La prospective entre sciences de la nature et sciences économiques
Les prodromes des prospectives radicalement pessimistes
Les prodromes des prospectives radicalement pessimistes
On peut les faire remonter au rapport du Club de Rome « The limits to growth » (1972)2. À noter que le modèle « World 3 » qui a fourni les principales données de ce rapport a été développé par une équipe de dix-sept chercheurs ne comprenant aucun économiste. Les économistes ont d’ailleurs rejeté ce travail, notamment parce qu’il n’intègre ni le niveau des prix ni les substitutions de technologies.
Indications méthodologiques
Si le futur implique des ruptures par rapport au passé, les méthodes économétriques et les fonctions de production deviennent inadaptées à l’étude du long terme, qui exige alors une représentation explicite des technologies et des processus pour étudier, par exemple, une transition énergétique : charbon et pétrole – énergies renouvelables – énergie nucléaire.
En matière de prospective (à long terme) scénarios et modélisation doivent être considérés comme complémentaires : les scénarios sont décrits à partir de résultats de modèles, mais les scénarios servent de cadrage aux modélisations.
La construction des modèles climatologiques comporte une double démarche. La dynamique de l’atmosphère est décrite à l’échelle des mailles constituant un découpage de base de l’atmosphère (échelle : quelques centaines de kilomètres) par des algorithmes tirés des équations de la mécanique des fluides. Les processus physiques d’échange avec l’atmosphère, qui se déroulent à des échelles inférieures à la maille du modèle, ne peuvent pas être calculés explicitement à partir de lois physiques : ils sont donc représentés par des jeux de paramètres à l’échelle de la maille, qui constituent une estimation statistique de l’effet climatique de chacun de ces processus physiques. Les paramétrisations sont à l’origine des principales incertitudes des modèles.
Enseignements de la paléoclimatologie
Elle fait apparaître des corrélations3 étroites, au long des millénaires, entre température de l’air et taux de gaz à effet de serre.
Elle confirme l’origine astronomique des cycles glaciaires et révèle (grâce à des carottages de glaces) que certaines des variations climatiques concomitantes ont été rapides.
Enseignement des modèles climatologiques
Si l’organisation à grande échelle du climat est bien modélisée, les représentations à petite échelle des phénomènes climatiques recèlent des approximations et des imperfections qui sont responsables de la dispersion et des incertitudes des prévisions en matière de changement climatique4.
Un des principaux résultats des travaux du GIEC est une prévision d’augmentation de la température moyenne à la surface du globe d’ici la fin du xxie siècle, assortie d’une fourchette assez large (2,5 à 6 degrés dans le troisième rapport – 1,1 à 6,4 degrés dans le quatrième). Cela résulte du cumul de deux types d’incertitude : les unes découlent des mécanismes physiques, les autres de la pluralité des scénarios envisagés, lesquels reflètent les comportements futurs de l’humanité.
La plupart des composantes du climat font habituellement l’objet de variations lentes, mais des variations brutales de certaines d’entre elles ne sont pas exclues (par exemple arrêt de la circulation thermohaline, fonte d’une partie des glaces de l’Antarctique, dégazage du permafrost). Les modèles utilisés dans l’expertise du GIEC ne prennent pas en compte de telles ruptures d’équilibre, qui font seulement l’objet de commentaires qualitatifs en aval.
Science, expertise et politique
La mission du GIEC exclut (en principe) tout ce qui pourrait être considéré comme une démarche prescriptive à l’égard des États (policy – prescriptive research).
Les pays émergents redoutent que les négociations internationales n’imposent des limites à leur essor économique (à peine amorcé). Le pôle leader de ce groupe est formé de quatre pays : Chine, Inde, Brésil et Afrique du Sud, qui rassemblent la moitié de la population mondiale.
Lutte contre le changement climatique ou adaptation ? Impact sur la compétition internationale
Le thème est récurrent et lors de la COP n° 10 (Buenos Aires, 2004) l’adaptation a été prise en considération comme une nouvelle priorité5.
Si certains pays prennent des mesures coercitives ou fiscales (quotas, taxes ou permis négociés) tendant à limiter leurs émissions, ils prennent le risque de distorsions de concurrence par rapport à d’autres pays qui consentiraient à leurs productions des conditions plus laxistes. Mais l’application de mesures compensatoires du type protectionniste (droits de douane) n’irait pas de soi aux yeux de l’OMC.
Aspects psychologiques et médiatiques
Les sociétés d’avant l’ère de la communication avaient fréquemment lié les aléas du temps qu’il fait avec des croyances collectives6. Aujourd’hui, les rapprochements souvent faits entre le réchauffement climatique et des considérations morales et politiques procèdent d’une démarche analogue : le changement climatique serait la version la plus récente des punitions divines sanctionnant les humains pour leurs mauvais agissements, et leur conversion à des préceptes écologiques serait le moyen pour eux de se racheter de ces fautes.
Les médias français traitent d’ailleurs volontiers le changement climatique en termes essentiellement catastrophistes, allant souvent au-delà des dires des scientifiques, sans véritable contenu informatif et en gommant toute approche probabiliste, ce qui semble traduire un état d’esprit analogue.
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1. Quelques compléments ou recoupements issus d’autres sources figurent en note.
2. On pourrait remonter beaucoup plus loin : en l’an de grâce 200, le théologien et moraliste TERTULLIEN écrivait déjà : « Nous sommes un poids pour le monde, les ressources suffisent à peine à combler nos besoins, lesquels exigent de grands efforts de notre part, sans compter les plaintes qui viennent de partout alors que la nature ne parvient déjà plus à nous nourrir » (cité par Cécile PHILIPPE, dans C’est trop tard pour la terre, J.-C. Lattès 2007).
3. Corrélation n’est pas causalité.
4. Cf. Hervé LE TREUT – Évolution climatique : les modèles et leurs limites – dossier CNRS 2005.
5. Alors qu’en 1998 l’Assemblée plénière du GIEC avait fait évoluer le mandat du Working group III dans le sens d’une polarisation sur le contrôle (la réduction) des émissions de gaz à effet de serre, au détriment des aspects économiques (adaptation) de ces émissions – cf. Björn LOMBORG – L’écologiste sceptique (chap. 24) Édition française de 2004 – Le Cherche-midi, éditeur.
6. Cf. LE ROY LADURIE – Histoire du climat depuis l’an mil – 1967