La recherche étouffée par la bureaucratie
REPÈRES
Le rapport publié en avril 2004 par l’Académie des sciences sur la « Structure de la recherche publique en France » commençait ainsi : « La recherche française est en crise. »
REPÈRES
Le rapport publié en avril 2004 par l’Académie des sciences sur la « Structure de la recherche publique en France » commençait ainsi : « La recherche française est en crise. »
Huit ans plus tard, le nouveau rapport adopté le 25 septembre 2012 constate que la crise perdure : « Depuis plus de huit ans, de nombreuses modifications ont été apportées par le législateur et les différents gouvernements qui se sont succédé ; toutes ont contribué à rendre de plus en plus complexes les structures de la recherche publique en France en accumulant de nouvelles stratifications qui rendent de moins en moins lisible le monde de la recherche, tant pour les acteurs eux-mêmes, que pour les décideurs et les citoyens » (http://www.academie-sciences.fr/ activite/rapport/rads0912.pdf).
À découvrir le rapport de l’Académie des sciences, on se retrouve en terrain hélas familier. Les recommandations sont, elles aussi, sans surprise : simplifier la gestion et les structures de la recherche publique ; supprimer l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) ; remplacer les trois conseils existants par un seul haut conseil de la recherche et de l’enseignement supérieur ; assurer un financement équilibré des laboratoires et instituts de recherche ; améliorer l’attractivité des métiers de la recherche.
Un système où la dépense principale est constituée par les salaires
À l’examen de ces 58 pages, je ne peux néanmoins résister à citer tel ou tel diagnostic, tant leur accumulation est préoccupante.
« Les chercheurs [passent] un temps de plus en plus grand à remplir de trop nombreux formulaires qui nourrissent des « cimetières à informations » dont la taille semble seulement limitée par celle des serveurs qui hébergent ces formulaires une fois remplis. »
Chercheurs au Smig
Évoquant le statut déplorable du chercheur, le rapport note : « On offre typiquement à des normaliens ou polytechniciens parmi les plus brillants de leurs générations et qui, après des années d’effort et de compétition, réussissent enfin à rentrer au CNRS au niveau CR2, un salaire à peine au-dessus du Smig, et la plupart du temps, inférieur de 10% à 30% au salaire qu’ils avaient comme postdocs à l’étranger. »
Au CNRS, le rapport de la masse salariale à la dotation de l’État (MS/DE) était de 47 % en 1960, 74% en 1980 et 84% en 2010 : « Le CNRS est totalement asphyxié. » Conséquence : « Un système où l’emploi scientifique est permanent et fonctionnarisé, et où la dépense principale est constituée par les salaires. »
« Le fait de participer à de grands ensembles scientifiques n’est pas une nécessité pour être compétitif. […] À l’étranger comme en France, ce sont de petites structures qui récoltent les prix Nobel. » Les LABEX (laboratoires d’excellence) créés dans le cadre du programme Investissement d’avenir constituent des « regroupements artificiels de groupes ».
« Trop d’universités au cours des vingt à trente dernières années ont largement dépassé les 70 à 90% de recrutement de candidats locaux. »
Exception française
Le rapport de l’Académie n’aborde pas la question des mentalités, pourtant à mon sens déterminante. Les différences culturelles créent une exception française.
Une institution gangrenée par le copinage.
© Key Graphic
On en connaît les caractéristiques : le recrutement local par les universités, qui sévit depuis des lustres ; le refus indigné de la précarité, même en début de carrière ; l’esprit fonctionnaire dénoncé par Philippe d’Iribarne qui évoque « les apprentis-chercheurs qui rêvent d’une sécurité de fonctionnaire avant même de savoir s’ils sont prêts à affronter le grand vent d’une aventure intellectuelle » ; même dans les sciences expérimentales, le raisonnement analytique, déductif plutôt qu’inductif ; le conformisme et le rejet des excentriques ; dans les laboratoires, la palabre et la « parlote » généralisées ; le lotissement du savoir, que reflète l’organigramme du CNRS, et ses corollaires – pré carré et chasse gardée – ; le « copinage » qui gangrène le CNRS ; l’instrumentation, qu’on achète plutôt que de la concevoir et de la bâtir soi-même, etc.
Un monde fonctionnarisé
« Je trouve ahurissant le fait de donner des postes permanents à des doctorants. C’est beaucoup trop tôt. Le système américain n’est pas, tant s’en faut, fonctionnarisé comme peut l’être le français. Il est fondé sur la liberté et la reconnaissance de la qualité de ce qui est fait. La plupart des grandes universités, Harvard, Stanford, Columbia, sont des maisons privées. Pour ma part, je ne me suis jamais inquiété de mon avenir, et il ne m’est jamais arrivé de réclamer un poste où on garantirait mon salaire à vie. C’est absolument indéfendable » (Roger Guillemin, entretien au Monde, 6 mai 2005).
Tout récemment encore, je pus constater l’un de ces maux. De jeunes chercheurs m’ont soumis des publications, m’appelant à l’aide après qu’elles eurent été rejetées par des périodiques internationaux réputés. Leurs travaux firent appel à l’un de nos grands équipements les plus prestigieux.
On achète l’instrumentation plutôt que de la concevoir et de la bâtir soi-même
Effectivement, à l’analyse de ces mémoires, ils étaient bâclés, et une quelconque publication m’est apparue comme impensable, à tout le moins prématurée. Ce à quoi un chef de projet m’a rétorqué qu’elle était pourtant indispensable à l’appui d’une candidature à un poste.
Tout cela compose un tableau affligeant. Pour ne pas rester sur ce constat d’un noir pessimisme, courez lire (si vous ne l’avez déjà fait) Théorème vivant de Cédric Villani (Albin Michel, 2012). Vous y trouverez un précieux réconfort quant à la survie de centres d’excellence dans le paysage de la recherche française.
2 Commentaires
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Précarité
Beaucoup de choses intéressantes dans cet article. Je partage le point de vue que lorsqu’on est recruté à 29 ans on est encore un novice en recherche. Après je constate que l’article s’engouffre facilement dans une certaine idéologie (peut-être dominante…) qui consiste à taper systématiquement sur le fonctionnaire (français bien entendu). On pourrait attendre des arguments plutôt que des poncifs (« rêvent d’une sécurité de fonctionnaire »… extraordinaire !) qui n’ont rien à envier aux pires marronniers lus dans « Le Point » ou le courrier du Figaro.
Il est intéressant
Il est intéressant d’apprendre que M. Guillemin, qui disposait d’un statut de médecin généraliste et a passé les 30 premières années de sa carrière dans le contexte des 30 glorieuses, ne s’est jamais inquiété de son avenir.