La prospérité viendra demain de l’économie locale
Dans cet ouvrage de 235 pages Jean de La Salle (JLS) met en relief des réalités importantes dont l’opinion publique et même l’opinion des économistes paraissent peu conscientes. Trois d’entre elles méritent particulièrement notre attention :
1) Les insatisfactions dominantes des Français, surtout ceux des villes, sont le manque d’espace et le défaut de convivialité
2) La proportion des emplois, réels et potentiels, menacés par la concurrence étrangère est faible.
3) L’argent n’a pas de valeur en soi : c’est un lubrifiant dont il ne faut pas se priver. Examinons ce que l’auteur nous dit sur ces trois thèmes :
1) JLS définit un indice de convivialité et un indice de dynamisme économique qu’il compare entre eux, région par région.
Dans la première il fait entrer la fécondité, la proportion des jeunes et des vieux, le coût du logement, et le taux de criminalité.
La deuxième comporte des ingrédients classiques : croissance du PIB, etc.
Il apparaît que l’échelle du dynamisme est grosso modo inversée par rapport à celle de la convivialité : l’Île-de- France première en dynamisme est dernière en convivialité. Et pourtant la population de province afflue vers l’Île-de- France…! C’est que l’indice de convivialité bâti par JLS est un indice de retraité : il ne comprend pas le premier facteur d’attractivité pour un actif, à savoir la capacité de la région à lui offrir un emploi à sa convenance.
De tout temps l’économie d’échange a nécessité la proximité, donc un certain entassement des êtres humains. Entassement qui par ailleurs favorise d’autres échanges : amicaux, culturels…
La démonstration de JLS aurait donc dû, pour être convaincante, invoquer une nouvelle forme de proximité apportée par les techniques de communication du XXIe siècle, et en pronostiquer la progression.
2) Pour montrer que toute région a ses chances dans le développement économique,
JLS observe justement que la grande majorité des échanges économiques se fait entre voisins de la même région ou du même pays : donc ces échanges ont joué à armes égales. La concurrence mondiale n’intervient pratiquement pas sur les services ni sur les biens difficilement transportables ou hors standard. À partir de cette constatation, JLS classe les régions françaises par degré de vulnérabilité à la concurrence étrangère. Son graphique fait apparaître que les régions les plus industrialisées sont les plus vulnérables alors que les régions dépourvues d’industries exportatrices – le record étant tenu par la Corse – seraient les plus maîtres de leur destin. Là aussi la démonstration de JLS va jusqu’au paradoxe et semble méconnaître la grande difficulté pour une région sans passé industriel, à se développer par ses propres forces. L’affirmation initiale n’en était pas moins juste et utile.
3) C’est sur le problème du financement du développement économique que JLS fait les propositions les plus neuves.
Il montre d’abord l’énormité des besoins vitaux qui ne sont pas satisfaits dans notre pays : logements exigus, alimentation douteuse, espace encombré, jeunes à l’abandon…, alors qu’il existe tout à côté des chômeurs inoccupés, des zones industrielles vides, et des équipements sous-employés… Il connaît l’objection qui l’attend : “ les acheteurs potentiels sont insolvables ”. Mais il estime que ce n’est pas une objection valable. Le Dr Schacht n’a‑t-il pas permis en 1933 à l’acheteur le plus insolvable d’Allemagne de se payer la plus grande provision d’armements du monde ? Pourquoi ne pas employer les mêmes moyens pour une plus juste cause ?
Certes JLS n’émet pas sa suggestion de “ monnaie gratuite ” en termes aussi simplistes. Mais il n’envisage pas moins une émission de 250 milliards de francs (30 milliards d’euros) pendant dix ans, sans écriture de débit en contrepartie. Outre qu’une telle opération transgresse toutes les régies financières françaises et européennes, ses conséquences prévisibles sur les plans économique, politique et social auraient mérité de plus longues réflexions que celles apportées par l’auteur.
L’ouvrage de notre camarade JLS a donc beaucoup de faiblesses liées à sa trop grande ambition. Mais il a le mérite de nous placer en face de certaines absurdités de notre économie : comment ne pas nous étonner, avec l’auteur, qu’au moment où le progrès technique multiplie par deux le temps disponible et par trois ou quatre l’espace accessible, nous utilisions si mal le temps libéré et nous profitions si peu de l’espace qui nous est offert ? Et comment ne pas mettre avec lui l’accent sur l’importance des petites entreprises pour le développement économique ? Voilà près de vingt ans qu’aux États-Unis le professeur Birch du MIT en a fait la découverte, et c’est en 1987 que, sur la base d’observations similaires en France, François Dalle et Jean Bounine-Cabalé l’ont confirmé dans leur ouvrage : Pour développer l’emploi (Masson).
Puissent ces avertissements répétés faire contrepoids au battage quotidien que nous subissons sur les “ géants de l’industrie ” et les “ n° 1 mondiaux ”, et susciter des mesures concrètes pour multiplier les créations de petites entreprises sur toute l’étendue de notre territoire.