La recherche technologique, clef de la mutation environnementale de l’aviation
Le transport aérien est un secteur stratégique et son développement durable est nécessaire pour accompagner la croissance économique, l’évolution de la démographie, l’intensification de la mobilité et des échanges. Des programmes structurants anticipent les ruptures technologiques de demain.
Le nouveau gros-porteur Airbus A‑380–800 permet à l’aviation de franchir un nouveau saut en termes de performances, d’efficacité et de capacité de transport : un seul vol d’A-380 peut en effet transporter en toute sécurité, confortablement (aménagement en trois classes long-courriers), rapidement (à près de 900 km/h) et de manière économique et respectueuse de l’environnement (entre 2 et 3 litres par passager aux 100 kilomètres), près de 8,2 millions de passagers-kilomètres transportés (PKT), soit 46 % de plus que pour le B‑747 (5,6 millions de PKT) dont la conception initiale remonte aux années 1960.
L’aéronautique est un catalyseur d’innovation et de développement
Ainsi, des progrès considérables d’efficacité énergétique et de performance environnementale ont d’ores et déjà été réalisés par le passé. Par exemple, au cours des cinquante dernières années, les améliorations technologiques ont permis de réduire de 70 % la consommation de carburant et les émissions de gaz carbonique des aéronefs.
Repères
Depuis les débuts de l’aviation à la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle (Clément Ader, Henri Farman), la volonté de voler a toujours passionné et mobilisé des énergies importantes. Avec la Première Guerre mondiale, les nouvelles perspectives qu’offrait l’aviation militaire ont fédéré et catalysé les efforts, ouvrant la voie à des sauts technologiques importants. Les pionniers de cette aventure humaine ont su franchir une à une des étapes importantes, avec l’augmentation des performances et des exigences accrues en termes de sécurité : traversée de la Manche (Blériot, 1909), de l’Atlantique Sud (Cabral-Coutinho, 1922) puis de l’Atlantique Nord (Lindberg, 1927), ensuite en 1940 les cabines pressurisées (307 Stratoliner) ont permis de voler plus haut, notamment dans la couche stratosphérique, et les turboréacteurs ont permis de voler plus vite et plus loin.
Un siècle de défis
En un siècle seulement, l’aviation a donc su répondre à de nombreux défis : le plus lourd que l’air, la sécurité, la vitesse, le confort, la distance franchissable et la capacité de transport accrus, l’efficacité économique, les performances environnementales améliorées.
L’aéronautique est ainsi un catalyseur d’innovation et de développement et seules les solutions technologiquement les plus performantes ont été retenues. Le développement futur de l’aviation commerciale, essor qui soutient l’activité et constitue à son tour un facteur du progrès économique, ne doit pas s’accompagner d’une croissance de son impact environnemental, qu’il soit local ou global.
Le Salon du Bourget a vu la mise en place du Conseil consultatif Acare
Des aéronefs » ultra-verts »
Avion d’Henri Farman (1910)
Alors que s’opère la prise de conscience des menaces associées au changement climatique, il ne serait pas acceptable que le transport aérien ne contribue pas à l’avenir à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au niveau mondial, le transport aérien contribue entre 2 % et 3 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Toutefois, sans efforts technologiques suffisants, cet impact climatique des émissions du transport aérien pourrait croître sensiblement, alors que dans d’autres secteurs il pourrait se stabiliser ou se réduire dans des proportions importantes.
Ces évolutions, auxquelles s’ajoutent la raréfaction et le renchérissement des carburants d’origine fossile, qui représentent une part croissante des charges des compagnies aériennes, ainsi que la perspective de l’intégration du transport aérien au système européen d’échanges de quotas d’émissions font que les performances environnementales des aéronefs sont un facteur plus que jamais déterminant de leur compétitivité.
Les prochaines générations d’aéronefs » ultra-verts » qui entreront en service, en particulier celle qui succédera aux familles d’avions mono-couloirs Airbus A‑320 et B‑737, représentent un enjeu capital. Pour les préparer, les entreprises définissent des programmes de recherche et de développements technologiques ambitieux, dans lesquels l’amélioration des performances environnementales des avions tient une place essentielle.
Une mutation profonde
Un agenda stratégique partagé
Faisant suite aux deux premières éditions de son agenda stratégique de recherche (SRA) Acare a révélé le 18 novembre 2008, lors du sommet européen de l’aviation à Bordeaux, un addendum à son agenda. Prenant en compte les évolutions récentes du secteur, cet addendum apporte des compléments et met l’accent sur un certain nombre de sujets technologiques ou institutionnels. En particulier, il souligne la nécessité d’accélérer les développements technologiques visant à poursuivre l’amélioration des qualités environnementales de l’aviation, de préparer les futurs kérosènes alternatifs, d’encourager la coopération internationale dans certains domaines et de mener des recherches pour préparer le plus long terme.
Le transport aérien est un secteur stratégique et son développement durable est nécessaire pour accompagner la croissance économique, l’évolution de la démographie, l’intensification de la mobilité et des échanges dans un contexte de développement de la société d’information, du tourisme, et de globalisation qui stimule les mouvements de personnes et de biens. L’avenir de ce secteur constitue un enjeu majeur pour l’économie en raison de sa contribution à l’emploi, au commerce extérieur et au progrès technologique. C’est l’un des plus dynamiques de l’industrie, avec des taux de croissance parmi les plus élevés.
Avion de Clément Ader (1890)
L’aéronautique exerce ses activités dans un contexte très dynamique et évolutif : rivalité exacerbée entre Airbus et Boeing, mondialisation, poids croissant des pays » émergents « , évolution des relations entre les intégrateurs et leurs partenaires, intégration toujours plus poussée des composantes du transport aérien, parité euro-dollar défavorable, nombreux projets dans le monde dans tous les secteurs (avions de plus de 100 places, hélicoptères, aviation d’affaires et légère, moteurs, systèmes et équipements associés).
Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. SAINT-EXUPÉRY
Dans ce contexte, les programmes nouvellement lancés et la préparation des prochaines générations d’aéronefs qui devront répondre aux nouvelles exigences environnementales représentent pour l’industrie aéronautique un enjeu capital. Le secteur amorce donc une phase de mutation profonde à la fois sur les plans technologique et industriel, du succès de laquelle dépendra le maintien des compétences, des activités industrielles aéronautiques à haute valeur ajoutée et de l’emploi associé.
En Europe, l’effort de recherche et d’innovation technologiques est mené de manière cohérente et complémentaire aux niveaux communautaire, national et régional.
Un référentiel ambitieux pour l’Europe
Concept de moyen-courrier de haute performance environnementale (Acare).
L’importance de l’environnement a été clairement identifiée dans le rapport Vision 2020, publié en janvier 2001, et rédigé par un groupe de quinze personnalités du secteur aéronautique européen, rassemblées autour de Philippe Busquin, alors Commissaire européen en charge de la recherche. L’objectif de ce rapport était de donner, pour les vingt années suivantes, les grandes orientations pour générer en Europe les efforts de recherche suffisants permettant au secteur de l’aéronautique et du transport aérien de se développer en Europe dans une perspective de développement durable.
Le Salon du Bourget 2001 a été le lieu de la mise en place solennelle du Conseil consultatif pour la recherche aéronautique civile en Europe, l’Acare. Répondant aux recommandations du rapport Vision 2020, l’Acare a édité un agenda stratégique de recherche (SRA), fixant les orientations de la recherche pour permettre au système du transport aérien d’atteindre les objectifs définis par le groupe de personnalités.
Performances et sécurité
Optimiser la gestion du trafic aérien
Le programme Sesar (Single European Sky ATM Research), dont les membres fondateurs sont la Commission européenne et l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne Eurocontrol, est un programme de recherche et de développement constituant l’important volet technologique du Ciel unique européen. Il implique pour la première fois l’ensemble des acteurs du monde aéronautique : usagers, compagnies aériennes, constructeurs et industriels, contrôle aérien civil et militaire, etc. Ce programme Sesar, dont l’équivalent américain est » NextGen « , a pour objectif de développer pour les trente prochaines années une nouvelle génération du système de gestion du trafic aérien européen sûr et performant, moins coûteux et respectant les conditions d’un développement durable.
Les orientations d’Acare se déclinent ainsi selon les cinq grands volets suivants : poursuivre l’amélioration des performances environnementales du transport aérien ; renforcer l’efficacité économique et la qualité des aéronefs ; poursuivre l’amélioration de la sécurité et réduire le nombre d’accidents ; augmenter les capacités et la fluidité du système de transport aérien ; améliorer la sûreté.
S’agissant plus particulièrement des performances environnementales, les objectifs ambitieux suivants ont été affirmés par l’Acare pour les appareils de nouvelle technologie qui entreront en service en 2020 (par rapport à 2000) : réduire la consommation de carburant et les émissions de CO2 de 50 % ; réduire les émissions de NOx de 80 % ; réduire le bruit perçu de 50 %.
Une impulsion nouvelle
Le Grenelle de l’environnement a souligné l’importance d’intensifier la recherche pour le développement durable de l’aéronautique et de développer une stratégie ambitieuse pour la recherche aéronautique en confirmant l’importance des objectifs environnementaux d’Acare. Une convention d’engagements a été signée par les différents acteurs français du transport aérien le 28 janvier 2008.
Les engagements qui ont suivi le Grenelle incluaient la création d’un Conseil stratégique pour la Recherche aéronautique civile (Corac), regroupant l’ensemble des acteurs français du transport aérien (industrie, compagnies aériennes, aéroports, navigation aérienne, ministères). Installé le 23 juillet 2008 à la suite d’un travail préparatoire mené au cours du premier semestre 2008, ce conseil a comme principal objectif de définir et mettre en œuvre une feuille de route pour la recherche technologique aéronautique. Cela renforce et dynamise la stratégie et la vision d’Acare en le déclinant au niveau national. Réciproquement, cela permet aux représentants français d’enrichir les réflexions menées au sein de ce conseil. De telles démarches nationales sont développées dans plusieurs grands pays aéronautiques européens, notamment le Royaume-Uni, l’Espagne, les Pays-Bas et l’Italie.
Les programmes cadres de recherche européens
L’A-380–800, un nouveau saut en termes de performances, d’efficacité et de capacité de transport. ©Airbus S.A.S
Depuis le quatrième et le cinquième Programme cadre de recherche et de développement technologique (PCRD, allant de 1990 à 2002), la recherche aéronautique a toujours été prise en compte prioritairement. Dans le sixième PCRD (2003−2006), l’aéronautique, associée à l’espace, a également été retenue comme l’une des thématiques prioritaires.
Les initiatives technologiques conjointes associent public et privé
Les programmes cadres communautaires apportent une contribution désormais essentielle au développement des compétences technologiques européennes, en complémentarité et en cohérence avec les politiques menées par les États. Le septième programme cadre, qui couvre la période 2007–2013, a été lancé en début d’année 2007. L’aéronautique, et plus globalement le système de transport aérien, figure dans la thématique » Transports, y compris aéronautique « .
Des initiatives technologiques conjointes
Concept de moteur à hélices rapides contrarotatives non carénées en configuration « pusher » (Open-rotor « pusher »).
Outre la reconduction des instruments » classiques » mis en oeuvre dans le sixième PCRD, la Commission prévoit pour quelques secteurs technologiques clés, stratégiques pour l’Europe et nécessitant des investissements importants, la création d’un nombre limité d’opérations associant la Commission, des États membres et les industriels intéressés. Ces partenariats » public-privé « , qualifiés d’initiatives technologiques conjointes, sont dotés d’une structure juridique spécifique et de règles de gouvernance particulières et constituent un outil privilégié et efficace dans la mise en oeuvre du septième PCRD.
Clean Sky, un projet structurant pour l’aviation ultra-verte
L’industrie aéronautique et les centres de recherche européens, en particulier français, se sont mobilisés depuis quatre années aux côtés de la Commission pour le lancement d’une grande initiative dans le domaine de l’aéronautique en liaison avec Acare. Le programme pluriannuel de recherche Clean Sky reprend les objectifs de ce conseil en matière de développement durable et vise à préparer le transport aérien aux exigences environnementales de demain.
L’aéronautique est l’une des thématiques prioritaires de la recherche européenne
Il favorise l’émergence d’innovations radicales et accélère la maturation des technologies de ruptures nécessaires à l’essor durable de l’aéronautique et du transport aérien. Il revêt un intérêt tout particulier pour l’industrie aéronautique. Le règlement de l’initiative technologique commune Clean Sky a été adopté par le Conseil des ministres de l’Union européenne le 20 décembre 2007 et les accords de financement ont été signés fin 2008. Le budget communautaire qui y est consacré est de 800 millions d’euros sur sept années.
Clean Sky
La recherche européenne permettra de concevoir la future aviation écologique en travaillant de manière intégrée sur l’ensemble des aspects technologiques. Outre les grandes plates-formes horizontales dédiées aux moteurs et aux systèmes, quatre » démonstrateurs » technologiques intégrés sont prévus. L’un d’eux sera dédié aux technologies de voilures fixes intelligentes. Il étudiera les technologies d’ailes intelligentes, incluant de petits éléments mobiles, capables d’adapter l’aérodynamique et la charge structurale de l’aile aux différentes conditions de vol. Une flexibilité qui devrait se traduire par des gains de consommation et donc en termes d’impact environnemental. Un autre démonstrateur est dédié au transport régional vert (configurations légères et silencieuses), et un troisième aux hélicoptères (ciblé notamment sur la mise au point de pales et de moteurs innovants). Un dernier démonstrateur technologique est consacré à l’écoconception. Il couvrira le cycle de vie complet des matériaux et des composants des aéronefs, de leur réalisation jusqu’à leur retrait (élimination des éléments toxiques, utilisation accrue de matériaux recyclables, déconstruction environnementale, etc.). Enfin, un évaluateur technologique permettra d’estimer les progrès environnementaux.