La politique industrielle de Georges Pompidou, un modèle à méditer
Dans les années 1960, le général de Gaulle et Georges Pompidou ont compris que la France doit s’équiper, s’industrialiser. Ils ont mesuré le retard accumulé et ils redoutent la concurrence allemande et japonaise.
Résultat, la décennie entre dans les trente glorieuses avec une expansion annuelle comprise entre 4 % et près de 7 % dans le contexte d’une ouverture économique internationale dont portent témoignage la mise en application accélérée du traité de Rome, la convertibilité du franc ou la suppression des contingentements.La richesse de la nation et le niveau de vie des Français sont liés au développement et à la modernisation de l’appareil de production.
Le début des années 1970 voit la croissance de la richesse française dépasser celle de l’Europe d’un point par an.
REPÈRES
C’est dans les années 1960 que le concept de politique industrielle apparaît en vraie grandeur. Pour Georges Pompidou comme pour le général de Gaulle, la France ne peut se résigner à la médiocrité. Étouffant dans l’étau d’une administration toute-puissante, elle est surtout sous-équipée.
Priorité doit donc être donnée à la croissance et au développement, comme le martèle Georges Pompidou. C’est le développement industriel, moteur des transformations économiques et sociales de la société, qui est privilégié.
Consolider le tissu industriel
De nombreuses fusions ont pour résultat la constitution des groupes puissants comme Saint-Gobain-Pont-à- Mousson, Thomson, CGE, Rhône- Poulenc, ATO, Creusot-Loire, Babcok- Five, SNIAS, Le Nickel, etc.
UN PRÉSIDENT QUI S’IMPLIQUE
Le chef de l’État essaie de faire comprendre la nécessité d’un effort important en faveur de l’exportation en convoquant symboliquement à Moscou une quinzaine de grands industriels à l’occasion d’un de ses déplacements en Union soviétique, afin de les pousser à accélérer la conclusion d’accords commerciaux avec ce pays. C’est la première fois que des chefs d’entreprises sont associés à un déplacement à l’étranger d’un chef d’État français.
Toutes ces concentrations à logique industrielle n’ont certes pas été initiées par le chef d’État. Mais elles ont certainement été favorisées par la prise de conscience qu’il a provoquée du poids insuffisant de nos plus importants groupes par rapport aux autres grandes puissances industrielles. Dans cet esprit, une bonne partie du CAC 40 lui doit son existence.
Parallèlement, la petite et la moyenne industries, source de créativité et de dynamisme et vivier de la grande, ne doivent pas être négligées, d’où la création de l’Institut du développement industriel, la nomination, pour la première fois, d’un secrétaire d’État à la Petite et à la Moyenne Industrie et les mesures qui sont prises en faveur de la natalité industrielle.
Développer la recherche
En matière d’innovation et de recherche, qui ne sont pas sans lien, on fait progresser de front recherche fondamentale et recherche appliquée.
SORTIR DU « 22 À ASNIÈRES »
Dans un domaine où la France avait accumulé un important retard, celui des télécommunications, les premières accélérations en matière d’investissements et les premières actions visant au renforcement de l’industrie française datent de 1967–1968.
La politique définie à l’époque, poursuivie et amplifiée avec ténacité pendant plusieurs années, a permis à un grand groupe français et à quelques autres de moindre taille de développer des techniques très modernes (les premiers commutateurs spatiaux et temporels datent du début des années 1970).
Car la science est un tout et ne peut se développer longtemps sans que la recherche fondamentale ait défriché les nombreuses avenues du savoir.
Le savant n’est pas seulement le serviteur de l’ingénieur, et la recherche fondamentale a un rôle plus ambitieux : elle répond à la soif de comprendre et est un des éléments du progrès général des connaissances, facteur de culture des sociétés.
D’où l’effort ambitieux de recherche qui est poursuivi et qui permet au budget global de recherche français rapporté au produit national brut de se rapprocher du seuil fatidique de 3 % du PIB visé par plusieurs grandes nations développées.
S’ouvrir au vent du large
S’agissant du commerce extérieur, la France avait, depuis une dizaine d’années, élargi ses frontières à l’Europe et commençait à s’ouvrir au vent du grand large. Sous l’impulsion du chef de l’État, elle privilégie l’exportation comme une technique de pointe via différentes mesures et surtout une sensibilisation des entreprises.
Cette politique offensive en faveur de l’implantation à l’étranger aura une incidence importante : elle permet, par rapport à la doctrine du général de Gaulle, une certaine libéralisation de la position adoptée en matière d’investissements étrangers en France puisque l’offensive est privilégiée par rapport à la défensive.C’est de cette époque également que date l’idée d’encourager l’implantation à l’étranger, qu’elle soit commerciale ou industrielle, pour pérenniser le résultat des efforts commerciaux.
Diversifier les entreprises
Assurer l’indépendance énergétique
de la France. © FOTOLIA
Dans le domaine sectoriel, la prudence prévaut. Car le développement de la libre circulation des capitaux et des technologies conduisait à la conclusion qu’il n’existe pas de facteur déterminant de spécialisation entre pays développés d’une certaine dimension et qu’aucun secteur n’est hors de portée d’un pays comme la France.
C’est l’ensemble diversifié des entreprises qui engendre un tissu et un potentiel de formation sans lesquels un État n’aurait d’industrie qu’un placage. Il reste que certains des secteurs porteurs sont tout particulièrement encouragés.
Dans l’aéronautique, le spatial, le nucléaire ou l’informatique, le TGV, la France joue le rôle ingrat d’éclaireur de pointe afin, souvent, de montrer le chemin à l’Europe.
Indépendance énergétique
Dans le nucléaire civil, Georges Pompidou souhaitait se prémunir contre une situation de dépendance analogue à celle qu’on avait commencé à corriger dès le début des années 1960 pour le pétrole.
Qu’il s’agisse de notre rôle d’opérateur minier dans de nombreux pays, de la fabrication du combustible, de l’enrichissement de l’uranium, de la fabrication des centrales nucléaires pour lesquelles on fait en sorte que le champion français, Framatome, puisse se libérer de sa dépendance technique à l’égard de son bailleur de licence américain grâce à l’appui d’EDF, enfin du retraitement du combustible effectué dans une usine opérationnelle de dimension mondiale, les leçons de notre dépendance pétrolière sont tirées au début des années 1970.
Remplacer la Caravelle
Dans le domaine aéronautique, après bien des ratés, les industries britannique, française et allemande s’associent pour étudier, de 1968 à 1970, un successeur au Boeing 727 et surtout à la Caravelle et au Trident. C’est l’Airbus, au financement duquel la Grande-Bretagne refuse en définitive de participer, bien que l’aile de l’appareil ait été confiée à une firme britannique.
C’est en 1971 qu’un accord est signé entre la Snecma et General Electric pour développer le réacteur d’avion CFM 56 qui équipe actuellement les Boeing 737 et de nombreux Airbus et dont le marché potentiel est aujourd’hui de plusieurs milliers d’appareils.
Naissance d’Ariane
Dans le spatial, les Européens se trouvent en 1972 au bord du vide. Leur programme de satellites se développe à peu près convenablement, mais ils n’ont plus de lanceurs après l’échec de la fusée Europa II.
RÉNOVER L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
En matière d’éducation, on fait en sorte que culture générale et préparation à la vie active cohabitent harmonieusement. C’est à cette époque que sont créés, en premier cycle de l’enseignement supérieur, les DUT et BTS.
Consciente de l’enjeu politique, la France définit les caractéristiques d’un lanceur rebaptisé Ariane, à partir d’un projet existant dans les cartons du CNES (LIIIS), qui doit permettre la mise sur orbite de tous les satellites utilitaires modernes.
Après avoir tergiversé pendant plusieurs mois, l’Europe décide définitivement de sa participation à Ariane lors du second semestre 1973 et, de façon plus symbolique, au programme américain post-Apollo.
Le même caractère volontaire inspire la politique d’aménagement du territoire, destinée à corriger les déséquilibres que la rapidité du développement économique a fait surgir.
La Datar tente de gommer le caractère excessif des mutations trop rapides et douloureuses qui auraient accompagné les effets d’une croissance économique inhumaine, donc précaire.
Une dimension humaniste
Dans l’intention de rendre l’industrie plus humaine, le chef de l’État crée en 1971, pour la première fois, un ministère de l’Environnement en France. C’est à sa demande qu’est favorisé le développement de l’actionnariat populaire, dans le secteur public tout d’abord, puis dans le secteur privé dès que l’ordonnance de 1967 sur l’intéressement est entrée dans les moeurs.
L’un des devoirs de la politique industrielle est aussi de protéger ceux que son expansion laisse sur le bas-côté de la route : travailleurs sans qualification, personnes âgées, personnes handicapées, etc. Les relations contractuelles entre syndicats et patronat sont fortement encouragées, au besoin sous la pression des pouvoirs publics, pression dont il prend l’initiative en 1967.
Effet d’entraînement
Le pouvoir d’incantation des quelques grands principes de la politique du président de la République – il faut que la France soit dotée d’une industrie digne d’elle, capable d’exporter, de s’implanter à l’étranger, bref de témoigner de la vitalité de notre économie et d’appuyer culture française et politique étrangère – finit par porter ses fruits.
En 1973, de nombreux industriels se sentent détenteurs d’une parcelle de la souveraineté économique française dès lors qu’ils se battent dans le cadre de la guerre économique mondiale.
Pour Georges Pompidou, le rôle de l’État était de favoriser le développement de l’esprit d’entreprise et de créer un environnement dans lequel s’exerceraient librement les initiatives. Entre les tenants de l’économie lib&eac*ute;rale et ceux du planning rigide, il prit position pour la création d’un cadre économique libéral, favorisant, grâce à des mesures macroéconomiques, l’efficacité et l’expansion des entreprises.
La France avait délibérément choisi de jouer le jeu de la concurrence internationale. Si l’on peut baptiser colbertisme une double attitude combinant mobilisation et stimulation interne et une certaine dose de protectionnisme, seule la première s’applique à Georges Pompidou tant il était conscient des effets bénéfiques de la compétition internationale.
Le réacteur CFM 56, symbole d’une coopération franco-américaine durable. © FOTOLIA
DES RÉSULTATS BRILLANTS
Conséquence de la mobilisation, le niveau de vie moyen progresse de 25 %, record mondial, au Japon près. Il rattrape celui de l’Allemagne et dépasse d’un quart celui de la Grande-Bretagne qui était, dix ans plus tôt, supérieur de 10 % au nôtre. Les exportations françaises doublent presque. La France se situe désormais à la troisième place dans le commerce mondial, après les États-Unis et l’Allemagne et à égalité avec le Japon, mais devant la Grande-Bretagne.
Quant à l’inflation vers laquelle on s’achemine en fin de période (environ 6 %), elle reste en deçà de celle constatée en moyenne dans les grands pays développés, jusqu’en 1973–1974. Pour la France, les dix dernières années des trente glorieuses furent les dix prestigieuses.
Le refus de la facilité
Voilà ce que fut la politique industrielle de Georges Pompidou. Ce qu’elle ne fut pas : pointilliste, car l’État intervint peu dans la politique industrielle des entreprises. Le meccano industriel n’était pas, contrairement à ce que l’on croit aujourd’hui, la tasse de thé du chef de l’État.
Elle ne fut pas non plus un placage de mesures sur le corps social des entreprises. C’est en profondeur, sur la durée, par de très nombreuses réformes prises à un rythme quasi mensuel pendant près de quatre années que le monde industriel fut encouragé, stimulé, réformé afin de porter haut les couleurs de la France.
Ouverture au monde et vision à long terme
Cette politique ne fut pas non plus nationaliste au sens étroit du terme. La plupart des grands projets furent lancés sur une base européenne, voire franco-américaine, s’agissant du réacteur d’avion CFM 56.
Elle ne fut pas limitée au rang de l’entreprise. L’accent s’est au contraire porté sur l’ensemble des acteurs de l’économie, qu’ils soient petits, moyens ou grands. Ce ne fut pas enfin une politique à court terme ni celle d’une classe sociale tant l’ensemble du personnel des entreprises devait y trouver un certain épanouissement.
S’en féliciter aujourd’hui est certainement licite, à condition d’en mesurer les motivations, l’étendue et la persévérance avec laquelle elle fut bâtie.
Et de lui faire correspondre notre nouvel environnement et le bon périmètre, qui est définitivement européen.