La Querelle de l’école des femmes et La Femme du boulanger
De nos jours, la flexibilité des liens du mariage tend à réduire le nombre des cocus explicites. On peut y voir une manière de progrès, et un « acquis de la modernité », comme diraient les personnes de qualité. Mais on peut aussi déplorer cette avancée sociale, en ce qu’elle prive les dramaturges contemporains d’un thème longtemps tenu pour inépuisable.
En cette année 1998, le cocuage est pourtant à l’honneur sur les planches parisiennes. La Cartoucherie de Vincennes nous donne La Querelle de l’école des femmes, en jouant d’affilée L’École des femmes , La Critique de l’école des femmes et L’Impromptu de Versailles, cette dernière pièce contenant de larges allusions aux difficultés que les deux premières causèrent à Molière.
De son côté, la Comédie des Champs-Élysées vient de monter la version pour le théâtre de La Femme du boulanger, de Pagnol. Le GPX y convie d’ailleurs ses adhérents.
Si j’ai vu le premier spectacle, j’ai dû me contenter de relire le texte de Pagnol. On ne peut pas être partout à la fois.
Certes, Arnolphe n’est point cocu, puisqu’il n’est pas encore marié. Il compte seulement terminer la chose dans demain, mais elle se termine autrement qu’il voulait. Anterôs en tout cas, ce petit dieu grec de l’amour non partagé – que les Grecs n’avaient pas, semble-t-il, réservé aux seuls cocus – s’acharne sur lui au degré d’en faire un guignol pitoyable.
Il est, à la Cartoucherie, incarné sans fausse note par Serge Maggiani. Et on peut, enfin, voir une exquise Agnès en la personne de Carine Noury. Enfin, parce que ces Agnès-là ne sont guère fréquentes. Je me souviens de l’une d’elles, interprétée au Français par Nathalie Bécue, mal distribuée car son physique ingrat la contraignait à jouer une Agnès à demi demeurée, dont on se demandait comment le pétulant Horace avait pu s’enticher ; d’une autre, dans un spectacle mis en scène et joué par Marcel Maréchal, sans doute mignonne à souhait, mais si fluette qu’on ne l’entendait pas.
Et quelle spontanéité et jeune insouciance dans le jeu d’Hortense-Stéphane Comby ! Une fête pour l’œil et l’oreille.
Tout cela dans un décor de Nicolas Sire, d’une parfaite simplicité, où une lampe allumée derrière une fenêtre petite et haute suffit à la touche de mystère et de poésie dont le théâtre ne saurait se passer. Arnolphe fait rire, parce que le métier de Molière était de faire rire, mais dans ce triomphe de la jeunesse inconsciente sur l’imbécillité d’un adulte.
Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde
Que lorsqu’on vient d’en lire, on devrait en pleurer.
Pagnol savait bien, lui aussi, de quoi est bâtie la vie des hommes : quelques joies très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il ajoutait cependant : Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants.
Tenant le public pour un grand enfant, il se garde bien de lui révéler ce secret, et La Femme du boulanger se termine de touchante manière. L’infidèle revient après sa brève aventure, penaude mais si gentiment accueillie par son boulanger de mari. Il lui a fait rôtir un poulet. Elle le mange, d’abord du bout des lèvres, puis de bon appétit parce que, après tout, elle est jeune, et qu’elle a faim. Désorientée, elle avoue : Une bonté comme la tienne, c’est pire que des coups de bâton. Pour s’entendre répondre : Que veux-tu, la bonté, c’est difficile à cacher. Alors, excuse-moi. Je ne le fais pas exprès. Pardonne-moi.
Du pur Pagnol et, en entendant cela, on n’a plus du tout envie de rire de ce cocuage provençal, pourtant si joyeusement conté. J’espère que M. Galabru le dit bien, sans « en faire trop ». Cela lui arrive, malheureusement.