haut potentiel coach

La « prison dorée » de ceux qui « réussissent »

Dossier : DouanceMagazine N°762 Février 2021
Par Loïc QUINTIN de KERCADIO (98)

Voi­ci un témoi­gnage double : à la fois d’un haut poten­tiel qui a réus­si à trou­ver son équi­libre et d’un coach qui a trou­vé les voies pour aider d’autres hauts poten­tiels à trou­ver leur voie.

Que devient un pro­fil « aty­pique », donc en dehors de la norme, quand cette même norme l’encourage et le valo­rise ? Reve­nons tout d’abord sur le terme aty­pique au sens du haut poten­tiel (HP). À la suite de nom­breuses lec­tures sur le sujet et de mon expé­rience sur le ter­rain, je défi­ni­rais le haut poten­tiel comme une per­sonne avec de très bons cap­teurs et une grande capa­ci­té de trai­te­ment mul­ti­ca­nal. J’identifie ces deux axes pour qu’un haut poten­tiel se déve­loppe. D’abord apprendre à faire confiance à ses cap­teurs, ses intui­tions et ses res­sen­tis. Ensuite élar­gir sa palette des trai­te­ments pos­sibles en en essayant de nou­veaux et en les ajus­tant si besoin est.

Réussir

Mes injonc­tions fami­liales ont tra­cé le che­min de ma pre­mière moi­tié de vie : « Les enfants, tra­vaillez bien à l’école et entrez dans une grosse boîte ! » Comme je ne savais pas quelle orien­ta­tion choi­sir, on m’a for­te­ment sug­gé­ré de suivre la voie scien­ti­fique. J’ai inté­gré l’X en 1998, effec­tué un stage en Cali­for­nie, puis me suis ins­tal­lé à Tou­louse pour mon école d’application. Après deux ans dans une PME d’informatique, je suis entré au Cnes, le Centre natio­nal d’études spa­tiales. Études, check. Grosse boîte, check. La plu­part des jeunes ne savent pas quoi faire plus tard, ni qui deve­nir. Alors ils s’accrochent aux modèles qu’on leur pro­pose : modèle fami­lial « je serai ingé­nieur, comme papa », ou socié­tal « ban­quier, pour gagner beau­coup d’argent ». Lorsqu’ils suivent la voie royale, un sys­tème de récom­penses les encou­rage à conti­nuer. On les féli­cite pour leurs bonnes notes à l’école, ils obtiennent des pro­mo­tions plus rapi­de­ment que leurs col­lègues, ils per­çoivent un meilleur salaire ou ils dirigent leur propre socié­té. Puis tout s’enchaîne : ils fondent une famille et achètent une belle mai­son à cré­dit. Tout leur réus­sit, et pourtant…

Tenir bon

Cer­tains sont plei­ne­ment satis­faits et heu­reux ain­si. Pour d’autres la souf­france, sem­blable en appa­rence à la crise de la qua­ran­taine, s’installe dou­ce­ment et ne cesse de croître. Manque de sens, ennui, conflits internes, sen­ti­ment d’être pris au piège, soli­tude, syn­drome de l’imposteur, culpa­bi­li­té (« j’ai pour­tant tout pour être heu­reux »), etc. Conscients des atro­ci­tés du monde, ils mini­misent leur souf­france. Pour les femmes, c’est sou­vent double peine : arri­vées à des postes à res­pon­sa­bi­li­tés, elles doivent mon­trer cette image de la femme forte, pour qui tout réus­sit, et presque… invul­né­rable ! Pour de nom­breux hauts poten­tiels, la pyra­mide de Mas­low est inver­sée ! La recherche de sens, d’accomplissement, passe avant tout le reste : les besoins pri­maires, l’appartenance sociale éga­le­ment et l’estime de soi, au syn­drome de l’imposteur près. Com­ment s’accomplir quand on ne se connaît pas vrai­ment ? À force de jouer un rôle qui ne nous convient pas (le faux self), notre corps s’use : stress, perte de moti­va­tion, épui­se­ment, burn-out, mala­die grave… Beau­coup de pro­fils aty­piques ont cette capa­ci­té d’encaisser et de sur­com­pen­ser, de tenir bon coûte que coûte. Alors com­ment les aider, puisque l’employeur (RH ou mana­ger) ne voit même pas qu’ils souffrent inté­rieu­re­ment ? Dans cer­tains cas, les amis, voire la famille, ne le voient pas non plus. « Il ne faut pas embê­ter les autres avec ses pro­blèmes ». S’ensuit un sen­ti­ment de grande solitude.

Oser changer

Je savais que je ne res­te­rais pas au Cnes toute ma car­rière. Je m’y sen­tais comme une Fer­ra­ri dans les embou­teillages. Envie d’autre chose, mais quoi ? Mul­ti­po­ten­tiel, j’avais l’embarras du choix. Pour m’aider à décou­vrir de nou­veaux métiers que je ne connais­sais pas, j’ai sui­vi un bilan de com­pé­tences, puis un coa­ching pour apprendre à lâcher prise. Il m’aura fal­lu trois années sup­plé­men­taires pour appré­hen­der mes peurs de quit­ter ma pri­son dorée et m’alléger de la pres­sion finan­cière de mon prêt immo­bi­lier. Chan­ger n’est pas facile, et per­sonne ne peut le faire à votre place. Sans aller jusqu’à la recon­ver­sion, on peut chan­ger ses per­cep­tions ou ses com­por­te­ments, pour chan­ger sa rela­tion aux autres (et à soi-même). La clé est d’évoluer vers notre nature pro­fonde. Pour cela, on peut com­men­cer par iden­ti­fier qui on est vrai­ment, faire tom­ber les masques et assu­mer plei­ne­ment son nou­veau soi.

Apprendre à se connaître

Un sala­rié d’un construc­teur aéro­nau­tique est venu me voir pour un coa­ching, conscient d’un déca­lage par rap­port à ses col­lègues. Sa demande était de « faire comme les autres pour boos­ter sa car­rière ». Lors de notre pre­mier échange, mes « antennes à hauts poten­tiels » se sont acti­vées et je lui ai répon­du : « Même si vous arri­vez à faire comme les autres en vous sur­adap­tant, j’ai l’impression que ça va tirer de plus en plus fort à l’intérieur de vous. Je vous pro­pose plu­tôt de décou­vrir com­ment vous fonc­tion­nez, puis d’apprendre à l’assumer et à com­po­ser avec les autres, tout en res­tant vous-même… » Sa réponse : « Ah oui, c’est pos­sible ? Ce serait encore mieux ! » Il existe de nom­breuses méthodes pour apprendre à se connaître : des lec­tures, les dis­cus­sions avec ses proches, les for­ma­tions sur les soft skills, les tests de per­son­na­li­té, le coa­ching, la thé­ra­pie, etc. Peu importe les méthodes que vous choi­si­rez tant qu’elles vous aident. Atten­tion cepen­dant aux biais cog­ni­tifs qui confir­me­ront ce que vous croyez être et qui rejet­te­ront ce que vous refu­sez de voir.

“Attention aux biais cognitifs qui confirmeront
ce que vous croyez être et qui rejetteront ce que vous refusez de voir.

S’assumer

Le che­min de la connais­sance de soi peut ren­con­trer des prises de conscience, par­fois dif­fi­ciles à inté­grer. Pre­nons l’exemple d’un pro­fil « fais plai­sir » qui s’efforce de nouer de bonnes rela­tions avec son entou­rage. Quand il apprend qu’il est en fait intro­ver­ti, tout son uni­vers s’effondre ! Il lui fau­dra apprendre à se don­ner du temps pour se res­sour­cer seul, et donc dire non aux sol­li­ci­ta­tions des autres. Autre exemple, une cliente haut poten­tiel avait du mal à prendre sa place et ne com­pre­nait pas pour­quoi. En une seule séance de coa­ching, nous avons iden­ti­fié son frein : elle avait « peur de sa puis­sance ». Elle pen­sait que, en expri­mant tout son poten­tiel, elle écra­se­rait les autres, donc elle s’autobridait incons­ciem­ment. En quelques dizaines de minutes sur le sujet, en iden­ti­fiant les risques réels et en lui don­nant la per­mis­sion d’essayer « pour voir », elle s’est libé­rée de ses chaînes. Depuis, elle s’affirme… tout en res­pec­tant ses valeurs humaines.

S’accomplir

J’ai plus sou­vent été confron­té à des dif­fi­cul­tés moti­va­tion­nelles, plu­tôt qu’à des dif­fi­cul­tés tech­niques. Mes mana­gers directs m’ont tou­jours féli­ci­té pour mes pro­duc­tions, au-delà des objec­tifs fixés. Beau­coup de signes de recon­nais­sance posi­tifs donc, mais ce n’était pas suf­fi­sant. Je cher­chais, sans trop le savoir, ma rai­son d’être, mon Iki­gai (concept japo­nais, lit­té­ra­le­ment « vie qui vaut la peine »). Depuis que j’ai osé prendre ma vie en main, je com­prends la signi­fi­ca­tion du verbe « s’accomplir » : être là, à la bonne place, au bon moment. Tout devient simple et les contraintes font place au plaisir.

Et vous, au plus pro­fond de vous, de quelle vie rêvez-vous ? 

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