La recherche sur les OGM : entre innovation et controverse
Les organismes génétiquement modifiés constituent une application particulière des biotechnologies végétales. Divers dans leur nature, leurs avantages, leurs effets et leurs risques, les OGM sont des vecteurs d’innovation : à ce titre ils sont simultanément porteurs d’opportunité, pour répondre à certains défis adressés à l’agriculture, sources de cascades systémiques d’effets et d’impacts et objets de controverses et de conflits.
Définition
La définition légale des OGM a ceci de particulier qu’elle ne porte pas sur la nature de ces organismes mais sur le caractère plus ou moins artificiel du procédé par lequel ils ont été obtenus : un OGM est ainsi défini par la directive européenne 2001–2018/CE comme « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Une autre particularité est que l’expression générique « OGM » recouvre de fait une grande diversité de situations selon la plante et le transgène concernés et la fonction ainsi visée. On définit ainsi un événement de transformation comme un triplet « plante – transgène – lieu d’insertion du transgène dans le génome de la plante ».
Il existe donc potentiellement un très grand nombre d’OGM ayant, chacun, une (des) propriété(s) spécifique(s) : tolérance aux herbicides, résistance aux ravageurs des cultures ou à des virus, maturation et qualité nutritionnelle des fruits, propriétés physicochimiques de la lignocellulose, etc.
La transgénèse est aujourd’hui un outil de recherche très largement répandu
Les biotechnologies végétales couvrent un large spectre de techniques. La transgénèse en est un cas particulier, dont les » OGM » (organismes génétiquement modifiés) sont des applications qui ont concentré l’attention de la société, qui font toujours l’objet de controverses et de conflits, mais qui ont connu un essor considérable dans plusieurs pays. La transgénèse désigne le transfert, par des voies biologiques ou physiques, d’un ou de plusieurs gènes, appelés transgènes, d’un organisme vivant dans un autre. L’une des caractéristiques de cette technologie a été la rapidité de son développement : une douzaine d’années entre l’obtention – au laboratoire grâce aux agrobactéries et en Europe – des premiers tabacs transgéniques (1983) et la première autorisation de mise sur le marché de plantes transgéniques (une tomate en 1994 aux USA) ou les premières cultures à grande échelle (1996) ; une dizaine d’années ensuite pour atteindre le seuil de 100 millions d’hectares de cultures.
La transgénèse est aujourd’hui un outil de recherche très largement répandu dans les laboratoires de biologie et de génétique végétales. Cette utilisation ne pose pas de problème particulier autre que celui, technique, du confinement. Les plantes transgéniques sont en effet des outils précieux en génomique fonctionnelle, c’est-à-dire pour identifier et valider expérimentalement la fonction des gènes. Leur étude a aussi été à l’origine de découvertes scientifiques majeures, par exemple de mécanismes épigénétiques, très généraux et jusque-là inconnus, et qui concernent la régulation de l’expression des gènes.
Ce sont, en revanche, les applications agricoles de la transgénèse qui font débat. Après les premières phases de domestication, il y a plusieurs millénaires, l’amélioration des plantes s’est progressivement technicisée en ayant recours à des méthodes de plus en plus sophistiquées : elle a ainsi contribué, en interaction avec d’autres facteurs, à l’évolution spectaculaire des rendements, par exemple de 6,5 quintaux/ha à près de 25 quintaux/ha pour le blé en Inde entre 1950 et 2000 (Doré et Varoquaux, 2006). La transgénèse fait partie de l’éventail des méthodes d’amélioration des plantes : elle permet en théorie de conférer à la plante des traits particuliers pourvu que ceux-ci soient gouvernés par un seul (ou quelques) gène(s) et que ce(s) gène(s) ait (en) été préalablement identifié(s), validé(s) et cloné(s).
OGM : un » problème » multidimensionnel
La combinaison des défis adressés à l’agriculture (augmentation de la population mondiale, modifications des régimes alimentaires, demande accrue de biomasse végétale non seulement pour l’alimentation humaine et animale mais aussi pour des usages énergétiques, chimiques ou la production de fibres et de biomatériaux) et de la prise de conscience de la finitude des ressources naturelles et de la crise environnementale globale suscite une attente croissante vis-à-vis de l’amélioration des plantes : la transgénèse apparaît ainsi comme une opportunité qui ne peut pas être négligée. Simultanément, les applications agricoles de cette technologie suscitent, depuis le milieu des années 1990, des controverses et des conflits, notamment, mais pas seulement, en Europe.
Fréquence des interrogations sur le WEB relatives à 4 mots-clés (OGM, GMO, biodiversité, biodiversity) selon un plan d’expérience croisant 2 langues (français et anglais) et 2 concepts (OGM et biodiversité). Interrogation effectuée sous « Google Trends » le 20 octobre 2008. En ordonnée figure la fréquence relative des requêtes portant sur les 4 mots-clés. Cette figure fait apparaître le niveau très élevé des interrogations relatives aux « OGM » par rapport aux interrogations relatives à la « biodiversité » et la forte différence de comportement entre les communautés francophones et anglophones.
Au-delà des débats scientifiques sur le caractère naturel des transferts de gènes entre espèces distinctes (on sait que de tels transferts ont lieu dans la nature, y compris entre espèces appartenant à des règnes distincts) ou sur la maîtrise technique des OGM (par exemple, sur le contrôle de l’insertion des transgènes ou sur la stabilité de leur expression), ce paradoxe met en lumière :
- le fait que les OGM sont une innovation de rupture par rapport à des méthodes classiques, réputées » naturelles » ou éprouvées, d’amélioration des plantes : la radicalité et la relative jeunesse de cette technologie suscitent des interrogations alors même qu’elle pourrait être vue comme étant plus efficace, plus rapide et plus précise que d’autres méthodes antérieures ;
- le fait que la mise en œuvre de cette innovation est préférentiellement corrélée à un modèle particulier d’agriculture (forte technicité ; grandes exploitations ; fort poids des industriels de la semence et de l’agrofourniture ; utilisation du brevet, par opposition au certificat d’obtention végétale, comme mode privilégié de valorisation de la propriété intellectuelle) : cette situation engendre des contestations politiques qui sont exacerbées par la faible diversité des applications commerciales qui existent à grande échelle et par la concentration des capacités technologiques et commerciales ;
- malgré l’existence de bénéfices, certes variables, pour les professionnels (Fernandez-Cornejo et Caswell, 2006), l’absence d’avantages clairement perçus par la société dans un contexte, marqué par les crises sanitaires de la fin du XXe siècle, de perte de confiance dans la science, la technologie et leurs applications et de remise en cause des processus d’évaluation des bénéfices et risques (réels ou éventuels) des innovations qui en dérivent.
Les OGM sont devenus un véritable objet d’étude pour les sociologues de l’innovation
De façon plus générale, les OGM posent la question de l’évaluation systémique des innovations. Leurs effets et impacts sont potentiellement de différente nature – intentionnels et non intentionnels, immédiats et différés, directs et indirects – et couvrent un vaste spectre thématique – effets écologiques et environnementaux, alimentaires et sanitaires, agronomiques et biotechniques, sociaux et économiques. Les OGM sont ainsi devenus un véritable objet d’étude pour les sociologues de l’innovation : la conception, la mise en oeuvre et le suivi de l’un des deux essais pluriannuels au champ de l’INRA ont ainsi fait l’objet d’un processus expérimental et participatif de consultation des diverses parties prenantes (Joly et Rip, 2007).
Le programme OGM de l’ANR : ouverture et intégration pluridisciplinaires
Dès le milieu des années 1990, la prise de conscience de la diversité et du caractère systémique des effets liés au déploiement des OGM a conduit différents établissements – l’ACTA, l’INRA, le CNRS, le ministère de la Recherche – à lancer des actions de recherche sur leurs impacts et, plus généralement, sur les impacts des innovations en agriculture.
À sa création, l’ANR (Agence nationale de recherche) a pris le relais de ces actions en lançant un programme spécifique dont l’animation scientifique et la gestion ont été déléguées à l’INRA et dont les 3 éditions successives (2005, 2006 et 2007) ont permis de soutenir 21 projets, à hauteur de 5,7 millions d’euros. Ce programme a repris des thématiques couvertes par les actions antérieures : l’étude des impacts écologiques, de la dissémination des transgènes dans l’environnement et des questions de biosécurité, ainsi que l’étude des risques alimentaires et sanitaires (bien que prioritaire, ce thème n’a fait l’objet que de très peu de projets et aucun d’entre eux n’a été sélectionné). Ce programme a également ouvert le champ des recherches dans trois directions : l’étude des enjeux et impacts sociaux, économiques, juridiques et éthiques ; l’évaluation des systèmes de production faisant appel à des OGM et la question de la coexistence des filières ; la maîtrise de la transgénèse et des processus moléculaires et cellulaires associés.
Suite au faible nombre de projets proposés en 2007, le programme OGM de l’ANR a été mis en veille en 2008. Il est susceptible d’être relancé dans le cadre d’un programme plus large dédié aux biotechnologies végétales et répondant à la demande collective de poursuite des recherches exprimée lors du Grenelle de l’environnement.
Une approche transdisciplinaire pour répondre aux attentes de la société
De ce rapide panorama, on peut retenir que les questions scientifiques relatives aux biotechnologies végétales, notamment aux OGM, couvrent un vaste spectre disciplinaire qui va au-delà des approches de biologie moléculaire et cellulaire. Réduire les innovations qui en découlent à leur seule dimension technique s’est ainsi avéré impossible : il est nécessaire de considérer l’ensemble de leurs effets, positifs et négatifs. Cette approche intégrée et transdisciplinaire est nécessaire pour répondre aux attentes de la société ; elle reste cependant difficile à conduire.
L’accroissement mondial des surfaces des cultures génétiquement modifiées, les annonces récentes de certains pays émergents (par exemple, de la Chine en septembre 2008), les programmes conduits par certains pays (par exemple, par le Brésil sur des cultures alimentaires) comme par les grandes entreprises semencières indiquent que les OGM sont, de fait, considérés comme une option pour répondre aux défis actuels de l’agriculture. L’importance des enjeux et des débats associés aux OGM a amené la plupart des établissements publics de recherche agronomique à expliciter et exprimer leur politique scientifique dans le domaine des biotechnologies végétales : en France, le CIRAD puis l’INRA l’ont fait. S’il est nécessaire de mieux comprendre les mécanismes biologiques liés à la transgénèse, d’accroître les performances des biotechnologies, d’explorer l’intérêt et les limites d’innovations fondées sur des OGM et visant des cibles d’intérêt public, et de conduire des recherches à l’amont des expertises menées par les instances ad hoc, il est tout aussi important de constituer des ressources publiques et accessibles, notamment de conserver des ressources génétiques diversifiées, et d’explorer des voies alternatives aux OGM, par exemple la valorisation de la diversité génétique naturelle des espèces cultivées et apparentées par la génétique d’association et la sélection assistée par marqueur.