La receherche médicale et sa valorisation
Ces définitions qui apparaîtront simples au lecteur permettent de resituer la recherche médicale dans toutes ses dimensions et dans toute sa dynamique.
Les acquis du XXe siècle
L’homme a toujours, en effet, essayé de comprendre son corps et les maladies dont il souffrait pour y porter remède. Mais force est de constater avec le Professeur Jean Bernard que malgré les progrès considérables réalisés auparavant, la médecine moderne date vraiment en fait de 1937 environ, date d’apparition des premiers médicaments modernes.
Jusqu’à cette date le médecin était démuni, à quelques brillantes exceptions près, de traitements efficaces et en était réduit à une médecine de compassion et d’accompagnement.
La recherche médicale cherchait surtout à comprendre l’intimité du fonctionnement des organes et leurs dysfonctionnements pour établir un diagnostic. Cette tendance a d’ailleurs perduré puisque l’enseignement de la thérapeutique, certes, a progressé mais n’a pas encore atteint le niveau qui devrait être le sien.
Le vingtième siècle a été celui de la biologie, notamment dans la deuxième partie du siècle. Une nouvelle discipline, la génétique (qui venait compléter les autres disciplines existantes : l’immunologie, la biologie moléculaire, l’endocrinologie, etc.) a bouleversé la recherche médicale.
Un de ses mérites, pour reprendre la phrase de Pierre Tambourin, a été d’expliquer les mécanismes vitaux alors que la biologie se contentait de les décrire.
Des enjeux et des défis sans précédent
Quels sont les défis lancés à la recherche médicale à l’échelon du monde ?
Les défis sont énormes et tiennent en quelques chiffres qui ne sont que des moyennes.
Aujourd’hui, dans les pays occidentaux, on ne sait guérir qu’une maladie sur trois, même si on sait les traiter presque toutes.
Dans les pays en voie de développement, cette statistique tombe à une maladie sur huit environ !
Les pays occidentaux qui représentent 20 % de la population mondiale consomment 80 % des produits de santé.
Dans les pays occidentaux, la recherche dans le domaine médical est assurée par 7 à 8 pays (dont la France). Ces 7 à 8 pays représentent 90 % de la recherche médicale dans le monde.
On comprend, tout de suite, l’immensité des enjeux à l’échelon du monde et la responsabilité morale qui incombe à ces quelques pays leaders au plan de la recherche médicale.
Voilà le décor planté !
L’avenir et la valorisation de la recherche médicale sont conditionnés par des considérations qui tiennent au milieu dans lequel elle va s’épanouir.
La recherche médicale est, bien sûr, dépendante de la compétence de ceux qui la mènent et de l’efficacité des moyens dont ils disposent.
Mais de très nombreux facteurs démographiques et culturels, notamment, conditionnent et influencent l’orientation de la recherche de chaque nation. On voit bien dès lors que l’évolution de la recherche médicale et de sa valorisation ne suit pas une simple extrapolation.
On peut citer quelques exemples.
- Dans notre pays et dans la majorité des pays occidentaux, la pyramide des âges et l’évolution de celle-ci font apparaître un vieillissement important des populations. Elles obligent donc la recherche à faire face aux maladies liées à l’âge.
- La plupart des maladies ignorent les frontières ; c’est particulièrement vrai pour les maladies parasitaires et pour les maladies infectieuses. Les migrations de toutes natures nous confrontent à des maladies nouvelles ou à des maladies résurgentes.
- Chaque pays porte culturellement plus d’attention à certaines maladies voire à certaines habitudes thérapeutiques.
- On peut aussi citer l’évolution des sociétés modernes qui se recomposent, doutent et s’inquiètent. Ce comportement engendre à tort ou à raison un besoin de sécurité qui peut être dangereux et ralentir la recherche si on ne tient pas compte de ce besoin de sécurité… ne fût-ce que pour y répondre sans remettre en cause le progrès indispensable et vital de la recherche médicale.
La valorisation de la recherche médicale peut s’illustrer par un certain nombre d’exemples, pris dans ce que nous pouvons attendre de différentes disciplines, qui permettront dans certains domaines de faire avancer les espoirs de guérisons.
Les avancées de la génétique
Comment parler de recherche médicale en ce début de XXIe siècle sans parler de génétique ?
Cette discipline scientifique est sans doute une des plus importantes découvertes de la fin du XXe siècle.
Identifier le gène responsable des dysfonctionnements et le remplacer ou le compléter constitue un schéma simple qui peut faire croire au public que la guérison sera aisée à partir de l’instant où le génome aura été décrypté.
Or aujourd’hui on sait bien que les obstacles à franchir sont encore très nombreux, donc nécessiteront beaucoup de temps (vingt ans peut-être), énormément d’efforts de la part des scientifiques du monde entier… et beaucoup d’argent.
Les composants du génome sont presque totalement identifiés. Mais d’une manière générale, on ne connaît pas encore les fonctions de chaque gène, à part quelques exceptions.
Les premières maladies d’origine génétique identifiées seront, bien sûr, les maladies monogéniques. En revanche, il est vraisemblable que beaucoup de maladies génétiques sont de nature plurigénique…
La vectorisation du gène salvateur est aujourd’hui dépendante en majorité de virus dont on utilise la propriété, redoutée habituellement, d’accéder au noyau de la cellule. Ils ne sont pas toujours aisés à manipuler et il est difficile de prévoir exactement les comportements de rejets de l’organisme.
Site transfusionnel, thérapie cellulaire, préparation de greffe de moelle, Pitié-Salpêtrière.
© ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS
On ne peut donc qu’être fier des résultats extraordinaires obtenus par le Professeur Alain Fischer (hôpital Necker-enfants malades) dans le traitement des » 3 enfants bulles « .
La thérapie génique permet d’envisager également, dès maintenant, des avancées dans les domaines des maladies cardiovasculaires et cancéreuses ainsi que dans la régénération au moins partielle du tissu nerveux. Cette dernière application serait essentielle pour lutter contre des maladies aussi dramatiques que l’Alzheimer, le Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique ou la maladie d’Huntington, pour ne parler que des plus connues.
Les biotechnologies au sens large permettent, de leur côté, la production avec une grande pureté de substances jadis obtenues par extraction avec tous les risques de contamination que cette technique impliquait (hormone de croissance, érythropoïétine mais aussi des enzymes, voire de l’hémoglobine de type humain).
La thérapie cellulaire dont les attentes sont considérables n’a été envisageable que grâce aux travaux d’un de nos prix Nobel, le Professeur Jean Dausset.
La transfusion de sang est la thérapie cellulaire la plus connue, mais on peut envisager également la restauration de tout ou partie d’un tissu soit en cultivant des cellules de même nature, par exemple pour reconstituer la peau, soit en partant de cellules souches totipotentes1.
On peut même envisager un jour d’utiliser des cellules ou des tissus végétaux ou animaux que l’on substituera aux tissus malades. Peut-être même pourra-t-on humaniser ces xénogreffes pour les rendre plus facilement compatibles.
Mais beaucoup d’hypothèques techniques et éthiques restent à lever.
L’impact sur les pratiques médicales
Bien d’autres aspects de la recherche thérapeutique peuvent être cités qui montrent que l’éventail de la recherche médicale s’élargit sans cesse et ouvre des avenirs de valorisation très prometteuse.
Ainsi en va-t-il de la chimie combinatoire.
Il est admis que l’origine du monde que nous connaissons tiendrait à un » big-bang » qui, grâce à des réactions diverses, a engendré grâce à des molécules simples les arrangements moléculaires qui font le monde actuel.
Alors pourquoi ne pas enregistrer dans des banques de données toutes les molécules les plus élémentaires et interroger les ordinateurs sur les molécules que ceux-ci pourraient imaginer pour atteindre un objectif qui lui est fixé ?
Le Professeur Roger Lahana rapporte qu’appliquant cette méthode à la recherche d’immunodépresseurs de nature peptidique, il s’est vu proposer près de 2 milliards de molécules. Des barrières de sélection ont fait descendre ces combinaisons à 280 000 puis à 5 qui ont été récemment synthétisées pour être testées.
Ces quelques exemples n’ont été cités que pour montrer la richesse des promesses de la recherche médicale quelle soit fondamentale, clinique ou thérapeutique. Elle forme un tout cohérent et s’autofertilisant. Bien plus, les disciplines les plus récentes permettent aux disciplines existantes de connaître de nouvelles avancées. Ainsi en va-t-il de l’immunologie, de l’enzymologie, de l’endocrinologie, d’une thérapeutique moins invasive à partir de la connaissance des sites récepteurs qui permettent un véritable » adressage moléculaire » comme l’écrit le Professeur Francis Puisieux (Faculté de Pharmacie de Paris).
Comme on le voit à travers ces quelques exemples, la recherche médicale offre un éventail de valorisations considérables, d’une importance encore inconnue depuis qu’elle existe et offre des perspectives de réponses à bien des dysfonctionnements que l’on ne peut encore maîtriser à ce jour.
La recherche trouve sa justification dans le recul des incertitudes.
La recherche médicale doit la trouver dans le progrès de la santé.
L’aspect économique ne doit pas en être écarté comme il le fut longtemps. Il ne doit pas y avoir une recherche désintéressée et le reste. Il faut une recherche fructueuse et utile pouvant faire l’objet de prise de brevet. Il faut même encourager la prise de risque. Il convient donc de saluer le ministre de la Recherche qui a encouragé les » start-up « .
La Fondation pour la recherche médicale que j’ai l’honneur de présider me permet d’apprécier le chemin parcouru et les chances qui sont devant nous. Elle me permet également d’affirmer que nous disposons d’excellents chercheurs empêtrés dans des exigences bureaucratique et administrative excessives qui n’ont malheureusement aucune raison de diminuer dans l’avenir.
C’est là, sans doute, que se justifie grandement l’existence d’organismes comme la Fondation pour la recherche médicale qui apporte de la souplesse et de la flexibilité aux systèmes de recherche existants en leur permettant d’aller plus vite et plus loin.
L’éthique et la recherche médicale
On sait aussi que la recherche pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il ne suffit plus de découvrir. Il faut, au fur et à mesure, résoudre autant que faire se peut les questions éthiques, culturelles et religieuses que posent certaines découvertes. On l’a vu dans le passé avec la » pilule « , avec les techniques nouvelles de reproduction, on le voit aujourd’hui avec la brevetabilité du génome, demain avec la recherche sur les » embryons surnuméraires « .
La valorisation de chaque découverte de la recherche médicale sera dépendante de son acceptabilité par le public dont le poids devient grandissant.
Pour moi, recherche médicale, éthique, philosophie, culture, voire religion sont des compagnons de route qui seront de plus en plus inséparables.
Les scientifiques devront expliquer leur découverte au public et discuter avec lui très tôt, avant même sa publication scientifique ; les échanges ne peuvent qu’être riches. D’abord parce que les scientifiques apprendront du public la limite qu’ils ne doivent pas dépasser et le public s’appropriera et utilisera intelligemment et raisonnablement les découvertes pour son plus grand bénéfice.
La valorisation de la recherche médicale passe donc désormais obligatoirement par l’acceptation du public qui doit comprendre et approuver les découvertes de la science médicale. Sinon, la phrase de Jean Rostand resterait d’actualité :
» La Science fait de nous des dieux avant même que nous ayons appris à être des hommes. »
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1. Cellules embryonnaires qui forment les tissus les plus divers selon l’action qu’elles subissent.