La population Démographie : l’Allemagne, colosse aux pieds d’argile
Au premier abord le plus peuplé des pays de l’Union européenne est très impressionnant. Avec 82 millions de citoyens l’Allemagne devance largement la Grande-Bretagne, la France et l’Italie qui n’atteignent pas 60 millions, elle dépasse de 4 millions la réunion des dix petits pays de l’Union.
Il suffit pourtant de regarder la « pyramide des âges » de la figure pour comprendre l’ambiguïté de la situation. Cette pyramide est plutôt une toupie, d’autant plus que la base s’est encore rétrécie depuis le premier janvier 1995, et si de nombreux Français à la mémoire longue et à la vue courte se réjouissent de voir les jeunes Allemands 35 % moins nombreux que leurs parents il faut qu’ils imaginent la situation dans vingt-cinq ou trente ans : si rien n’est fait une petite minorité d’actifs portera la charge d’une majorité de personnes âgées, charge qui inévitablement se reportera en partie sur les autres Européens.
Pyramide des âges de l’Allemagne au 1er janvier 1995
Cependant le plus grave n’est pas là. Considérez les commentaires de la pyramide : la moindre circonvolution de la moitié haute est expliquée tandis qu’il y a un silence total pour l’énorme trou d’en bas… Traumatisés par les abus de la démographie faits par les régimes précédents, en particulier le régime nazi, les Allemands sont passés d’un extrême à l’autre, il leur semble « politiquement incorrect » de commenter la situation de leur jeunesse et plus encore de s’en alarmer.
Cette vérité réprimée a les effets les plus néfastes. Avec une opinion désinformée les hommes politiques ne peuvent prendre à l’échelle nécessaire les mesures qui s’imposent… s’ils sont eux-mêmes au courant ! La plupart ne font pas la distinction indispensable entre politique sociale : aider les plus déshérités, et politique démographique : rétablir l’équilibre économique entre les sans enfant et les avec enfants d’une même profession afin que les jeunes couples puissent choisir d’avoir des enfants sans en être trop pénalisés.
Bien entendu il ne manque pas de docteurs Tant Mieux pour affirmer que tout cela n’est pas grave : « s’il le faut nous ferons venir des immigrés en nombre suffisant ». Mais, sauf pour les Aussiedler, Allemands de l’Europe orientale, ce discours est odieux aux oreilles des principaux intéressés lesquels ne vont pas affronter par plaisir les difficultés, les épreuves et les souffrances de toute émigration. Cela ne leur rappelle que trop le langage d’autrefois : « Si le travail est trop dur dans nos plantations des Amériques nous ferons venir de vigoureux Africains », devenu en clair aujourd’hui : « Si mettre au monde et élever des enfants est trop dur nous ferons venir de jeunes étrangers ». De là à soupçonner l’Europe de se réjouir en secret du sous-développement des pays pauvres qui lui facilite les choses il n’y a qu’un pas…
Il faut comprendre que le monde actuel est en plein bouleversement démographique. À la phase d’explosion que nous avons connue succède aujourd’hui un prodigieux coup de frein mondial : dans la plupart des nations la natalité descend à un rythme vertigineux et les prévisions des Nations unies sont sans cesse revues à la baisse1. C’est la fameuse « transition démographique » dont on a cru longtemps qu’elle aboutirait spontanément à un équilibre raisonnable entre une basse natalité et une basse mortalité avec une espérance de vie élevée, et dont on s’aperçoit maintenant qu’il n’en est rien : il est devenu très facile de ne pas avoir d’enfant alors qu’il est toujours aussi difficile qu’autrefois d’en avoir et la « pression démographique » tombe au voisinage de zéro.
Déjà la moitié des jeunes femmes du tiers-monde utilisent des moyens modernes de contraception et dans quasiment toutes les nations développées, mais aussi dans de nombreuses autres nations, l’effectif des « moins de vingt-cinq ans » est en diminution (300 000 par an en Allemagne, 100 000 en France). La croyance en un équilibre spontané n’est qu’un mythe et c’est désormais l’augmentation de l’espérance de vie qui est le principal facteur (temporaire) de l’augmentation du nombre des êtres humains.
Si, refusant de voir les choses en face, les hommes politiques se contentent de penser à leur prochaine réélection et de suivre leur électorat de plus en plus âgé, ils marginaliseront les jeunes chaque jour davantage en leur mettant toujours plus de charges sur le dos. Ceux-ci se verront dans l’incapacité d’élever des enfants ou même choisiront d’aller vivre sous des cieux plus cléments ce qui dans un cas comme dans l’autre ne fera que pousser au déséquilibre jeunes-vieux, situation typiquement instable, prélude à un effondrement massif. Bien entendu aucun immigré ne voudra partager une telle situation, il préférera s’établir dans un pays plus prometteur.
Ajoutons que ce qui vaut pour l’Allemagne aujourd’hui vaut aussi demain pour la France, l’Italie, l’Espagne, la Russie, la Chine et bien d’autres nations où la baisse de la natalité suit les mêmes voies à un décalage près dans le temps.
Entre l’explosion et l’effondrement la voie est étroite mais l’équilibre démographique de toutes les nations est très certainement l’une des conditions nécessaires de la paix. Il mérite d’être étudié et recherché avec les plus grands efforts et par la politique démographique volontariste la mieux appropriée.
L’humanité a besoin de tous les peuples qui la composent. Le peuple allemand est l’un des plus éminents, quand il sait se garder des excès, il ne doit pas se laisser mourir comme il le fait actuellement.
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1. C. Marchal « Le coup de frein démographique mondial », à paraître, Sciences, janvier 1998. (Publication de l’Association française pour l’avancement des sciences, tél. : 01.40.05.82.01.)
Sources : « SIBA Statistisches Jahrbuch » Statistisches Bundesamt 96−1−0178, 1996.
Population et Sociétés, mensuel de l’Institut national d’études démographiques.
Jérôme Guyon (94) « La question démographique allemande ». Rapport de stage d’option scientifique (1−7−1997).