Jean-Michel Coron (75) et Claire Voisin (ENS Sèvres, 81), la recherche comme rêve partagé
Jean-Michel Coron et Claire Voisin forment un couple de mathématiciens qui, s’ils ont été honorés ensemble, ont suivi des parcours différents. Lui l’X et les Mines, son goût pour la mécanique l’a conduit à travailler sur la théorie du contrôle. Elle est passée par l’ENS Sèvres et ses recherches portent sur la géométrie algébrique. Tous les deux évoquent avec gratitude la formation des mathématiciens français, unique au monde, du fait du système des grandes écoles
Un double portrait s’imposait, pour ce couple de mathématiciens, déjà honorés ensemble : le congrès des mathématiciens de 2010 à Hyderabad les désigna l’un et l’autre conférenciers pléniers. L’Académie des sciences les élut en 2010 (elle) et 2014 (lui).
“ Il affectionne les analogies entre des domaines a priori éloignés ”
Ils habitent le quartier du Val-de-Grâce, un vaste appartement lumineux, calme, peuplé de livres, pour eux « des amis », et où chacun a son bureau.
Entendent-ils sonner les heures au clocher de l’église lorsque l’un et l’autre rédigent un article savant ? Ils ont cinq enfants, dont l’aînée enseigne à l’université d’Orsay et le plus jeune est en prépa à Louis-le- Grand.
Une formation polyscientifique
Jean-Michel Coron et Claire Voisin évoquent avec gratitude la formation des mathématiciens français, unique au monde, du fait du système des grandes écoles. Jean-Michel Coron acquit le goût des maths d’un grand professeur du secondaire, au lycée Pasteur à Neuilly : Pierre Coulomb, qu’il eut en première et terminale, rigoureux dans l’exposé, aux cours très avancés.
Il choisit l’X plutôt qu’Ulm : comme il hésitait sur sa voie, il se donna une formation pluridisciplinaire. De l’École, il garde un excellent souvenir, non seulement de ses enseignants de maths, de Paul Germain aussi en mécanique. <pEffectivement, son goût pour la mécanique, sa formation polyscientifique lui offrent maintes illustrations concrètes du contrôle, qu’il s’agisse d’un chariot de supermarché, d’un manche de balai tenu au-dessus de l’index, ou encore de l’eau dans les rivières (Meuse, Sambre) aux flux contrôlés par les portes aux extrémités des biefs.
Bref, le mathématicien épris, non seulement de généralisation, car il affectionne les analogies entre des domaines a priori éloignés, mais aussi d’applications bien concrètes, trouve ainsi la réussite comme chercheur.
L’idée d’une structure éxplicative
Son épouse, Claire Voisin (Louis-le- Grand avant l’ENS Sèvres) œuvre en géométrie algébrique, le domaine fondé par Alexandre Grothendieck, dont la théorie des motifs, unificatrice, fut « une sorte de rouleau compresseur, un renouvellement de fond en comble. […] Tout se passe comme s’il y avait un objet mystérieux, une raison unique, centrale qui permette d’expliquer les différents aspects de la théorie et leurs comparaisons. »
“ Expliquer les différents aspects de la théorie et leurs comparaisons »
Ayant travaillé les maths à la maison pendant sa scolarité secondaire, avec son père d’abord puis sous l’influence de son frère aîné, elle avait découvert avec ravissement, plus tard dans sa scolarité, les maths grâce à Denis Monasse, son professeur d’hypotaupe.
Elle aime la théorie, l’idée d’une structure explicative – Poincaré faisant l’éloge dans sa présentation des travaux d’Élie Cartan sur la théorie des groupes d’une dénomination commune à des objets apparemment éloignés –, et donc « d’un saut d’abstraction extraordinaire, pour compacter toute une théorie ». Elle parle avec admiration de Jean Leray, « mathématicien d’une profondeur inouïe ».
Médaille d’or du CNRS
Entrée à l’Académie des sciences en 2010, titulaire de la chaire de géométrie algébrique au Collège de France depuis 2016, Claire Voisin a travaillé sur la relation entre structures de Hodge et groupes de Chow des variétés projectives, un aspect de la théorie des motifs, développé autour de la conjecture de Hodge (généralisée par Grothendieck en termes de niveau de la cohomologie) et de la conjecture de Bloch et Beilinson.
Une partie de ses travaux dans ce domaine repose sur l’étude des variations infinitésimales de structures de Hodge, telle qu’initiée par Griffiths. Elle vient de se voir décerner la médaille d’or du CNRS.
Leur relation au temps est celle de gros travailleurs, intolérants d’intrusions chronophages. S’investir à 100 % dans la recherche est leur horizon rêvé. Déjà auteur, chacun, d’une œuvre impressionnante, ils restent ambitieux.