de ressources humaines de la marine se décline dans quatre actions interdépendantes : attirer, dynamiser, valoriser et, surtout, fidéliser. L’objectif central de fidélisation et l’objectif de base de recrutement se renforcent mutuellement. Ils ne peuvent être atteints sans la dynamisation des carrières ni la valorisation des responsabilités. Ces actions concernent le court, le moyen et le long terme. Elles sont exercées sur toute la chaîne de ressources humaines et par tous. Il s’agit de faire en sorte que la marine dispose de professionnels motivés, heureux dans leur emploi et leur environnement, aptes aux missions qu’elle doit remplir. Recrutement, formation et gestion, les principales tâches de la » fonction » de ressources humaines doivent le prendre en compte.
Recrutement
La Défense doit recruter chaque année 5 % d’une classe d’âge de jeunes Français.
Remise de décorations sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. MARINE NATIONALE/MAJOR FROMENTIN
Pour y parvenir, en tenant compte du taux de féminisation observé et d’un taux de sélection satisfaisant (1÷3), il faut qu’un garçon sur cinq demande un engagement dans les armées. C’est un défi considérable. Face à la guerre du recrutement que, quelle que soit la situation économique, la situation démographique va imposer il faudra bien séduire, et tenir les promesses. Toutes les » entreprises » : armées, administrations publiques, grandes compagnies ou PME devront avoir une véritable politique de ressources humaines et une communication performante, en interne comme en externe, pour l’accompagner : comment être un employeur de référence aujourd’hui ?
Comment créer un lien entre les salariés-candidats et l’entreprise » Marine » en vue d’anticiper la » guerre des talents » ? En quoi la » marque employeur » » Marine nationale » permet-elle de passer du » concept d’appartenance » à la notion de » fierté d’adhésion » ? Car » Marine nationale » est bien une marque, véritablement créatrice de lien » salarié-candidat – entreprise Marine « .
La notion de fierté d’adhésion est incontestable, et c’est à ce titre que la Marine nationale peut être considérée comme une marque qui véhicule des valeurs. Jusqu’à présent elle a su en profiter. A contrario, la déception serait plus grande encore si les attentes n’étaient satisfaites.
Formation
De son côté, la formation vise ensuite à développer les compétences des individus afin qu’ils puissent tenir au mieux les postes qui leur seront confiés. Allier la performance et la fiabilité des systèmes de combat et des équipements avec la compétence et la motivation du personnel constitue la meilleure garantie que les missions de la marine seront parfaitement accomplies. Souvent envisagée comme un atout au moment du recrutement, la formation contribue par ailleurs à l’attractivité de la marine ; force d’accompagnement à toutes les étapes clés du parcours dans l’institution, elle aide à la dynamisation et à la fidélisation des marins ; enfin, capitalisée dans la durée et ajoutée à l’expérience, elle constitue la valorisation de l’individu et son meilleur viatique pour, s’il le faut, un retour réussi à la vie civile.
Mais former à l’emploi est moins simple qu’autrefois parce que le métier évolue sous la pression d’un grand nombre de facteurs souvent difficiles à maîtriser et interagissant parfois à des rythmes très différents : jeu des relations internationales, multiplicité des menaces, complexité des stratégies et des alliances, poids du progrès technologique, influences sociétales, contraintes budgétaires… Il faut donc ajuster les programmes d’enseignement pour ouvrir les esprits à ces réalités mouvantes.
Pour la formation initiale, il faudra toujours inculquer la culture Marine (connaissance de l’institution, de son éthique et de ses valeurs, des devoirs et des comportements qu’elle impose) et nourrir notre identité culturelle afin d’accueillir les engagés dans leur nouveau milieu professionnel, de leur donner des repères qui faciliteront leur intégration et de les ouvrir, au contact de la mer, aux exigences du métier de marin. Qu’il s’agisse des futurs officiers ou des jeunes engagés, il convient de développer et d’entretenir la solidarité et l’esprit d’équipage, c’est-à-dire le sens et le goût de l’œuvre accomplie en commun.
Il faudra ensuite centrer la formation humaine sur le leadership et inculquer tout au long des cursus pour officiers et officiers mariniers un nouveau mode managérial. Il s’agit autant de préparer le personnel aux exigences du commandement, que de lui apprendre à gérer les situations du quotidien de manière pratique, à commencer par les relations interpersonnelles dans le travail. Il faut veiller à la cohérence d’ensemble de cet état d’esprit et de ces pratiques.
Gestion
La gestion, enfin, a pour première tâche d’affecter le personnel de la marine, pour que cette dernière fonctionne et que ses missions soient accomplies. Mais elle doit, elle aussi, avoir le souci constant d’œuvrer pour la fidélisation des marins qui passe par la réussite de leur intégration, une carrière dynamisée (harmonie entre formation et action) et valorisée (leadership, promotion interne, validation des acquis de l’expérience…). Il y a une » fidélisation globale » qui s’entretient à chaque étape de la carrière, même si certaines de ces étapes plus critiques encore requièrent des processus particuliers. C’est à la politique de gestion de prendre tout cela en compte, dans une logique de parcours, de compétences et de performance.
Le parcours du marin doit ainsi d’abord être centré sur l’action, cœur du métier, qui doit être présente dans les cursus. Il s’agit, pour la gestion, d’équilibrer dans les cursus la formation, nécessaire, et l’action, véritable raison d’être du métier, motivante, et donc » fidélisante « . Les carrières sont en même temps de véritables parcours professionnels où se forge une compétence, où cette compétence est mise à profit au sein d’équipes, où elle est reconnue par l’avancement, l’octroi de responsabilités gratifiantes et la promotion interne. Il faut que notre système de gestion sache, pour les affecter, reconnaître la compétence des individus sans se soucier forcément de leur grade ou de leur parcours professionnel.
Entraînement des commandos de marine, assaut d’un bâtiment. MARINE NATIONALE/SECOND-MAÎTRE HAUW
La gestion individuelle des compétences est indispensable. Elle est au service de la bonne utilisation de chacun, et ainsi de ses satisfactions professionnelles. Elle préparera en outre la gestion des compétences d’équipe.
Mais il y a aussi une logique de performance (celle de l’individu et celle du système) à développer. Il faut encourager la performance par la visibilité : tout marin doit savoir ce qu’on attend de lui, où l’on souhaite l’amener, les perspectives qui lui sont offertes et les attentes qu’il suscite. En d’autres termes, lui offrir de la visibilité sur son cursus, en fixant de grands rendez-vous (management par objectifs entre autres).
Il faut ainsi savoir reconnaître la performance, et pour cela mettre en œuvre de véritables pratiques de management privilégiant la mise en exergue d’objectifs précis, l’exercice de responsabilités, et l’encadrement… Dans un même mouvement, l’innovation, exigence du monde d’aujourd’hui et plus encore de celui de demain, ne peut éclore dans un environnement incapable d’assumer l’échec. Elle requiert le risque. Ceux qui apportent des idées innovantes, tout comme ceux qui les mettent en œuvre, ont besoin d’être protégés pendant les phases de transformation.
La marine évolue, et continuera à évoluer, en permanence. L’exigence est donc plus grande encore que par le passé. L’innovation, et ceux qui la conduisent, doivent être aidés, favorisés, protégés. L’échec est parfois nécessaire au succès. Les fautes doivent être sanctionnées sans états d’âme, mais le droit à l’erreur doit subsister.
Concilier enjeux de la marine et gestion des carrières, voilà bien le dilemme, et la noblesse, du métier de gestionnaire : à trop sacrifier la gestion des carrières, on ne pourrait répondre aux enjeux de la marine, la multiplication des insatisfactions individuelles serait payée au prix fort par toute l’institution ; mais cela ne peut s’affranchir d’une acceptation par le plus grand nombre des valeurs fondamentales de service, de solidarité et d’autonomie que dans la marine la vie d’équipage développe.
Conclusion : les atouts de la marine
Il y a un vrai besoin de » sens » éprouvé aujourd’hui par la société. Par ses valeurs fondamentales, au service des missions qui lui sont confiées, notre institution peut offrir aux hommes et aux femmes qui la servent une réponse dans cette recherche. C’est un atout qu’il faut cultiver. Ce métier conserve sa part d’aventure que la vie d’équipage qui façonne les marins renforce encore. L’ancrage du marin dans son rôle de militaire, l’entretien d’une identité valorisante sont autant de points qui favorisent une culture d’entreprise susceptible de créer un sentiment de loyauté et d’appartenance dans un échange mutuellement profitable.
La marine est en outre porteuse du rêve et du projet européens, moyen d’une projection de puissance, d’une action humanitaire lointaine, apte depuis longtemps à travailler en ambiance interalliée. Le monde est toujours un monde de conflit qui donne du sens à son existence. Elle est toujours un symbole, l’expression de la puissance d’une nation, et peut-être demain de celle de l’Europe. C’est à la fois un défi supplémentaire, et un atout incontestable.