Mme T., aide à domicile, prenant possession de son véhicule électrique neuf grâce à l’accompagnement du Club Mobilité.

La recherche de sa voie

Dossier : SolidaritéMagazine N°802 Février 2025
Par Nicolas DOUZIECH (X05)

Témoi­gnage d’un che­mi­ne­ment qui explore la maïeu­tique d’un enga­ge­ment per­son­nel vers un enga­ge­ment pro­fes­sion­nel. Un seul cré­do à rete­nir : il existe autant d’engagements que de com­pé­tences ou d’envies à valoriser !

Diplô­mé de l’École poly­tech­nique (X05), je com­mence ma car­rière dans la finance et le conseil. Pro­gres­si­ve­ment, des expé­riences per­son­nelles et pro­fes­sion­nelles me conduisent à m’investir dans des enga­ge­ments citoyens, puis à orien­ter ma car­rière vers des pro­jets à impact social. Mon pre­mier enga­ge­ment signi­fi­ca­tif se concré­tise au sein de la Croix-Rouge française.

Une première approche de l’engagement : le bénévolat

Alors que je suis en stage de 3e année à l’étranger, mon père tombe gra­ve­ment malade. Face à mon impuis­sance lors d’urgences médi­cales dont il relève, je décide de me for­mer aux gestes de pre­miers secours en tant que citoyen. C’est lors de cette jour­née que je per­çois la res­pon­sa­bi­li­té de cha­cun et que je décide de m’engager. Quelques mois après son décès, en 2010, je rejoins l’unité locale de la Croix-Rouge fran­çaise de mon arron­dis­se­ment. Après une période de for­ma­tion, je deviens béné­vole secouriste. 

Mon enga­ge­ment s’intensifie rapi­de­ment et je deviens moi-même for­ma­teur pre­miers secours (pour le grand public et, plus tard, pour les béné­voles secou­ristes). Après deux années d’engagement, j’ai l’occasion dans cette même struc­ture de prendre des res­pon­sa­bi­li­tés d’encadrement et de ges­tion de pro­jet, tout en pour­sui­vant mon béné­vo­lat sur le ter­rain. Pen­dant près de huit ans, j’occupe tour à tour les rôles de res­pon­sable for­ma­tion, secré­taire, pré­sident. Même si c’est un enga­ge­ment qui prend par­fois trop de place et qui expose à des dif­fi­cul­tés de ges­tion humaine du fait de la plu­ra­li­té des milieux dont sont issus les béné­voles et les per­sonnes accom­pa­gnées, c’est un enga­ge­ment utile et enrichissant.

Le point de bascule : la prise de conscience des inégalités dans le système économique

Après dix années d’engagement, je décide de rac­cro­cher les gants pour me consa­crer à ma famille qui s’agrandit. Je res­sors enri­chi de cette expé­rience. D’abord avec le sen­ti­ment d’avoir contri­bué modes­te­ment mais uti­le­ment à la socié­té, et éga­le­ment enri­chi de com­pé­tences et de soft skills tout aus­si valo­ri­sables dans le sec­teur pro­fes­sion­nel. Mais aus­si moins naïf sur la réa­li­té du béné­vo­lat ; sur ses dif­fi­cul­tés de res­ter enga­gé dans la durée, de res­pec­ter un équi­libre vie pro-vie per­so-béné­vo­lat et sur les défauts d’organisation inhé­rents à toute structure. 

Paral­lè­le­ment à cet enga­ge­ment per­son­nel, j’exerce dans la finance de mar­ché, puis dans le conseil en stra­té­gie, pen­dant huit ans. C’est lors de ces expé­riences, au demeu­rant très ins­truc­tives, que je prends conscience du poids des classes sociales domi­nantes et des limites d’un modèle éco­no­mique qui tend non seule­ment à exclure une par­tie non négli­geable des foyers vivant en France mais éga­le­ment à appau­vrir les plus pré­caires par ce qu’on appelle « la double péna­li­té de pauvreté ». 

Effec­ti­ve­ment, des struc­tures telles que l’Action Tank que je rejoin­drai plus tard ont docu­men­té ce phé­no­mène selon lequel les ménages à faibles reve­nus, en plus de dis­po­ser d’un pou­voir d’achat réduit, paient pro­por­tion­nel­le­ment plus cher pour des biens et ser­vices iden­tiques que les ménages au reve­nu médian. Par exemple, en 2023, les ménages fran­çais les plus pauvres ont dépen­sé en moyenne 700 € de plus par an pour accé­der aux mêmes biens et ser­vices que les consom­ma­teurs médians. Cette situa­tion s’explique par divers fac­teurs tels que des coûts fixes incom­pres­sibles, une exclu­sion de cer­taines offres avan­ta­geuses, un manque d’information ou des biais cog­ni­tifs, ain­si que des effets liés à la localisation.

Du caritatif à la justice sociale : le début d’un nouvel engagement professionnel 

Bien qu’issu de la classe ouvrière – mon père ayant été chauf­feur rou­tier et ma mère aide à domi­cile – je n’ai pas jusqu’alors plei­ne­ment conscience de la notion d’assignation sociale à rési­dence, dès lors que je reste per­sua­dé que le tra­vail per­met à cha­cun de réus­sir et de s’émanciper de son milieu d’origine. La diver­si­té de mes mis­sions me per­met de prendre de la hau­teur, de nuan­cer ma vision de la méri­to­cra­tie et d’observer l’ampleur des inéga­li­tés sociales et éco­no­miques résul­tant notam­ment d’un mar­ché pré­vu prin­ci­pa­le­ment pour le consom­ma­teur médian.

“Investir dans une approche de justice sociale.”

C’est dans ce contexte que je sou­haite me réorien­ter pour exer­cer une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle au sein d’une struc­ture à impact. À la fois conscient des limites d’un enga­ge­ment limi­té à des actions cura­tives et ponc­tuelles, et éga­le­ment de l’importance d’une éco­no­mie de mar­ché, vec­teur d’émancipation en dépit de sa per­fec­ti­bi­li­té, je recherche une struc­ture qui prenne en consi­dé­ra­tion cette dimen­sion éco­no­mique. Mon ambi­tion n’est plus alors d’inscrire mon enga­ge­ment dans une vision de cha­ri­té telle que j’ai pu le conce­voir en tant que béné­vole au sein de la Croix-Rouge fran­çaise, mais de m’investir dans une approche de jus­tice sociale.

Place à l’action : l’engagement au sein d’un laboratoire d’innovation sociale 

En 2016, j’ai rejoint l’Action Tank Entre­prise et Pau­vre­té, qui est une struc­ture par­te­naire du cabi­net de conseil dans lequel je tra­vaillais et aux pro­fils très qua­li­fiés. En com­plé­ment des actions de plai­doyer mili­tant qui visent à sen­si­bi­li­ser et influen­cer les poli­tiques publiques ou l’analyse stra­té­gique, sou­vent menée par des think tanks, dont l’ambition est d’éclairer les déci­sion­naires en appor­tant des réflexions docu­men­tées et rigou­reuses, l’Action Tank est un labo­ra­toire d’innovation sociale qui s’inscrit dans une démarche d’expérimentation pra­tique. Sa voca­tion est de trans­for­mer des idées en solu­tions concrètes, de les tes­ter, puis de les déployer à échelle réelle aux fins de bâtir une socié­té plus équi­table et solidaire. 

La pre­mière sin­gu­la­ri­té de l’Action Tank est de tra­vailler avec des grandes entre­prises fran­çaises, notam­ment du CAC 40, ce qui per­met d’entreprendre des actions de grande ampleur. La seconde par­ti­cu­la­ri­té, et peut-être la plus dis­tin­guable, est de tra­vailler au plus proche du cœur du métier de l’entreprise en mobi­li­sant le plus sou­vent pos­sible les direc­tions métiers au-delà des tra­di­tion­nelles RSE. Agir au sein des­dites direc­tions per­met de cor­ri­ger en amont l’injustice géné­rée par le sys­tème éco­no­mique, en pro­po­sant un modèle éco­no­mique inno­vant qui a pour ambi­tion de conci­lier des objec­tifs de pro­fi­ta­bi­li­té et des objec­tifs d’inclusion sociale.

L’expérimentation d’un nouveau paradigme économique : la mobilité pour tous

À titre d’exemple, nous avons déve­lop­pé un pro­gramme nom­mé Club Mobi­li­té. Ce pro­gramme, conçu avant l’instauration d’un dis­po­si­tif simi­laire par le gou­ver­ne­ment, pro­pose une forme de lea­sing social pour des véhi­cules neufs, éco­no­miques et sobres, qu’ils soient ther­miques ou élec­triques. Il s’attache éga­le­ment à réduire le non-recours aux aides publiques et à répondre aux besoins de mobi­li­té des ménages pré­caires. En effet, il est com­mu­né­ment admis que le pre­mier frein à l’emploi, hors com­pé­tences, concerne la mobi­li­té et plus de la moi­tié des Fran­çais en situa­tion de fra­gi­li­té éco­no­mique a déjà dû renon­cer à un emploi en rai­son d’un pro­blème de mobilité. 

Pour­tant, ces per­sonnes ne peuvent pas accé­der à des véhi­cules fiables récents (neufs ou occa­sion) faute de solu­tion de finan­ce­ment (cré­dit, lea­sing, épargne) et se tournent alors vers l’unique solu­tion à leur dis­po­si­tion : des véhi­cules anciens for­te­ment kilo­mé­trés au coût d’acquisition faible, mais dont le coût total au kilo­mètre se révèle supé­rieur à celui d’un véhi­cule neuf. Ce modèle a pour objec­tif de recher­cher l’équilibre finan­cier contrai­re­ment à une démarche phi­lan­thro­pique et per­met au construc­teur d’automobiles, dans un mar­ché très concur­ren­tiel sou­mis à une recherche de forte pro­fi­ta­bi­li­té, d’expérimenter d’autres méthodes busi­ness dans un contexte d’innovation frugale.

Le temps de l’épanouissement : un plaidoyer pour l’engagement

Ain­si, tra­vailler dans une struc­ture comme l’Action Tank est très gra­ti­fiant : on y mobi­lise des com­pé­tences proches de celles des entre­prises avec les­quelles on tra­vaille, mais avec un impact posi­tif pour la socié­té. Il reste un défi pour des struc­tures de ce type : le pas­sage à l’échelle mas­sif pour être à la hau­teur des enjeux sociaux. Aujourd’hui, je conti­nue à me pro­je­ter dans ma car­rière au sein de struc­tures à impact, même si évi­dem­ment le sec­teur de l’économie sociale n’est pas exempt de cri­tiques (charge de tra­vail, poids du poli­tique, etc.). J’ai effec­ti­ve­ment trou­vé un équi­libre entre inté­rêt pro­fes­sion­nel et ali­gne­ment avec mes valeurs, fac­teur d’épanouissement. Pour conclure, je sou­haite rap­pe­ler que l’engagement est pro­téi­forme dans la sphère tant per­son­nelle que pro­fes­sion­nelle, de sorte qu’il y a une place pour cha­cun d’entre nous ! 

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